Après les affaires et la politique, Andrej Babiš s'attaque aux médias

Andrej Babiš, photo: CTK

Non content d’être l’un des entrepreneurs les plus riches du pays ainsi que désormais un politicien à succès avec son mouvement ANO, Andrej Babiš veut également se construire un véritable empire médiatique. Après avoir pris possession en juin dernier du groupe Mafra, et donc les journaux Mladá fronta Dnes et Lidové noviny, sa société Agrofert vient d’acquérir Rádio Impuls, une station de radio très écoutée. Une concentration médiatique et un mélange des genres qui ne laissent pas d’inquiéter.

Andrej Babiš,  photo: CTK
La République tchèque serait-elle menacée de « babišisation » ? C’est la question que se posent bon nombre de médias tchèques. Au moins ceux qui n’ont pas encore été achetés par l’homme d’affaires. Celui-ci a fait fortune dans l’agroalimentaire et son récent mouvement politique, l’Action des citoyens mécontents (ANO), a connu une fulgurante ascension jusqu’à devenir le deuxième parti au sein de la Chambre des députés, en passe d’intégrer un gouvernement avec les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates.

Entré en politique en 2011, Andrej Babiš a investi dans les médias dès l’année suivante avec l’hebdomadaire 5plus2. Affirmant clairement sa volonté de construire le groupe médiatique le plus puissant de République tchèque, il s’est également emparé cette année de la société d’édition Mafra, et à travers elle des sites Internet iDnes.cz et Lidovky.cz et des journaux parmi les plus lus du pays, Mladá fronta Dnes et Lidové noviny.

Lidové noviny, un journal où il téléphone d’ailleurs au rédacteur en chef, Jan Kálal, peu de temps après sa nouvelle acquisition, car il ne comprend pas qu’il n’y soit pas fait état de l’une de ses conférences de presse. Quelques heures plus tard, le milliardaire se rend au sein de la rédaction pour s’excuser et affirmer qu’une telle intrusion ne se reproduira plus. Rédacteur en chef à Mladá fronta Dnes jusqu’au début du mois de novembre, Robert Čásenský semble confirmer qu'Andrej Babiš ne se mêle pas du travail des journalistes. On l’écoute :

Robert Čásenský,  photo: CT24
« Je dois dire qu’avant qu’Andrej Babiš n’achète ces journaux, il a pu nous appeler pour des réactions ou des précisions au sujet de certains articles comme le font tous les autres, les politiques comme la plupart des hommes d’affaires. Et depuis son achat, à l’exception de rencontres d’ordre juridique, nous n’avons jamais parlé une seule fois ensemble du contenu du journal. »

Cela n’a pas empêché Robert Čásenský de quitter Mladá fronta Dnes après huit années de collaboration. Il justifie sa décision par le risque que constitue cette imbrication des sphères politique, économique et médiatique. Alors que plusieurs journalistes de Lidové noviny ont également présenté leur démission, cette menace s’est confirmée avec l’achat par Agrofert de la société Londa, qui est propriétaire de plusieurs radios dont Rádio Impuls, la station privée la plus écoutée. La transaction doit encore être validée par le Bureau de la concurrence mais Andrej Babiš, dont le succès lors de la récente campagne des législatives a largement été porté par une campagne médiatique très offensive, ne cache pas sa volonté de continuer à investir dans les médias. Avec Mafra, l’homme d’affaires, qui ambitionne de devenir ministre, contrôle déjà la chaîne de télévision musicale Očko et envisage une nouvelle acquisition dans le secteur.

Nouvellement placée à la tête de la rédaction de Mladá fronta Dnes, un journal de sensibilité de droite, qu’elle souhaite ramener vers un journalisme d’investigation, Sabina Slonková estime qu’Andrej Babiš n’a pas réellement la possibilité d’influencer le quotidien :

Sabina Slonková,  photo: Alžběta Švarcová,  CRo
« Il est vrai que c’est une situation nouvelle pour nous tous et je pense que nous devrons régler des problèmes de conflit d’intérêt quand ils surviendront. Mais je crois Andrej Babiš quand il m’assure qu’il n’influencera pas le contenu de Mladá fronta Dnes. Et personnellement, je pense qu’Andrej Babiš serait fou, s’il achetait le groupe Mafra et que dans le même temps il contribuait à dévaloriser son investissement en influençant le contenu du journal. »

Dans un pays où aucune loi n'existe pour prévenir la concentration des médias, le milliardaire affirme investir dans des organes de presse à succès et attendre donc un retour sous forme de profits. Difficile d’imaginer cependant qu’il n’en attend pas un retour indirect, un renforcement de ses positions dans le monde des affaires et dans celui de la politique. De plus, Andrej Babiš n’aura sans doute pas besoin d’influencer les journalistes de son groupe pour que ceux-ci s’autocensurent.