Après la vente du groupe Mafra, c'est sans « ses » médias qu'Andrej Babiš poursuivra sa carrière politique
C’est une petite révolution à l’échelle de la scène médiatique tchèque. Dix ans après son acquisition par la holding Agrofert de l’ancien Premier ministre Andrej Babiš, le grand groupe d’édition Mafra, qui publie notamment les quotidiens nationaux Mladá fronta Dnes et Lidové Noviny et exploite le site d’actualité iDNES.cz, a été vendu en fin de semaine dernière.
La République tchèque est-elle menacée de « babišisation » ? Telle était la grande question que se posaient nombre de médias et d’observateurs des scènes politique et médiatique tchèques en juin 2013, après la reprise de Mafra par Andrej Babiš. À l’époque, celui qui allait bientôt devenir ministre de l’Économie dans le gouvernement dirigé par le social-démocrate Bohuslav Sobotka, puis lui-même Premier ministre (2017-2021), n’était encore « que » le leader du Mouvement des citoyens mécontents, un nouveau parti politique mieux connu sous son sigle ANO qu’il avait fondé de ses propres soins en 2011, et un puissant homme d’affaires qui prétendait s’être lancé en politique pour lutter contre la corruption.
Mais son rachat de différents médias, parmi lesquels donc Mladá fronta Dnes et Lidové Noviny, deux des journaux alors parmi les plus lus en République tchèque, quelques mois seulement avant la tenue d’élections légistatives qui allaient permettre à ANO d’intégrer le Parlement, avait soulevé de nombreux doutes sur ses réelles intentions, et ce bien que le principal intéressé s’en était alors vivement défendu :
« Je peux déclarer ici publiquement et jurer sur la santé de mes enfants et petits-enfants qu’en aucun cas je n’interviendrai jamais dans les affaires et le travail des journalistes de Mafra. »
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Très vite, cependant, le contenu de Mladá fronta Dnes et de Lidové Noviny avait radicalement évolué. Longtemps réputés pour leur suivi des scandales dans les mondes des affaires et de la politique et plus généralement pour la qualité de leur traitement de l’actualité, les deux quotidiens ont progressivement perdu leur indépendance éditoriale pour devenir des instruments de communication au service des intérêts de leur nouveau propriétaire. Analyste des médias à l’Université Charles, Josef Šlerka rappelle dans quelle mesure les investissements d’Andrej Babiš il y a dix ans ont changé la donne sur le marché des médias tchèques :
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« Cela a totalement bouleversé le fonctionnement de la scène médiatique. Ils ont non seulement déclenché d’autres investissements d’autres milliardaires, mais aussi provoqué le départ de nombreux journalistes des rédactions des grands journaux et entraîné la fin des équipes d’investigation dans les médias du groupe Mafra. »
Ce mélange des genres entre politique, affaires et médias aboutissait aussi à l’adoption par le Parlement, à une large majorité en 2016, d’une loi sur les conflits d’intérêts. Une loi explicitement appelée « Lex Babiš », qualifiée aussi « d’anti-Babiš » par le principal intéressé lui-même, qui, entre autres, interdit aux membres du gouvernement d’être propriétaires de médias et a contraint Andrej Babiš à transférer l’ensemble des sociétés de sa holding Agrofert sur des fonds fiduciaires.
Et aujourd’hui, c’est précisément le durcissement de cette même loi approuvé par les députés en juin dernier, qui, selon certains analystes, aurait fini de convaincre les dirigeants d’Agrofert de céder Mafra. Selon les nouvelles règles qui entreront probablement en vigueur en début d’année prochaine, les hauts responsables politiques ne seront plus autorisés à posséder aucun opérateur de radio ou de télévision ni éditeur de presse périodique, et ce pas même par le biais d’un fonds fiduciaire. La nouvelle loi ne s’appliquera plus seulement aux ministres mais aussi aux députés, soit donc le statut actuel d’Andrej Babiš.
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Le groupe Mafra, qui compte un millier d’employés, est l’une des entreprises médiatiques les plus puissantes en République tchèque. Outre ses plus de sept millions de visiteurs Internet par mois, ses différents journaux et magazines, parmi lesquels figure aussi le quotidien gratuit Metro, touchent régulièrement quelque trois millions de lecteurs.
Mafra exploite aussi les sites d’information iDNES.cz et Lidovky.cz, l’opérateur virtuel Mobil.cz, et le groupe comprend encore les chaînes de télévision musicales Óčko, l’application mobile Portmonka ou encore le très populaire moteur de recherche d’horaires de transports publics IDOS.cz.
Dans le cadre d’une même transaction, Mafra a été cédé par Agrofert parallàlement à l’entreprise chimique Synthesia Pardubice et à la société Londa, et ce au groupe Kaprain de l’homme d’affaires Karel Pražák. Le tout, selon le quotidien économique Hospodářské noviny, pour un montant de près 410 millions d’euros et sans que personne ne sache encore très bien quel sort sera réservé à Mafra. Et si une nouvelle vente est envisageable, une chose est néanmoins d'ores et déjà acquise : c’est désormais sans le soutien de « ses » médias qu’Andrej Babiš poursuivra sa carrière politique.