6) Des os de mammouth et un Viking : le Château de Prague, un site archéologique aux origines très anciennes
Panorama typique de la capitale tchèque, le Château de Prague et ses environs immédiats se présentent comme un immense complexe de palais et de monuments ecclésiastiques, dont la cathédrale Saint-Guy est l’édifice dominant. Cet ensemble historique associé au pouvoir depuis le Moyen Age, se caractérise aussi par le fait qu’à l’image de la ville, il comprend tous les styles historiques les plus connus, de l’époque romane à l’époque moderne. L’archéologie nous permet toutefois d’aller plus loin encore dans le millefeuille des époques, avec des découvertes parfois étonnantes. Petit tour du site et du quartier qui l’environne, indissociable de l’ensemble castral.
Quand on balaye du regard le site du Château de Prague, c’est en effet la diversité des styles architecturaux qui frappe en premier lieu : pas besoin d’avoir fait de grandes études d’histoire de l’art pour saisir immédiatement que se superposent ici les périodes. Art roman, art gothique, Renaissance, baroque, classicisme, néo-gothique et architecture du début du XXe siècle s’y entremêlent sans choquer les puristes – c’est d’ailleurs cela qui fait, entre autres, l’originalité du lieu, siège des ducs et rois de Bohême, puis des présidents tchèques.
Ces strates temporelles peuvent être élargies et même précisées grâce aux fouilles archéologiques qui occupent les scientifiques depuis le XIXe siècle. En effet, celles-ci ont révélé des vestiges encore plus anciens que les toutes premières constructions liées à ce grand lieu de pouvoir, comme nous le détaille l’archéologue du Moyen Age, Jana Maříková Kubková :
« Le plus ancien vestige retrouvé ici date du paléolithique. Dans le manège du Château de Prague, on a en effet mis au jour des os de mammouth et de rhinocéros laineux. En ce qui concerne le Moyen Age, nous pouvons dater les premiers établissements au IXe siècle. Mais il faut savoir que dans les quartiers de Hradčany et de Malá Strana, il y a des sites où l’histoire remonte même jusqu’au VIIe siècle. Nous avons fait des trouvailles fragmentaires de toutes les cultures. Pour certaines périodes, on ne trouve que des tessons. Au fur et à mesure de l’exploitation de la colline, des églises ont été construites, des palais ont été bâtis, si bien que les couches plus anciennes ont été détruites. Les plus anciens vestiges ne nous sont parvenus parfois que sous forme d’empreintes et d’indices. De nombreuses cultures se sont succédées ici depuis la préhistoire. Certaines de ces découvertes peuvent d’ailleurs être vues par le public dans une exposition permanente. »
Le château de Prague et son quartier environnant de Hradčany n’est d’ailleurs pas seulement un ensemble d’édifices religieux et de palais. La colline est également un important site funéraire :
« Il y a en effet plusieurs de ces sites funéraires, médiévaux ou du début du Moyen Âge. Mais aussi plus anciens. Si nous examinons le peuplement préhistorique, il semble que sur la pointe orientale du site se trouve un complexe cultuel, en gros dans la région de la place Hradčanské náměstí et plus loin vers Pohořelec, il y a le complexe de peuplement, et dans les zones où se trouve aujourd’hui le Belvédère, il y a une nécropole. Elle est là depuis la préhistoire et était encore utilisé au début du Moyen Âge. Nous ne savons pas vraiment si ce site funéraire a été utilisé de manière continue ou s’il y a eu des pauses mais nous voyons donc qu’il y a cette continuité depuis les temps les plus anciens. Les sites funéraires se déplacent ensuite : progressivement il y a plus de sites funéraires à l’ouest, et l’un des plus récents est sur la place de Notre-Dame de Lorette. Et puis il y a des cimetières plus petits à côté des églises, des cimetières chrétiens, comme par exemple à la rotonde Saint-Guy. Dans ces sépultures de personnes non-chrétiennes on a mis au jour de l’or, des pierres précieuses. Ces personnes ont emporté dans la mort des bijoux et autres choses précieuses, dont certains sont exposés au château de Prague. Clairement, dans ce cas, il s’agit de personnalités issues des élites. Plus tard, les chrétiens n’ont généralement rien sur eux après, ils vont dans l’autre monde tels quels. »
D’ailleurs une tombe découverte dans les années 1920 dans la troisième cour du Château, a récemment livré un témoignage intéressant. L’homme, inhumé au cours de la seconde moitié du IXe siècle avec son équipement de guerrier, était très probablement un Viking. Des analyses scientifiques de deux de ses dents ont montré en 2017 qu’il était originaire du nord de l’Europe, potentiellement du Danemark. Ce guerrier d’une cinquantaine d’années faisait certainement partie de l’élite de l’époque, probablement de la suite du prince. Le fait qu’il ait appartenu à ces commerçants, explorateurs et guerriers nordiques redoutés pour leurs raids est unique en soi, et rappelle que ces hommes pouvaient louer leurs services à des souverains jusqu’en Bohême. De même, cette dépouille est aussi un témoignage d’une circulation des personnes, peut-être plus importante qu’on ne le pense d’ordinaire. En plus des sources écrites existantes, les scientifiques tchèques disposent ainsi d’une preuve matérielle. D’ailleurs, deux noms de Vikings apparaissent déjà dans certains récits légendaires : Tuna et Gomon, attachés à la suite de la princesse Drahomíra et meurtriers, à sa demande, de sa belle-mère, la future sainte Ludmila.
C’est avec l’intérêt naissant pour l’archéologie au XIXe siècle qu’ont commencé les premières fouilles du site du Château de Prague, comme le rappelle Jana Maříková Kubková :
« L’ancien siège des Přemyslides en tant que localité importante a suscité l’attention des historiens depuis le milieu du XIXe siècle. Dès lors qu’on a commencé à s’intéresser à ce passé, il y a eu des personnes intéressées par ce qui pouvait se trouver sous terre. On peut dater cet intérêt de l’époque de la reconstruction de la cathédrale Saint-Guy. A cette époque, les architectes Josef Mocker et Karel Hilgert construisent la nef néo-gothique et mènent des travaux de reconstruction dans la partie d’origine gothique : ils retrouvent ainsi à cette occasion ont trouvé des vestiges de la basilique romane et de la rotonde préromane. L’étape suivante intervient après la Première Guerre mondiale. En 1918, le Château devient la résidence du président Masaryk et est adapté pour en faire une résidence moderne. Des recherches archéologiques sont menées par le bâtisseur Karel Fiala, mais ce travail était au-dessus de ses forces, puisqu’il était chargé à la fois de ces fouilles, de la prospection et des travaux de reconstruction. En 1925, il a été décidé que l’Institut archéologique, fondé peu de temps auparavant, serait dépêché sur place. Ainsi, les archéologues de l’Institut d’Archéologie sont présents ici depuis juin 1925. Au départ, il s’agissait d’une coopération entre ceux qui géraient les travaux au sein de l’administration présidentielle et l’Institut d’archéologie. Progressivement, cette coopération s’est institutionnalisée. »
Replacer le site du Château de Prague dans le temps, très long de l’Histoire et non pas seulement, à partir de ces traces médiévales les plus récentes, est un des aspects les plus intéressants des recherches archéologiques sur cette colline qui domine le bassin de la Vltava :
« Ces dernières années, nous avons abordé un peu différemment toute l’histoire du château de Prague, et nous avons essayé de comprendre quel genre quel genre de site il représente, de quel genre de lieu il s’agit. Nous avons découvert qu’au début du Moyen Age, il s’agissait exclusivement d’un site ecclésiastique. Il n’y avait en fait que des églises ici, que des monastères. Le vieux palais associé à la dynastie des Premyslides est un apport plus récent. Il y a donc eu une sorte de réinterprétation du lieu selon laquelle, pendant ce premier Moyen Age, il y avait ici principalement des institutions ecclésiastiques et les institutions royales viennent s’y greffer un peu plus tard. Cela nous a conduits à approfondir nos recherches : nous avons donc impliqué aussi des collègues préhistoriens, et avons découvert que ce rôle religieux de la colline était une réalité depuis la préhistoire. Contrairement à ce qu’on pense d’ordinaire, à l’origine du site actuel, il n’y avait pas un château přemyslide, mais il s’agissait plutôt d’une montagne considérée comme sacrée : dès la préhistoire, ce lieu géographiquement élevé a été utilisé à des fins de culte. Cette colline si importante, que l’on voit de partout, a joué un rôle important dans l’agglomération de Prague depuis la préhistoire. Ensuite, les chrétiens se la sont également appropriée pour leur religion, puis la dynastie des Přemyslides y ont édifié leur palais : il n’était pas au sommet, mais légèrement au pied, et ce n’est qu’au XVIe siècle que le château de Prague est devenu un château et un palais de résidence pour le souverain. Jusque-là, c’était le rôle ecclésiastique qui était le plus important. C’est donc un changement complet dans la façon dont nous percevions le Château de Prague jusqu’à nos jours, une vision dépassée qui figure pourtant toujours dans les programmes scolaires. »
Cette vision temporelle élargie de l’importance de cette colline bouleverse ainsi l’appréhension du rôle symbolique qui lui est attribué depuis plusieurs siècles et dévoile au contraire, une multiplicité de fonctions – avec un dénominateur commun, une occupation sans doute sans discontinuer et une importance non-démentie de ce site à travers les âges, même les plus reculés.
Cet article a vu le jour en collaboration avec l'Institut d'archéologie de l'Académie des Sciences de République tchèque.