Avec les volontaires tchèques dans un camp de réfugiés en Croatie

Photo: Antonín Matějovský

Dans un contexte de réticence à l’accueil de réfugiés en République tchèque, plus de 1 500 volontaires tchèques se sont déjà mobilisés depuis le mois de septembre, notamment à la frontière entre la Serbie et la Croatie sur la route dite des Balkans empruntée par des milliers de réfugiés originaires de la Syrie pour la grande majorité. Un groupe de volontaires s’est ainsi rendu dans le camp de Slavonski Brod, au nord-est de la Croatie, parmi lesquels l’une de nos collègues, Agnès Zátorský, qui a ramené, en plus d’images et de souvenirs marquants, un reportage que nous vous proposons aujourd’hui.

Photo: ČTK
Depuis plusieurs mois maintenant, la République tchèque fait régulièrement l’objet de critiques pour sa position négative sur le dossier de l’accueil des migrants qui arrivent en Europe. Mais tandis que le gouvernement a toujours rejeté le principe imposé par l’Union européenne de répartition des réfugiés sur la base de quotas par pays et que le président de la République, Miloš Zeman, multiplie les déclarations populistes islamophobes, plus de 1 500 volontaires tchèques se sont déjà mobilisés depuis le mois de septembre, d’abord pour accueillir les migrants qui arrivaient à la Gare centrale de Prague, puis pour leur fournir une aide dans les zones frontalières de l’espace Schengen, notamment à la frontière entre la Serbie et la Croatie sur la route dite des Balkans empruntée par des milliers de personnes, en provenance notamment de Syrie, désireuses de se rendre en Occident. Nombre de ces volontaires affirment puiser leur motivation dans l’attitude négative des politiciens et médias tchèques.

Pourtant, preuve que l’engagement de ces volontaires ne laisse pas insensible y compris dans les plus hautes sphères de l’Etat, le 17 novembre dernier, jour de fête nationale, le Premier ministre Bohuslav Sobotka a accueilli leurs représentants pour les remercier de leur dévouement et de leur action, et ce alors même que Miloš Zeman s’affichait dans le même temps à un rassemblement d’un obscur mouvement baptisé « Bloc contre l’islam ». Plus récemment, le député et ancien leader du parti de droite TOP 09 Karel Schwarzenberg, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle, a lui aussi remercié ces volontaires qui, déclarait-il, « sauvent l'honneur de notre Etat, souillé par certaines déclarations ».

Parmi ces volontaires se trouve également une Française mariée à un Tchèque. Il y a désormais deux semaines de cela, Agnès Zátorský (Joyaut) a répondu par l’affirmative à une sollicitation d’amis tchèques et s’est ainsi rendue l’espace de quelques jours dans le camp de transit de Slavonski Brod situé au nord-est de la Croatie. De cette mission de volontariat, Agnès, qui collabore régulièrement avec Radio Prague, a ramené ce reportage que nous vous proposons dans cette émission spéciale.

Reportage

Photo: Antonín Matějovský
Jusque fin octobre, les migrants franchissaient la frontière serbo-croate à pieds, parfois en taxi moyennant des prix exorbitants qui atteignaient 3000 euros. Mais depuis le 3 novembre ils arrivent en train depuis Šid en Serbie et transitent par le camp de Slavonski Brod en Croatie avant de continuer vers la Slovénie. Cette logique dite des « hotspots » constitue le plan d’urgence qui a été décidé le 25 octobre par les onze États qui sont directement concernés par l’afflux des migrants sur la route des Balkans (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, Grèce, Hongrie, Roumanie et Slovénie côté européen, Albanie, Macédoine et Serbie pour les « non UE »).

Photo: Agnès Zátorský
« Quand le train arrive, il s’arrête ici au milieu du camp. »

Barbara, coordinatrice sur place, nous explique le déroulement des arrivées :

« Les réfugiés passent d’abord par les tentes d’enregistrement. Si certains d’entre eux sont malades, ils peuvent consulter un docteur dans cette tente. Puis tous se rendent dans les secteurs d’accueil en contournant par ici. Pendant leur transit, aucun réfugié ne peut sortir du camp et, hormis les volontaires accrédités, la Croix rouge et la police, personne n’est autorisé à y entrer. »

Photo: Agnès Zátorský
Chaque jour, entre 500 et 6000 réfugiés transitent par le camp de Slavonski Brod. La semaine où nous sommes arrivés, la séparation des migrants en fonction de leur nationalité venait de commencer : nous avons rencontré quelques Iraniens, mais globalement c’était déjà tous des Syriens, des Afghans et des Irakiens, des familles en exil depuis trois semaines au moins, certaines depuis quatre mois en raison de leur âge ou de leur difficulté à se déplacer.

Distribuer des chaussures et des vêtements chauds

« Ce que nous faisons principalement c’est distribuer des affaires aux gens qui en ont visiblement besoin, par exemple ceux qui n’ont pas de chaussures ou pas de vêtements chauds, car il commence à faire vraiment très froid. »

Jan fait partie des neuf volontaires à être venus de Prague. Avec la vingtaine d’autres bénévoles présents sur place, il improvise le soutien qu’il peut apporter à ces milliers de personnes souvent épuisées. Il faut aller vite car leur transit dure en général une ou deux heures :

Photo: Antonín Matějovský
« Les gens nous posent souvent des questions sur le camp et ce qui les attend. Malheureusement on ne sait pas trop nous-mêmes quelle est la situation donc on ne peut pas trop leur répondre. Quand ils arrivent, on les aide à descendre du train, surtout la nuit quand les équipes de la Croix rouge sont moins nombreuses. On a aussi commencé à faire du thé pour essayer de réchauffer les jeunes et les plus vieux. Sinon on distribue des bonbons aux enfants. Ce sont de petites choses mais moralement ça fait une grande différence. »

Photo: Antonín Matějovský
Entre deux trains, il faut trier les vêtements et les dons qui proviennent de toute l’Europe. Comme une chaîne de solidarité, on rencontre parmi les volontaires des gens qui viennent de Norvège, d’Angleterre, d’Allemagne, de France, du Portugal, de Croatie bien sûr et d’autres pays. Des gens de tous âges, beaucoup de jeunes mais pas seulement des étudiants : en effet, nombreux sont ceux ayant pris sur leurs jours de congés. Parmi les Tchèques, au-delà de la première impulsion qui est de vouloir aider, on trouve aussi la motivation d’aller juger par soi-même un sujet d’actualité hyper-médiatisé. En République tchèque, gouvernement et opinion publique sont relativement réticents à l’accueil des réfugiés. Antonín, un des volontaires, donne son point de vue :

Photo: Agnès Zátorský
« Je suis venu aussi pour savoir comment ça se passe sur place, car concernant la crise des réfugiés, je pense que les médias déforment foncièrement la réalité et que beaucoup d’organes de presse propagent des lubies infondées et transforment l’information pour lui faire dire ce qu’ils veulent. Je ne dis pas que je détiens la vérité mais je pense qu’on doit constamment essayer de la chercher… Moi aussi parfois je suis tenté de redouter l’arrivée des réfugiés en Europe et de me dire que ça va mal finir, mais on peut aussi faire le choix de s’impliquer personnellement et de relever nos manches pour faire les choses de manière constructive et que leur intégration se passe bien. C’est plus difficile que de fermer nos frontières certes, mais on doit le faire, je ne vois pas d’autres possibilités. »

Des hommes et des femmes qui fuient la terreur et la guerre

Et sur place alors, qui sont ces milliers d’hommes et de femmes venus trouver refuge chez nous ? Malgré l’urgence de donner des chaussures et des vêtements, j’ai pu discuter avec quelques-uns d’entre eux. Une jeune Afghane étudiante en interprétariat témoigne :

Photo: Antonín Matějovský
« La situation actuelle à Kaboul est très dure à vivre, comme dans toutes les autres villes d’ailleurs. Les Talibans attaquent n’importe où n’importe quand ; ils entrent au hasard chez les gens, tuent et détruisent tout sur leur passage. C’est ce qui force les gens à migrer en Europe et dans d’autres pays. »

Puis je rencontre cette autre femme. Elle vient d’Alep, la deuxième ville de Syrie. Avec sa mère, elle aimerait rejoindre son frère et sa sœur déjà installés aux Pays-Bas :

« Tout le monde quitte la Syrie, spécialement Alep où la situation est catastrophique. Dès qu’il y aura de nouveau la paix, on rentrera chez nous. Malheureusement il y a tant de problèmes, je crains que la situation soit difficile à résoudre. Mon père ne nous a pas accompagnées, il était trop vieux et fatigué pour faire ce voyage. »

Je lui demande si elle a un message important à faire passer :

Photo: Agnès Zátorský
« Je souhaite que les pays connaissent enfin la paix afin que chacun puisse rentrer chez soi. Ce n’est pas bon de quitter sa maison et de quitter son pays. Je souhaite vivement la paix. »

Trois familles afghanes font la route ensemble comme beaucoup d’autres familles que nous avons rencontrées. Il y a six mois, ils ont quitté l’Afghanistan pour se réfugier en Iran, mais les conditions qu’ils décrivent ne leur permettaient pas d’y rester. L’un d’eux raconte :

« On n’a pas eu la possibilité de rester en Iran : on n’avait pas de papiers, on ne pouvait pas aller à l’université, avoir une maison ou une voiture. Nous n’avions aucuns droits fondamentaux. Acceptez-nous. Ne nous renvoyez pas. Ça a été très difficile pour nous d’arriver jusqu’ici. Si vous nous renvoyez, ce serait un désastre, on perdrait tout ce qu’on a économisé. Nous n’avons plus rien. Ce serait trop dur. »

L’insécurité et la peur, même en exil

Un Syrien, arrivé en Croatie pour ses études il y a cinq ans, aide aujourd’hui comme interprète au camp de Slavonski Brod. Il relate ce que les migrants lui ont raconté :

Photo: Agnès Zátorský
« En Grèce ils doivent tout payer eux-mêmes : la nourriture, les transports, absolument tout. Il a aussi beaucoup plu ces derniers temps sans qu’ils n’aient aucun endroit pour s’abriter et pour dormir. Quand ils arrivent en Croatie dans ce camp, c’est un choc car tout est pris en charge. Ils se demandent : « Où est-ce qu’on est ? » Au début, ils ont peur. Ils craignent ce qui leur ait arrivé en Serbie et en Macédoine, apparemment les deux parties les plus difficiles du voyage. »

Car en dehors des obstacles financiers et physiques que représente un tel exil, les migrants doivent aussi faire face à des tête-à-tête pas toujours très accueillants, que ce soit de la part de « passeurs » qui abusent de leur situation ou bien de la police dont les actes de maltraitance, notamment en Hongrie, en Serbie et en Macédoine, ont plusieurs fois suscité la polémique.

Les bonnes ondes de Jakub et son ukulélé

Photo: Antonín Matějovský
« J’ai pris l’habitude de voyager avec mon ukulélé, car la musique est un bon moyen de communiquer avec les gens. »

Jakub, c’est le musicien du groupe. Avec son ukulélé, c’est probablement celui qui a redonné le plus de sourires.

« Le premier jour, il faisait beau et on a à peine commencé à jouer avec quelques enfants qu’en une seconde il y a eu un cercle autour de nous. Puis il y a eu de plus en plus d’enfants, ils ont commencé à emprunter nos instruments, à chanter, à frapper dans leurs mains et d’autres volontaires nous ont rejoints. Ça a été un super moment. »

« Quand les personnes du secteur 2 sont reparties, on s’est installé dans le secteur 1 où d’autres réfugiés attendaient et on a recommencé à jouer. Au bout d’un moment un jeune garçon s’est approché, il pleurait. Il avait l’air fasciné qu’on joue ici. Et un autre homme est arrivé en disant : « Continuez de jouer, je reviens tout de suite, surtout ne vous arrêtez pas ! »

« Puis un jeune d’une trentaine d’années m’a dit que lui aussi était musicien, qu’il venait d’Iran et qu’il allait en Grande-Bretagne, qu’il avait été arrêté il y a six mois pour avoir écrit un livre sur la réincarnation (chrétien dans un monde musulman) et qu’il avait profité d’une permission de cinq jours pour fuir son pays. On a échangé nos coordonnées. Je lui ai proposé qu’on fasse un concert à Prague. Ça me semble important de susciter des rencontres avec les réfugiés. En République tchèque les gens ont peur, mais pour moi cette peur vient seulement du fait qu’on ne les connaît pas. Quand les Tchèques verront que les réfugiés sont des gens comme eux, et des gens super gentils, j’espère que les mentalités changeront. »

Rencontrer, c’est parfois changer sa façon de penser

Et pendant que la musique réchauffe les cœurs, les autres volontaires s’activent. Chacun s’efforce de répondre au maximum de besoins. Lenka raconte :

Photo: Agnès Zátorský
« Une fois j’ai été cherché un pantalon pour un homme qui en avait besoin. Je lui ai demandé s’il en voulait un épais à cause du froid, il m’a répondu oui, mais on n’a pas dû bien se comprendre, car j’ai couru lui apporter le pantalon que je lui avais trouvé et il n’en a pas voulu. À ce moment-là j’ai pensé : mais mince pourquoi il n’en veut pas ? Mais après cette réaction stupide, je me suis dit, au fond je ne sais pas pourquoi il ne veut pas de ce pantalon, il ne peut sans doute pas transporter tout ce qu’on voudrait lui donner. Cette situation m’a fait réaliser qu’on ne devrait pas agir sur la première idée qui nous passe par la tête et faire en fonction de ses impressions personnelles sous prétexte d’une barrière de la langue. C’est une bonne expérience pour moi. »

De retour à Prague, Aleš, un autre volontaire, dira :

« Maintenant je sais à quelle réalité m’en tenir et qui sont les réfugiés. Je peux dire que ce sont des gens comme les autres, des personnes à part entière, ayant chacune leur propre histoire, et qu’il n’y a aucune raison de les voir comme une masse d’anonymes. »

Comment notre groupe est arrivé à Slavonski Brod

Photo: N​ick E​gloff
« Évidemment on s’est demandé pourquoi venir de loin quand on se dit qu’il y a des gens sur place qui peuvent aider, mais il faut croire qu’il n’y a pas assez de bonnes volontés à Slavonski Brod. »

Štěpán fait partie des initiateurs de notre groupe, mais c’est Suzka qui a donné la première impulsion. Elle raconte :

« Je me suis décidée il y a deux mois en réalisant à quel point le cas des réfugiés s’aggravait et sachant que les conditions continueraient de se dégrader avec l’hiver. L’envie d’aider sur place est venue avec l’épisode des réfugiés bloqués en gare de Budapest mais, à ce moment-là, je ne pouvais pas quitter Prague. Je ne voulais pas y aller seule non plus, j’en ai donc parlé autour de moi, pour savoir comment faire, et c’est autour d’un café avec Štěpán qu’on a commencé à organiser ce projet. »

Je leur demande s’ils ont eu des difficultés d’organisation. Suzka me répond :

Photo: Antonín Matějovský
« La première difficulté a été de trouver du temps ou plutôt des gens qui ont du temps. Car la plupart des volontaires se rendent sur place le week-end, c’est donc en semaine que les besoins sont plus grands. La deuxième difficulté est que, pour des raisons politiques, la situation sur place n’a pas arrêté de changer. »

En effet, outre le changement de parcours des réfugiés officialisé début novembre sur la route des Balkans, Suzka et Štěpán rappellent la grève des ferries grecs qui a immobilisé les réfugiés sur l’île de Lesbos début novembre. Štěpán poursuit :

« Finalement on ne s’y est pas pris en se disant : trouvons des gens pour partir avec nous, mais on a bloqué une date, on s’est dit on y va, et la veille du départ on finissait de remplir les deux voitures qu’on n’était même pas encore sûr d’avoir deux jours plus tôt. Donc le plus important c’est de se décider, ensuite on trouve toujours des gens. »

Être volontaire, pourquoi ?

Ils racontent également que, trois jours avant de partir, le camp de Slavonski Brod avait décrété ne plus accepter de volontaires. Heureusement cette dernière mesure a été levée au bout de vingt-quatre heures. À propos de cet incident, on s’interroge. Nous discutons de la question avec Luka Juranić, initiateur de l’association « Are you Syrious? » fondée cet été pour trouver des solutions locales à la crise des réfugiés. C’est apparemment loin d’être la première fois qu’aux abords des frontières, des volontaires se font renvoyer. Il explique :

« Bien sûr, car qu’est-ce que font les volontaires : ils rapportent les mauvais traitements et ce qui est fait de travers. C’est ce qui s’est passé dès le départ en Croatie : beaucoup de volontaires et d’OGN ont contacté les médias pour dire « Ces policiers hurlent sur les réfugiés… les mecs de la Croix rouge dorment après 2h du matin… etc. » On publie constamment des vidéos. Et les médias sont de notre côté, car ils n’attendent qu’une chose c’est d’avoir des infos à l’encontre du gouvernement, c’est comme ça qu’ils font de l’audience. »

Photo: Agnès Zátorský
Outre leur rôle « tampon » entre la police et les réfugiés, les volontaires sont nécessaires à plusieurs points de vue. Car, au fond, on pourrait se demander pourquoi les gouvernements ne déploient pas plus de moyens pour améliorer le sort des réfugiés en commençant par employer plus de personnels pour assurer le fonctionnement des camps et des centres d’accueil… Mais les volontaires ont de solides raisons d’être et sur ce point Štěpán n’est plus à convaincre. Fondateur de « Tamjdem », une association qui organise depuis 2008 des week-ends de bénévolat dans toute la République tchèque, c’est un habitué du volontariat. Il en explique une des particularités :

Photo: Agnès Zátorský
« Aux employés on demande de faire quelque chose de précis et généralement ils reçoivent en échange un salaire proportionnel à ce qui leur est demandé. À l’inverse les volontaires ne travaillent pas à la mesure de ce que ça va leur rapporter et font souvent plus que ce qui leur est demandé. Du coup, d’après ce que j’ai vu en tout cas, les volontaires sont plus actifs, plus entreprenants, ils n’attendent pas qu’on leur dise : fais ci ou fais ça. »

Les sessions ukulélé auront été une des démonstrations de cette volonté d’en faire toujours un peu plus. Puis a résonné l’air de « Help », le vieux tube des Beatles, qu’on n’a pas pu s’empêcher de chanter…