Avortement : à Prague aussi la loi polonaise suscite l’inquiétude

Photo: Facebook de Polska Praga

Si vous êtes passés devant l’ambassade polonaise cette semaine, vous avez probablement remarqué les bougies rouges et blanches allumées à l’entrée du bâtiment situé dans le quartier du château de Prague. Il y avait également au début du week-end des pancartes et des cintres, symboles de l’avortement clandestin brandis comme soutien aux femmes polonaises.

« Mon corps, mon choix », « pas d’utérus, pas d’opinion » sont quelques-uns des slogans écrits sur les pancartes déposées sur la grille de l’ambassade de Pologne à Prague depuis samedi dernier. Des manifestants de diverses nationalités sont venus protester ces derniers jours devant ce bâtiment. Katarzyna Byrtek est Polonaise et l’une des trois organisatrices de ces actions contestataires :

« Après ce qu’il s’est passé jeudi dernier en Pologne nous avons organisé un événement sur les réseaux sociaux appelé  ‘C’est la guerre – solidarité avec les femmes polonaises’ et nous avons demandé aux personnes intéressées de laisser des bougies et des pancartes devant l’ambassade de Pologne pour montrer leur soutien aux manifestants qui sont en Pologne. Nous ne voulions pas faire une grande manifestation en raison de la pandémie. C’est pourquoi nous évitons les rassemblements. »

« L’événement a débuté le vendredi 23 octobre ; tous les jours, des gens viennent pour continuer la protestation. Nous savons que quelqu’un retire toutes les pancartes au moins deux fois par jour, nous ne savons pas de qui il s’agit mais en tout cas, plus cette personne retire les pancartes et plus nous en remettons. Ce vendredi, en Pologne, une grande manifestation est prévue, nous allons donc apporter encore plus de pancartes pour être solidaires avec les manifestants polonais. L’objectif de cette action est de montrer notre soutien aux manifestants polonais et dans une certaine mesure faire quelque chose pour calmer nos émotions, parce que nous sommes très énervés à cause de ce qu’il se passe en Pologne. Personnellement, je ne peux pas aller en Pologne maintenant, donc nous faisons ce que nous pouvons faire depuis la République tchèque. »

Photo illustrative: Archives de Radio Prague

Et en effet, les récents événements en Pologne marquent un net recul pour le droit à l’avortement : la Cour constitutionnelle, contrôlée par le parti conservateur Droit et justice, a décidé que l’avortement en cas de malformation du fœtus serait désormais « inconstitutionnel ».

Or, environ 98% des avortements en Pologne ont été effectués en lien avec des malformations du fœtus en 2019. Interdire l’avortement pour ce motif revient donc à l’interdire presque complètement. Les autres motifs toujours valables sont le danger pour la vie de la mère, en cas d’inceste et de viol, mais ce dernier est souvent difficile à prouver et le procès peut prendre plusieurs années. En conséquence, les militants polonais pour le droit à l’avortement ont décidé d’aller plus loin.

« Nous avons aussi créé un groupe de militants pour soutenir les femmes polonaises qui ont décidé de venir en République tchèque pour avorter. Son nom est 'Ciocia Czesia', ce qui signifie 'la tante tchèque' en polonais. Nous leur donnerons des informations et nous les traduirons bénévolement, nous les aiderons également pour le voyage jusqu’en République tchèque. Nous avons aussi commencé à récolter des dons en ligne via ce groupe pour aider les femmes polonaises qui n’ont pas assez d’argent pour payer le voyage et l’avortement dans une clinique tchèque. »

La législation polonaise était déjà une des plus restrictives de l’Union européenne concernant l’avortement. Deux projets de loi d’initiative citoyenne similaires avaient échoué en 2016 et 2018, en raison notamment de manifestations géantes de femmes à travers le pays. C’est peut-être à cause de cela que la mobilisation contre la nouvelle loi polonaise s’est étendue en Europe : des événements similaires ont eu lieu en Irlande, en Norvège, à Chypre, etc. Ainsi, les actions devant l’ambassade de Pologne à Prague n’attirent pas que les principales concernées selon Katarzyna Byrtek :

Photo: Facebook de Katarzyna Byrtek

« Je suis venue deux fois pour ma part et j’ai toujours croisé des personnes de diverses nationalités : des femmes polonaises évidemment mais aussi tchèques, espagnoles et françaises. Il y a un réel soutien international pour notre cause. C’est difficile de savoir combien de gens viennent car la plupart sont seuls ou à deux lorsqu’ils sont devant l’ambassade. Mais des centaines de personnes se sont montrées intéressées par l’événement sur les réseaux sociaux et de nouvelles pancartes apparaissent tous les jours. Nous avons également vu des associations de défense des droits des femmes devant l’ambassade et quelques médias. Nous sommes ravis de voir que les gens nous soutiennent en ces temps difficiles, et ce malgré la pandémie. »

Des actions similaires ont eu lieu à Brno et Ostrava mais l’essentiel de la protestation en République tchèque se concentre sur Prague. Même le Parti pirate de l’opposition tchèque a appelé le 26 octobre dernier le gouvernement à accueillir les femmes polonaises souhaitant avorter. En Pologne l’année dernière, plus de 1000 avortements légaux sur les 1100 recensés concernaient la malformation du fœtus.