Banalisation des propos islamophobes dans le débat public tchèque

Photo: ČT

Les musulmans représentent une infime minorité, même pas un millième, de la population tchèque. Pourtant, les propos xénophobes et plus particulièrement islamophobes apparaissent de plus en plus régulièrement dans le débat public. Basés souvent sur des événements mineurs dont l’essence ne se rapporte même pas à l’aspect religieux, ces propos résonnent à travers les médias d’autant plus qu’une grande partie des Tchèques n’a jamais côtoyé une personne de confession musulmane. Le discours xénophobe invoqué régulièrement par les politiciens s’apparente à une stratégie électoraliste sur des sujets qui d’antan étaient réservés aux partis d’extrême droite. Petr Fiala, le chef du Parti civique démocrate (ODS), ancienne formation gouvernementale, a prouvé, vendredi dernier, que la donne est en train de changer.

Photo: ČT
Il y a quatre ans de cela, Jana Bobošíková, leader de la formation « Souveraineté » militait contre la construction d’une mosquée dans la ville de Hradec Králové dans l’est de la Bohême. Sa camarade de lutte contre l’islam, Jana Volfová, est apparue dans une burqa dans son clip vidéo avant les élections européennes alertant contre la mise en place de la sharia en Europe... Tomio Okamura, chef de la formation de l’Aube de la démocratie directe alimente régulièrement le débat public par des propos racistes.

Photo: ČT
Nouvellement, l’ODS, le Parti civique démocrate érige l’islam en République tchèque comme un des thèmes de sa campagne électorale pour les municipales à venir. Vendredi dernier, son chef Petr Fiala a déclaré : « Je suis de ceux qui disent : protégeons nos traditions, notre culture, et si quelqu’un veut vivre avec nous qu’il les respecte. » Pour Petr Fiala, il faut cependant ne pas s’attarder trop sur la question du port du voile, « un attribut d’une culture qui nous menace » selon lui. Chercheur associé au Département de sociologie historique à la Faculté de sciences humaines à l’Université Charles, Karel Černý estime que ces propos sont révélateurs de la place prise par le discours islamophobe dans le débat politique en République tchèque :

Karel Černý,  photo: Site officiel de l'Université Charles
« L’islamophobie, la peur de l’islam et les menaces formulées contre les musulmans font partie du débat politique tchèque courant. Nous pouvons l’illustrer avec les propos du président Miloš Zeman qui parle des « frontières sanglantes de l’islam » par exemple. Le fait qu’il y ait peu de réactions en République tchèque à ce type de discours est frappant. En revanche, le président choque quand il redit cela aux journalistes étrangers. »

Karel Černý souligne que le discours islamophobe tel qu'on le trouve dans le débat public actuel contraste avec l’héritage de la Première République tchécoslovaque et les idéaux de Tomáš Garrigue Masaryk auxquels se réfèrent tous les partis démocratiques contemporains :

« Tomáš Garrigue Masaryk et les hommes politiques qui l’entouraient considéraient dans les années 1920 que Prague devrait avoir sa grande mosquée selon le modèle de la Grande mosquée de Paris ou de Londres, qui dispose d’une mosquée depuis la fin du XIXe siècle. Selon eux, c’était ce qui ferait de la Tchécoslovaquie un pays cosmopolite. »

Selon les travaux à disposition de Karel Černý, deux tiers des Tchèques craignent l’islam, une proportion plus élevée que dans de nombreux pays européens. Pour le sociologue, la situation est paradoxale car elle est tout à fait disproportionnée par rapport à la taille et au degré d’intégration de la communauté musulmane :

Photo illustrative: Radio Prague Int.
« La population musulmane en République tchèque se limite à quelque 10 000 personnes représentant un millième de la population. Parmi eux, les pratiquants ne sont que quelques centaines. Il n’y a pas de problème de ghettoïsation. Les premiers musulmans venus en République tchèque sont des étudiants de l’université, souvent des médecins ou des ingénieurs. Ils sont le cœur de la population musulmane ici. Ils appartiennent à la classe moyenne ou moyenne supérieure, ils ont leur famille ici, paient leurs impôts et ont la citoyenneté tchèque. Bref, ce sont des personnes pleinement intégrées dans la société. »

L’islamophobie présente dans le débat public est d’autant plus étonnante qu’elle ne correspond pas à la réalité. L’islam reste méconnu en République tchèque mais son image est largement façonnée par les médias qui amalgament facilement cette religion à la violence et relaient les propos xénophobes de certains politiciens.