« Beaucoup de gens sont inquiets de la façon dont Václav Klaus va se comporter »

Václav Klaus, photo: CTK

Entretien aujourd’hui avec Philippe Ricard, correspondant à Bruxelles du quotidien français Le Monde, de passage à Prague pour le sommet sur le lancement du partenariat oriental entre l’Union européenne et six anciennes républiques soviétiques. L’occasion de parler avec lui de la présidence tchèque de l’UE.

Le gouvernement de Mirek Topolánek vient d’être remplacé. Lui-même a dit qu’avec la fin de son gouvernement c’était aussi « d’une certaine manière la fin de la présidence tchèque de l’UE ». Vous partagez son avis ? Est-ce la fin de facto de la présidence tchèque, qui se termine officiellement le 30 juin ?

« Pas tout à fait... En fait, c’est certainement la fin de la présidence telle qu’elle avait été préparée le mieux possible par le gouvernement Topolánek. C’est vrai qu’avec la chute du gouvernement, la présidence tchèque s’effiloche, se désagrège d’une certaine façon. Mais malgré tout, il y a encore un bon mois et demi à faire officiellement pour les Tchèques et c’est sans doute Jan Fischer qui va prendre la relève. Et puis tout le monde, notamment depuis Bruxelles, essaie d’épier les moindres faits et gestes du président Václav Klaus, pour voir dans quelle mesure il pourra lui aussi jouer son rôle, en ayant le plus d’accords possibles avec la partition des autres pays européens. Mais on ne peut pas dire que ce soit totalement la fin de la présidence tchèque, puisque le présidence suédoise ne commencera officiellement que le 1er juillet. »

Est-ce que pour vous cette présidence tchèque est un échec total, à cause de la chute du gouvernement, ou est-ce qu’il va rester quelques bons résultats à retenir ?

« Le bilan n’est pas très facile à faire... Globalement, je pense qu’avec la chute du gouvernement et les problèmes politiques internes, cette présidence tchèque ne restera pas un bon souvenir du tout, au moins du point de vue européen. Mais il est vrai aussi que le contexte était extrêmement difficile pour le gouvernement Topolánek, d’abord parce qu’il suivait une présidence française très forte – qui a d’ailleurs beaucoup improvisé pour les mêmes raisons que la présidence tchèque : les crises. »

« Le conflit gazier, l’offensive israélienne à Gaza, la crise économique bien sûr : triple crise qui a certainement beaucoup compliqué l’agenda de la présidence tchèque qui, bon an mal an, s’est plutôt pas mal débrouillée dans ce contexte extrêmement explosif, avant la chute du gouvernement. D’autant que par ailleurs la présidence française ne lui a pas nécessairement simplifié la tâche, les relations étaient absolument excécrables entre MM. Sarkozy et Topolánek. Ça s’est sans doute mieux passé au niveau technique, au niveau des diplomates, mais malgré tout, rien n’a été fait pour faire en sorte que cette présidence soit un véritable succès. »

Comment l'expliquez-vous ? On a parlé de la fuite en novembre dernier d’un document confidentiel dans un hebdomadaire tchèque, une conversation etre Mirek Topolánek et Nicolas Sarkozy, qui aurait pu créer des tensions... Ce sont selon vous des mésententes personnelles plutôt ?

« Je pense que les tensions ont effectivement commencé bien avant le début de la présidence tchèque. J’identifie le début de ces tensions plutôt au moment où Nicolas Sarkozy a suggéré qu’il aimerait bien prendre la tête de sommets réguliers de la zone Euro, pour essayer de compenser le vide qui menacerait avec le début de la présidence tchèque... »

Je voudrais revenir là-dessus, parce que Nicolas Sarkozy l’a suggéré à un moment où la présidence française était déja acclamée, par la presse française et par la presse étrangère aussi. On disait que la présidence française était une totale réussite. Le problème est qu’on a tendance à s’apercevoir maintenant que ce qu’on considérait comme des réussites, par exemple l’Union Pour la Méditerranée – on ne sait pas vraiment à quoi ça sert -, et le conflit géorgien a certes été réglé sur le moment mais on voit bien que ce qui se passe en Géorgie en ce moment n’est pas très rassurant... Est-ce que les médias n’en ont pas fait un peu trop ?

Nicolas Sarkozy avec son homologue russe,  Dmitri Medvedev,  photo: CTK
« Le bilan de la présidence française était effectivement plutôt favorable sur le coup. Il a beaucoup dépendu de la façon dont Nicolas Sarkozy avait géré la crise économique, parfois de manière énergique, en essayant au moins de créer un semblant de concertation entre les Etats-membres. On a vu ensuite que ce semblant de concertation avait un peu des allures de cache-sexe et qu’en fait les réactions étaient surtout nationales. Mais enfin bon, il y avait quand même un petit vernis européen... Donc je pense que c’était le principal élément de l’évaluation sur le coup de la performance de la présidence française. La médiation de Nicolas Sarkozy dans le conflit entre la Russie et la Géorgie pendant l’été 2008 a joué un certain rôle. L’Union pour la Méditerranée, je pense que tout le monde avait déjà compris à l’époque que c’était un grand spectacle et qu’il fallait attendre de voir les résultats. Il est vrai aussi que l’offensive israélienne à Gaza a certainement ‘plombé’ les choses pour une période qui reste à définir. »

Nicolas Sarkozy,  photo: CTK
« Mais la performance évolue au fil des mois en fonction de ce qui peut rester. J’aurais quand même tendance à dire que le bilan de la présidence française, quelques mois après, reste relativement positif, même si effectivement l’énergie de Sarkozy a un terrible inconvénient : il est extrêmement imprévisible, parfois peu diplomate vis-à-vis de ses homologues – M. Topolánek l’a constaté à ses dépens – et il a tendance, surtout quand il est en position de force, à vouloir un peu trop en faire. Au risque de franchir certaines lignes rouges qui font que finalement ses collègues apprécient assez peu cette espèce d’énergie totalement imprévisible. »

A propos de lignes rouges, vous parliez du président tchèque Václav Klaus : quel est selon vous son réel pouvoir de nuisance ?

Václav Klaus,  photo: CTK
« En fait personne ne le sait... et c’est peut-être là son véritable pouvoir, parce qu’il est lui aussi très imprévisible. En tout cas, beaucoup de gens sont inquiets de la façon dont Václav Klaus va se comporter, sur la façon dont il peut éventuellement utiliser certaines tribunes qui lui seront offertes en présidant par exemple des sommets avec des pays tiers. Je pense aux sommets avec les Russes, avec les Coréens peut-être, avec les Chinois, parce qu’il a l’air de clairement revendiquer son droit à diriger ces sommets. Donc beaucoup de gens sont inquiets, il pourrait peut-être en profiter pour mener sa croisade contre la lutte contre le réchauffement climatique ou contre la ratification du traité de Lisbonne... »

« Pour l’instant, c’est vrai que M. Klaus a quand même été, au moins sur la scène européenne, relativement responsable. Mais là où les gens sont un petit peu échaudés, c’est que manifestement M. Klaus a quand même joué un certain rôle dans la chute du gouvernement, ou au moins les parlementaires qui lui sont proches en ont joué un. Du coup les gens se disent que c’est une forme de retour de M. Klaus qui peut être annonciatrice d’un comportement un petit peu moins raisonnable ou responsable. En fait on va voir, mais c’est vrai que je pense qu’il y aura quand même certaines capitales qui vont continuer à essayer de marginaliser M. Klaus pour éviter toute nuisance impromptue. »

Jan Fischer et Václav Klaus,  photo: CTK
On dit qu’on essaie de le tenir à l’écart du sommet de juin à Bruxelles, qui sera consacré au traité de Lisbonne...

« Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent sur ce sommet. Je pense que là c’est le jeu interne à Prague qui va conditionner le fait de savoir si c’est M. Klaus ou M. Fischer qui va présider effectivement le sommet.

Si c’est M. Klaus qui le préside, il y a une autre technique : essayer de vider de sa substance le sommet de juin, notamment les éléments de discussions sur les garanties données à l’Irlande dans la perspective d’un second référendum sur le traité de Lisbonne et aussi la discussion sur la tactique à adopter dans le cadre des négociations climatiques... Dans l’hypothèse où le sommet de juin serait vidé de sa substance, ça voudrait dire qu’il pourrait y avoir un nouveau sommet extraordinaire au début de la présidence suédoise en juillet. Les Suédois n’en ont pas tellement envie pour l’instant, ils espèrent sans doute que ce sera bien M. Fischer qui présidera le sommet de juin. Mais là les jeux sont encore très ouverts... »