Bohuslav Martinu dans un monde sans mémoire
C'est ce vendredi que l'opéra Bastille à Paris présente la première de "Juliette ou la Clé des songes", drame lyrique de Bohuslav Martinu sous la direction musicale de Jiri Belohlavek. Cette production mise en scène par Richard Jones attire l'attention du public sur un opéra surréaliste et étrange, qui n'en est pas moins une des oeuvres les plus accomplies de son auteur.
Dans les années 1930, Martinu tombe sur une pièce de théâtre surréaliste de Georges Neveux et c'est un coup de foudre. Le compositeur est subjugué par l'univers onirique de la pièce qu'il considère tout de suite comme un excellent sujet pour un opéra et cherche sans tarder à partager son enthousiasme avec Neveux. "J'ai relu il n'y a pas si longtemps votre pièce, lui écrit-il, et, je ne sais comment cela s'est fait mais je m'aperçois que j'ai déjà mis le premier acte en musique; si vous avez envie de l'entendre, venez me voir ..."
Georges Neveux, dont la pièce est sollicitée aussi par un autre compositeur, Kurt Weil, accepte cette invitation et écoute Martinu lui chanter le premier acte. Il n'arrive pas à résister au talent du musicien tchèque. Il est tout simplement séduit. "La rencontre a été courte mais la sympathie immédiate, dira-t-il. Martinu aimait les poètes surréalistes. De mon côté, j'étais sensible à sa musique qui se développe toujours sur plusieurs plans : la joie sur fond de mélancolie, l'ironie sur fond de tendresse. (...) J'avais retrouvé ma pièce et pourtant j'avais l'impression de l'entendre pour la première fois (...) avec cette émotion et cette profondeur que seule la musique peut exprimer au-delà des mots."
C'est dans un univers où la réalité côtoie le rêve que Martinu et Neveux plongent le spectateur. Le héros de l'opéra, Michel, un jeune commis voyageur, arrive dans une petite ville dont les habitants n'ont pas de mémoire. Michel qui n'oublie pas ce qui s'est passé, est un élément étrange dans cette ville de l'oubli. Il cherche désespérément à donner des contours concrets à son amour pour Juliette, une jeune femme qui fait partie de ce monde sans mémoire.
"Tout le spectacle est une lutte désespérée, écrira Martinu, à la recherche de quelque chose de stable à quoi l'on pourrait s'accrocher: le concret, la mémoire, la conscience à tout instant ébranlée, transposée dans une situation tragique où Michel combat pour garder sa propre stabilité, pour garder sa raison. S'il se laisse aller, il restera dans ce monde sans mémoire, sans temps, pour toujours."