Špalíček de Bohuslav Martinů, l’œuvre d’un compositeur attaché aux sources de l’enfance

« Je suis profondément convaincu de la noblesse essentielle des idées et des choses toutes simples et qui, même si elles ne sont pas exprimées par des mots pompeux et des phrases obscures, portent en elles une signification éthique et humaine. » C’est par ces mots que le compositeur Bohuslav Martinů a présenté sa Première symphonie et sa conviction se reflète dans l’ensemble de son œuvre. Elle est d’autant plus évidente dans son ballet Špalíček - L’Année tchèque inspiré par le folklore tchèque et morave. 

A la recherche d’un nouveau langage musical

Bohuslav Martinů et son épouse Charlotte,  1938 | Photo repro: Jaroslav Mihule,  'Bohuslav Martinů v obrazech'/SPN

L’année 1931 marque un tournant dans la vie de Bohuslav Martinů. Le compositeur épouse Charlotte Quennehen et rend ainsi légitime une liaison amoureuse avec cette jeune couturière qu’il a rencontrée en 1926. Et c’est au cours de cette même année qu’il se met à composer une œuvre étonnante par son originalité. Il s’agit d’un ballet en trois actes avec chant dont le livret est composé de toute une série de textes populaires et folkloriques et qu’il intitule Špalíček, ce que nous pouvons traduire librement l’Année tchèque. Selon le compositeur Vladimír Franz, Bohuslav Martinů cherchait à cette époque un nouveau langage musical pour ses œuvres dramatiques :

« En ce qui concerne la création dramatique, Martinů tente à cette époque de renouer avec la tradition et cherche une voie vers les racines de l’art théâtral.   C’est ainsi que voit le jour la première partie du cycle intitulé Le Théâtre tchèque et dont la création s’étendra sur toute la durée des années trente. La première partie du cycle est le ballet Špalíček basé sur les jeux d’enfant, les dictons et les contes de fées. »

Špalíček Bohuslav Martinů 2015

La simplicité avant toute chose

L’idée du compositeur est de retrouver une forme de la musique dépouillée de tous les ornements raffinés et qui, grâce à sa simplicité, peut atteindre les profondeurs de la vraie poésie. Il réunit donc dans le livret des textes simples, des dictons, de petites chansons populaires et des proverbes avec des contes de fées et de vieilles légendes. Avec tous ces éléments au premier abord disparates, il réussit à créer une œuvre homogène qui s’abreuve à la vitalité, à la sagesse et à la gaité du peuple. Vladimír Franz rappelle que Martinů a aussi incorporé dans le ballet une composition antérieure dans laquelle il a mis en musique la légende de sainte Dorothée :

La première du ballet en septembre 1933 au Théâtre national de Prague | Photo: Centropress/Archives de Théâtre national

« Le ballet Špalíček est composé en 1931. Au début de l’année, Martinů trouve enfin une forme convenable pour mettre en musique la légende de sainte Dorothée. Par la suite il se lance dans le travail sur Špalíček. Vers la fin de l’année, il compose les deux premières parties du ballet et au début de 1932, il achève le travail en composant le troisième acte. La première du ballet a lieu en septembre 1933 au Théâtre national de Prague suivie bientôt, en novembre de la même année, par une production au Théâtre national de Brno. »

Bohuslav Martinů lors de la première du ballet en septembre 1933 au Théâtre national de Prague | Photo: Centropress/Archives de Théâtre national

Un équilibre des sources

Polička | Photo: Aloysius,  Wikimedia Commons,  public domain

Le résultat est une œuvre qui s’adresse aux enfants mais aussi aux adultes auxquels elle rappelle les plaisirs et les élans de l’enfance. Il est évident qu’en écrivant ce ballet, Martinů s’est largement inspiré de son enfance dans la ville de Polička sur le Plateau tchéco-morave et que cette étape de sa vie a été une source intarissable des inspirations pour ses œuvres.

Le musicologue Guy Erismann, auteur d’une monographie de Bohuslav Martinů, remarquait : « Dès lors, quels que soient les succès de Bohuslav Martinů, son œuvre reposera sur cet équilibre des sources : celles de ses dons exceptionnels et celles qui coulent de son pays constituant non seulement une jouvence fertilisante mais une assurance de fidélité indispensable, face aux périls du cosmopolitisme, aujourd’hui et plus tard. »

Photo: Radio Prague Int.

Un cortège de personnages de mythologie enfantine

La première du ballet en septembre 1933 au Théâtre national de Prague | Photo: Centropress/Archives de Théâtre national

Les Tchèques retrouvent dans Špalíček les vieux dictons et de petites chansons qu’ils aimaient dans leur enfance et qu’ils apprenaient par la suite à leurs enfants et leurs petits-enfants. Le livret puise abondamment dans les contes de fée tels qu’ils ont été racontés par les écrivains du XIXe siècle Karel Jaromír Erben et Božena Němcová et devant le spectateur défilent donc de nombreux personnages de la mythologie enfantine : des diables, des magiciens, des géants, des acrobates et des jongleurs. Et l’auteur n’oublie pas non plus de nombreux représentants du monde animal comme le lion, le lièvre, la souris, le papillon, le bourdon et aussi le fameux chat botté, animal rusé qui déploie toute son astuce pour aider son maître. Dans Špalíček, le chat botté côtoie Cendrillon et les personnages d’autres contes dont Les sept corbeaux ou la Besace enchantée, dont les personnages sont en général connus et aimés par les enfants tchèques. Vladimír Franz explique par quels moyens Bohuslav Martinů a réussi à réunir tous ces thèmes dans une seule œuvre :

Vladimír Franz | Photo: Filip Jandourek,  ČRo

« Martinů a trouvé un heureux équilibre dans la narration dramatique. Il désire exprimer la situation dramatique différemment, il cherche une forme différente de celle de l’opéra romantique. Pour composer Špalíček il a trouvé une judicieuse forme abrégée qui est proche du théâtre de foire. Dans ce genre de théâtre il y a, certes, une causalité logique mais cette causalité n’est pas continuellement expliquée. On saute d’un thème à l’autre, on coupe ce qui n’est pas essentiel et on laisse au spectateur entrevoir et deviner le reste. Et ce qui ne peut pas être deviné, nous est raconté par un narrateur ou par une espèce de chœur antique. Dans Špalíček ce rôle est tenu par un chœur d’enfants. »

La première du ballet en septembre 1933 au Théâtre national de Prague | Photo: Centropress/Archives de Théâtre national

La légende de sainte Dorothée

Le sommet de l’œuvre est la légende de sainte Dorothée, l’histoire d’une jeune fille qui se consacre à Dieu, refuse la main d’un roi et pousse son audace jusqu’au martyre. Et la musique de Martinů raconte cette histoire cruelle avec une telle simplicité et une telle transparence qu’il finit par lui ôter son aspect tragique et jette une lumière resplendissante sur la catharsis finale.

Bohuslav Martinů - Legenda o sv. Dorotě

Il est difficile de définir le genre musical de Špalíček, œuvre qui marie la cantate avec le théâtre de foire et échappe donc à toute classification. Guy Erismann trouve dans cette musique aussi d’autres aspects qui accentuent encore son originalité :

« Dans sa version chorégraphique, le ballet avec chœur mixte, chœur d’enfants et solistes, dure une heure et quarante minutes et se présente en trois actes. Sa facture tient de la revue, et l’enchaînement des numéros met à l’abri de tout risque de mièvrerie qui n’existe heureusement pas dans la partition. Au contraire, parlant du jazz et de ses rythmes, Martinů ne disait-il pas que le folklore morave, plus riche en variété et en complexité que le folklore tchèque, offrait une vitalité et une richesse de rythmes que les jazzmen ignoraient. »

Bohuslav Martinů: Špalíček - Plzeňská filharmonie a Kühnův dětský sbor

Deux suites pour orchestre

Depuis sa première pragoise, le 19 septembre 1933, Špalíček revient assez souvent dans le répertoire des théâtres tchèques. Martinů, lui-même, est revenu à cette œuvre en 1940 pour donner à la partition conçue d’abord pour un petit orchestre une forme plus développée et plus riche. Et il en a tiré même deux suites pour orchestre qui ont fait connaître l’œuvre au grand public. Špalíček est donc présenté dans des théâtres mais aussi dans des salles de concert et figure avec les cantates Kytice - Le bouquet et Otvírání studánek - L’éveil des sources parmi les œuvres vocales les plus populaires de Bohuslav Martinů. Vladimír Franz conclut :

« La musique de Bohuslav Martinů dans Špalíček est comme l’arc-en-ciel. Elle est restée pure dans un siècle de haine, de guerres, de spasmes et de grimace. C’est une musique qui est comme une source dans laquelle il est bon de se laver. »

Špalíček | Photo: ZÚ Alžír/MZV ČR
Auteur: Václav Richter
mot-clé:
  • Musique
lancer la lecture

En relation

  • Pâques

    Cette année, le dimanche des Rameaux tombe le 31 march.