Boualem Sansal : « Partir c’est laisser les compatriotes dans une prison »
Invité de la foire Le Monde du Livre de Prague, l’écrivain algérien Boualem Sansal est venu dans un pays qui ne lui est pas inconnu. Sa première femme était tchèque, ses deux filles vivent à Prague et l’écrivain connaît bien la République tchèque qu’il considère comme son « deuxième pays ». Il n’arrête pourtant pas de penser à l’Algérie, sa patrie, qui reste aussi la principale source de son inspiration. C’est l’Algérie qui est le pays de son cœur mais il ne peut pas y publier ses oeuvres. Les rapports difficiles qu’il entretient avec le régime algérien ont été aussi un des thèmes de l’entretien que Boualem Sansal a accordé à Radio Prague et dont nous vous livrons la seconde partie :
« Dès mon premier roman j’ai été mis à l’index. C’est une dénonciation du régime et de l’islamisme. Le livre est sorti à un moment où il y avait une guerre civile, un moment où le pouvoir ne voulait pas de voix discordantes qui excitent les gens. Le livre a donc beaucoup dérangé mais cela n’est pas allé plus loin. Au contraire, avec mon deuxième roman, il y a eu des tentatives de récupération. On m’a offert des postes, on voulait m’inviter parce que j’étais très connu à l’étranger. Quand il se passait quelque chose en Algérie, j’étais sollicité et on m’appelait. Le Monde, les journaux, les télévisions me demandaient : ‘Qu’est ce que vous pensez des élections, etc. ?’ Et moi je continuais, comme je le fais avec vous, de dénoncer à travers les medias le régime et cela dérangeait beaucoup. »
Vous n’avez donc pas réagi à ces avances du régime ?
« Comme ces tentatives de récupération n’ont pas abouti, c’est passé à une autre étape. A mon troisième roman, ils m’ont licencié, je me suis retrouvé au chômage et comme tout est entre les mains de l’Etat en Algérie, je ne pouvais pas trouver de travail. Heureusement, mes livres ont commencé à se vendre. Avant, j’étais connu mais mes livres ne se vendaient pas. Donc j’ai eu beaucoup, beaucoup de mal. Ma femme est professeure de mathématiques dans un lycée et elle n’avait qu’un petit salaire. Et comme j’ai continué mon travail, on a licencié aussi ma femme. Du coup, on s’est retrouvé sans salaires. Cela a duré quelques années mais cela devenait de plus en plus difficile pour les autorités algériennes. Au fur et à mesure que je devenais connu, il devenait difficile pour les autorités parce qu’il y avait des articles dans la presse et des interventions. Donc la situation est là. »
Vous avez dit : «Je pense souvent à l’exile mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n’est pas ce qu’on peut appeler une bonne décision. Aujourd’hui la situation est changée. L’exil chez Obama ou chez Hollande ne vous tente pas ?
« C’est toujours très tentant. Mais il y a aussi la République tchèque puisque mes enfants sont là. La Tchéquie est donc mon pays. Depuis 40 ans je traîne quand même dans les rues de Prague. Oui, il y a beaucoup de possibilités. Je peux aller aux Etats-Unis mais je suis maintenant tellement engagé que cela est devenu toute ma vie. Je veux dire qu’il y a des combats qu’on ne peut pas faire à l’extérieur. Je ne crois pas. Comme par exemple ce militant chinois (Chen Guancheng) qui vient maintenant de partir aux Etats-Unis. ‘Il est mort’. Il aurait dû rester en Chine. Maintenant c’est fini, il est parti aux Etats-Unis. C’est vrai, les Américains vont très bien s’occuper de lui, pendant un mois, deux mois. Ils vont l’inviter dans toutes les universités, dans toutes les télévisions. Il va gagner beaucoup d’argent pendant cette année mais après c’est fini. Ses livres ne pourront pas entrer en Chine. Qu’est-ce qu’il fera ? Rien. Donc c’est une perte pour son pays et pour lui-même. Moi, je pense qu’il faut rester, qu’il aurait dû rester dans son pays jusqu’au moment où le régime communiste chinois tombe. Partir c’est laisser ses compatriotes dans une prison. L’Algérie aussi est une prison, comme on dit chez nous, une prison à ciel ouvert. Ce n’est pas normal. J’ai beaucoup de difficultés à imaginer le départ. »Ca vous dirait donc de vivre en République tchèque ?
« Ah oui, vraiment. Mes filles sont là et je les vois très peu. Si j’étais à Prague, je les verrais tous les jours, ce serait formidable. J’aime beaucoup la République tchèque, c’est un très beaux pays. Les gens, les Tchèques sont aussi très bien. Ce sont des gens très doux. Il y a beaucoup de violence en Europe occidentale. Et dans ce pays malgré tout, malgré les évolutions de ces dernières années - évidement comme partout l’argent a tout contaminé, il y a la compétition - mais malgré tout ce pays reste quand même très doux. Alors que partout ailleurs dans le monde c’est devenu horrible. »
Avez-vous encore un autre roman ou un autre livre que vous aimeriez présenter au public tchèque, au lecteur tchèque, que vous aimeriez faire traduire en tchèque ?
« Il serait bien qu’ils traduisent mon dernier livre paru en France en septembre et qui a pour titre « Rue Darwin ». Il est en partie autobiographique parce que mon histoire personnelle est très originale. Elle s’est déroulée dans un pays qui est très originale et dans une famille qui est tout à fait exceptionnelle. Donc ça ne pouvait donner qu’un roman intéressant. J’espère l’avoir réussi, il marche bien, il plaît beaucoup. Il parle moins de la guerre, il parle plus de la paix que de la guerre. C’est mon premier roman où la question de la paix est centrale. Quand je dis la paix, c’est la paix intérieure. Quand on sait, quand on a travaillé sur l’identité, sur l’historie, quand on sait des choses, on est apaisé, on se pose moins de questions. Cela se passe dans un pays où la guerre commence à finir, un pays où il y a déjà un petit apaisement. Donc ce livre est pour moi très intéressant. J’y parle des personnes, et non pas de l’Etat et du peuple. J’y parle de Jacques, de Pierre et de Jean, de leurs histoires étranges qui s’étendent sur à peu près un siècle. Et derrière, on voit un pays qui se transforme, qui était colonisé et qui change de culture, de langue et de religion, qui a traversé la guerre, est parvenu à l’indépendance et pour lequel une nouvelle étape commence maintenant. Elle n’a pas encore vraiment commencé mais le contexte est là. Donc c’est bien. »