Bouclier antimissile : « les débats en France restent marginaux »

Le bouclier antimissile américain en Europe s’annonce comme l’un des principaux sujets de débat et de discorde sur la scène internationale en 2008. Un sujet qui concerne directement la République tchèque puisqu’elle négocie avec Washington l’installation du radar nécessaire à ce bouclier sur son territoire. Entretien aujourd’hui avec Krzysztof Soloch, chercheur à l’Insitut Français des Relations Internationales où il est responsable des questions de sécurité en Europe centrale et orientale.

Quelques pays européens, outre les pays directement concernés que sont la Pologne et la République tchèque, ont déjà réagi, parfois avec hostilité envers ce projet de bouclier antimissile. En France, on n’a pas encore entendu beaucoup de réactions. Est-ce que cette problématique de la défense antimissile fait l’objet d’analyses et de débats ?

« Oui, depuis quelques années cette question du bouclier antimissile a fait l’objet de quelques débats, mais qui restent marginaux pour l’instant. On reste sur la question principale de savoir si ce programme américain est multilatéral, global, ou bilatéral. Pour les dirigeants français, jusqu’à l’arrivée de M. Sarkozy au pouvoir, c’était une question uniquement bilatérale. Avec l’arrivée de M. Sarkozy, cette question devient multilatérale et on commence à parler d’un système qui est global, qui ne concerne pas uniquement les pays comme la République tchèque et la Pologne où les Américains veulent installer les deux éléments de ce système, mais concerne également d’autres pays dans le contexte de la défense européenne. Les Américains ont développé une argumentation qui consiste à dire que ce système antimissile pourrait dans un avenir proche devenir un élément de la défense européenne. »

Nicolas Sarkozy,  photo: CTK
Cela fait aussi partie de la stratégie de M. Sarkozy vis-à-vis des pays de l’Est ? Il a voulu se démarquer de son prédecesseur Jacques Chirac disant vouloir faire « des efforts vers les pays de l’Est ». C’est-à-dire qu’on ne considérerait plus la Pologne et la République tchèque comme des Etats « à la botte des Etats-Unis », que la France est prête à discuter de ce projet avec ses partenaires européens ?

« Absolument, et c’est la troisème phase de la stratégie française à l’égard de ce projet. La première était plutôt neutre et consistait à dire « c’est un programme bilatéral ». Après, Jacques Chirac était très hostile jusqu’au retrait unilatéral du Traité ABM décidé par M. Bush, il disait que ça allait rompre le lien transatlantique. On arrive à la troisième phase avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, qui est plus compréhensif et plus tourné vers l’Europe de l’Est. Avec ses origines hongroises, il est censé comprendre mieux l’Europe de l’Est et les raisons qui poussent les Polonais et les Tchèques à entamer des négociations avec les Américains. »

Vous-même vous êtes d’origine polonaise et venez de passer quelques temps en Pologne pour étudier ces questions. Vous êtes brièvement à Prague, quelles sont d’après ce que vous avez pu observer les principales différences dans le débat tel qu’il a lieu en Pologne et tel qu’il est aujourd’hui en République tchèque ?

« Je crois que la différence, c’est l’argument principal qui explique l’adhésion à ce projet. En Pologne, on essaie d’expliquer que cet accord du gouvernement polonais est plutôt basé sur les menaces venant de la Corée du Nord et de l’Iran. Mais juste après cet argument, il y en a un autre qui est un peu caché et apparaît en arrière-plan qui consiste à dire que l’OTAN n’est plus la même organisation à laquelle la Pologne a adhéré en 1999 et ne peut plus être considérée comme un garant ultime de la sécurité de la Pologne et la Pologne a besoin de garanties beaucoup plus substantielles de la part des Américains. Les Américains et eux-seuls sont capables de garantir aux Polonais cette sécurité. Et un autre argument qui n’est pas évoqué mais reste quand même très présent : la volonté d’ancrer les Américains sur le territoire polonais et ainsi défendre la Pologne contre une menace venant non seulement du Moyen-Orient ou de l’Asie mais également des frontières proches... »

A l’origine de cette problématique du système de défense antimissile aujourd’hui, on peut remonter jusqu’à 1998 et la publication du rapport d’un certain Donald Rumsfeld. Selon vous cette problématique est-elle un enjeu politique majeur au niveau international ?

« Je crois que la prolifération des missiles balistiques venant du Moyen-Orient et de l’Asie reste une préoccupation majeure. Je voudrais rappeler que cette question a déjà été abordée en 2003 dans le cadre de la publication de la stratégie de sécurité de l’UE, dans cette « stratégie Solana » dans laquelle la menace balistique était explicitement évoquée. Maintenant, avec le programme militaire développé par l’Iran et la Corée du Nord on revient sur cette question qui pourrait effectivement devenir une question majeure dans les années à venir. Le rapport des services secrets américains qui a mis un doute sur cette question ne va pas changer grand chose : on a vu l’explication du gouvernement tchèque selon lequel l’Iran a peut-être arrêté son programme militaire en 2003 mais personne ne peut nous garantir qu’il ne va pas le reprendre dans quelques années. Cette explication est reprise par les Américains qui confirment que ce projet ne prévoit pas de bâtir un système pour le présent mais pour être opérationnel dans quelques années, lorsque l’Iran et la Corée du Nord auront développé des capacités tout à fait impressionnantes. »