Cannabis : un plan vers la légalisation en Tchéquie

Le gouvernement tchèque a validé le 5 avril un « plan d’action pour la politique dans le domaine des dépendances », qui prévoit la régulation du marché du cannabis.

Les lignes bougent en Europe sur le sujet du cannabis, avec plusieurs pays ouvrant la voie à une législation plus souple voire une légalisation de la plante, même non délestée de THC, le principal cannabinoïde psychoactif. Du côté tchèque, le projet de réforme législative est menée par le coordinateur national contre la drogue Jindřich Vobořil en coopération notamment avec un groupe d’experts dont fait partie Jan Martin Paďouk :

Jan Martin Paďouk | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« De mon point de vue, les développements récents sont très positifs et je dois rendre hommage au travail accompli depuis très longtemps par Jindřich Vobořil et son équipe, qui se base sur le fait que la politique répressive en matière de cannabis ne fonctionne tout simplement pas et qu’il faut une nouvelle approche. J’ai l’espoir que cela puisse aboutir, même si évidemment la bataille au niveau politique est encore devant nous – je reste positif quant au fait que la Tchéquie puisse devenir le deuxième pays de l’UE après Malte à légaliser le cannabis, à avoir une régulation effective du marché du cannabis. »

La semaine dernière, l’Allemagne a annoncé un projet de légalisation, finalement moins ambitieux que prévu pour ne pas être retoqué en raison des accords internationaux et de la législation européenne. Le plan tchèque table sur la création de clubs privés – un sujet qui fait encore débat comme l’explique Sébastien Béguerie, Français installé à Prague pour se spécialiser dans le CBD, autre molécule contenue dans le cannabis :

Sébastien Béguerie | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Avoir un club avec des membres nominatifs est une bonne chose mais il peut y avoir des abus si les listings ne restent pas privés. Il faut réfléchir à un système de protection de ces données sous peine de potentielle dérive autoritaire. Si par exemple la police avait accès à ces listes, cela pourrait aboutir par exemple au test salivaire pour tout conducteur figurant dessus. Cela pourrait donc entraîner des discriminations, au niveau de la police au même au niveau des employeurs. Donc oui à un cannabis club régulé, avec membres, cotisations, chartes mais attention à la bonne protection légale de ce genre d’associations avec des données protégées. »

1 voire 2 milliards de CZK de recettes fiscales : c’est le montant non négligeable que pourrait rapporter cette régulation du marché du cannabis selon le document validé par le gouvernement tchèque.

Jan Martin Paďouk :

Cannabis CBD | Photo: Felix Brönnimann,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

« Le marché illicite du cannabis est énorme en Tchéquie. Nous avons une longue tradition culturelle de consommation de cannabis. Pour être honnête, les préjugés et la stigmatisation perdurent depuis les années 1960. A la faculté de médecine, nous traitons avec du cannabis avec mon association environ 300 patients atteints du cancer. Certains docteurs sont très enthousiastes quant aux possibilités offertes par le cannabis, même par le CBD ou le CBG combiné à la chimiothérapie parfois, mais, encore aujourd’hui il y a aussi des médecins à des positions élevées qui nous accusent de dealer de la drogue et de rendre les patients dépendants. Je dois répéter que ces préparations ne sont pas addictives du tout, alors que de leur côté ils distribuent des opiacés pour atténuer les douleurs au lieu d’envisager le CBD et rien ne leur fait changer d’avis. »

« La stigmatisation reste très importante et je crois que cela doit changer. Le gouvernement gagne de l’argent sur les ventes d’alcool, qui est beaucoup plus dangereux pour la santé que le cannabis - c’est scientifiquement prouvé. Pourquoi ne pas gagner de l’argent sur un produit qui pourrait même permettre à des gens de se débarrasser de leur addiction ? J’espère donc que cela va rapporter beaucoup d’argent à l’Etat et j’aimerais que la Tchéquie va devenir un exemple pour le reste du monde. »

Une décennie en demi-teinte de cannabis médical en Tchéquie

Le cannabis médical est autorisé en Tchéquie depuis dix ans. Le bilan reste mitigé.

Jan Martin Paďouk :

« Je ne veux pas être trop sceptique mais c’est quand même plutôt un désastre ce qui s’est passé ici avec le cannabis médical. J’ai passé une bonne partie de ma vie à étudier le sujet. On a applaudi la législation mise en place en 2013 mais le système ne marche toujours pas efficacement. Heureusement les assurances-maladies remboursent davantage aujourd’hui et le nombre de patients bénéficiaires a pu être augmenté mais beaucoup de patients oncologiques continuent de recevoir de l’herbe à fumer, ce qui n’est pas du tout sain, parce que la législation sur les extraits de cannabis reste trop stricte et compliquée. »

Photo illustrative: chcifyc,  Pixabay,  Pixabay License

« J’espère qu’avec le projet actuel de régulation, nous pourrons également faire tomber les barrières qui nous empêchent encore de traiter certains patients. Beaucoup ne peuvent pas être traités avec du cannabis parce que leur diagnostique n’est pas reconnu par le gouvernement malgré les preuves scientifiques de l’efficacité et ils doivent encore recourir au marché illicite. Cela doit changer, nous avons besoin d’experts de terrain pour modifier les règles en vigueur et j’espère que le cannabis médical va faire de grands progrès en Tchéquie avec la nouvelle législation. »

Un des traitements élaborés par l’équipe dont fait partie Jan Martin Paďouk est le premier à être officiellement breveté en Tchéquie :

Jan Martin Paďouk : « Nous avons reçu un brevet européen pour le premier traitement tchèque du cancer à base de cannabis, un traitement bio-médicinal. Mais même si, après les essais cliniques, nous voulions le mettre sur le marché, nous en serions empêché par les règles en vigueur car elles n’englobent pas la forme de cancer en question dans ceux qui peuvent être traités ainsi, donc cela doit changer. »

Photo illustrative: Girl with red hat,  Unsplash

Colorado et Canada comme modèles à adapter

Pour revenir à l’usage récréatif du cannabis, de l’autre côté de l’Atlantique des étapes importantes ont déjà été franchies ces dernières années :

« Je ne pense pas qu’il y ait un pays dont la législation soit parfaite. Et même si l’Etat du Colorado ou le Canada ont des modèles intéressants, il faut comprendre que l’environnement social ou géographique est très différent, donc cela ne fonctionnera pas de la même manière. On ne peut pas faire du copier/coller, il nous faut créer un modèle propre au niveau de l’Union européenne, parce que j’espère que cela va changer dans l’Europe entière. »

Sébastien Béguerie : « Le projet tchèque est une très bonne nouvelle qui rejoint les courants internationaux comme en Thaïlande, aux Etats-Unis, au Canada et aussi à Malte où il reste quand même quelques améliorations à faire. Avec le projet allemand également dans le même temps, on voit qu’il y a une vraie tendance en Europe pour approcher la question du cannabis autrement que par la répression. »

« La régulation est pour moi la meilleure méthode pour commencer à ouvrir les esprits, à pouvoir analyser l’impact du cannabis au niveau sociétal en sortant des dogmes et des idéologies autour de la plante. Cela permettra de voir la chose de manière pragmatique pour le réguler, comme on le fait avec d’autres substances comme l’alcool, qui a des effets beaucoup plus néfastes que le cannabis. »

La prochaine étape vers la légalisation du cannabis en Tchéquie est annoncée pour cet été avec un potentiel projet de loi, qui devra encore faire l'objet d'un consensus au sein de la coalition gouvernementale avant d'être soumis au vote du parlement.

Photo illustrative: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.