Cannabis : toujours en procès, le précurseur français du CBD reste en Tchéquie
Sept ans depuis le début de ses ennuis judiciaires, le Français Sébastien Béguerie commence enfin à voir le bout du tunnel. Il est le fondateur de la marque KanaVape, qui a lancé les premières cigarettes électroniques au cannabidiol (CBD), une molécule présente dans le chanvre mais non psychotrope, à la différence du tetrahydrocannabinol (THC). Condamné en première instance par la justice française, il a récemment obtenu gain de cause devant la Cour de Justice de l’Union européenne et son cas doit être à nouveau jugé en France à l’automne. Entretien.
Sébastien Béguerie bonjour, depuis quand êtes-vous installé à Prague ?
« Je suis arrivé à Prague fin 2015, depuis presque six ans. »
Pourquoi Prague ?
« Par un concours de circonstances. Comme vous avez peut-être pu le voir dans les actualités, j’ai lancé en décembre 2014 la première marque de cigarettes électroniques au CBD en Europe, avec une campagne de presse nationale qui m’a valu les foudres de la ministre française de la Santé de l’époque… »
Marisol Touraine… KanaVape était le nom de cette marque. Expliquez-nous ce qu’est le CBD.
« Le CBD, pour faire simple, est un principe actif qu’on trouve dans le chanvre, qui n’a aucun effet psychotrope – on n’est pas défoncé avec cette molécule qui est légale et qui est dans le chanvre textile, technique – le même chanvre qu’on fait pousser pour la fibre textile ou la création d’habitacle. On voue au CBD des vertus calmantes, relaxantes, de bien-être. »
« J’ai créé en 2014 un premier produit à partir de cette molécule qui est peu connue et autour de laquelle il y a un flou juridique. Aucune loi n’a défini le cadre légal de la vente de ce produit. »
Condamné en première instance à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’à 10 000 euros d’amende
Vous avez donc été considéré comme hors la loi par la justice française…
« Oui, à l’époque j’étais un peu en avance sur mon temps – mon produit a été mal interprété par les autorités, qui estimaient que je faisais la promotion du cannabis alors que je voulais rendre accessible une molécule bienfaisante. »
Condamné par le tribunal correctionnel de Marseille à 18 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 10 000 euros d’amende, vous avez fait appel puis vous en êtes arrivé devant la CJUE, qui a rendu une décision en votre faveur en novembre dernier.
« Oui, après le jugement de première instance en 2016, on est allé devant la Cour d’appel d’Avignon, où le juge a eu le professionnalisme et le courage d’aller jusqu’au bout de la démarche devant la CJUE, pour connaître le statut de cette molécule. La CJUE a stipulé que si un produit était fabriqué de manière légale dans un autre pays membre de l’UE, il pouvait être vendu dans le cadre de Schengen dans un autre Etat membre. »
Donc cette décision vous laisse la possibilité de produire en Tchéquie pour vendre en France. Je vais citer un extrait de l’arrêt de la CJUE : « d'après l'état actuel des connaissances scientifiques, dont il est nécessaire de tenir compte, à la différence du tétrahydrocannabinol (communément appelé THC), un autre cannabinoïde du chanvre, le CBD en cause n'apparaît pas avoir d'effet psychotrope ni d'effet nocif sur la santé humaine ».
Cet arrêt a changé la donne, pour vous et également pour tous ceux qui se sont engouffrés dans la brèche du CBD. Depuis, c’est un boom phénoménal, en France mais ici aussi à Prague où on voit des boutiques ouvrir quasiment toutes les semaines. Vous êtes un peu à l’origine de tout ça…
« En effet, suite à cette décision de la CJUE beaucoup de lignes ont bougé. A Prague, beaucoup de magasins ont ouvert, beaucoup de e-shops aussi. En Slovaquie, où le CBD était considéré comme un stupéfiant il y a encore deux mois même si l’OMS dit le contraire, le CBD a été reconnu en mai 2021 comme une molécule légale. C’était un paradoxe, la Tchéquie est un des pionniers de la production de CBD et la Slovaquie avec laquelle elle partage une histoire commune a une politique sur le cannabis complètement opposée… »
« La Tchéquie a un lien assez étroit avec le cannabis »
C’est ce qui vous a amené à Prague, le fait que la Tchéquie soit pionnière en la matière. Pourquoi selon vous ?
« Je pense que c’est un concours de circonstances mais d’après ce que j’ai pu constater la Tchéquie a un lien assez étroit avec le cannabis, en tant que plante tout à fait normale à utiliser. Pour l’anecdote, quand je faisais les démarches administratives pour créer ma société en arrivant ici, on me demandait quel était mon domaine d’activité. J’étais un peu timide au début mais quasiment à chaque fois la réaction était de type ‘ah oui ma grand-mère fait pousser du chanvre dans son jardin et elle se fait de la pommade qui l’aide pour l’arthrose, etc.’. Les Tchèques ne diabolisent pas du tout le cannabis. D’ailleurs jusqu’en 2017 ils étaient les plus gros consommateurs en Europe… »
Avec une législation plutôt tolérante en la matière…
« Tout à fait. Et donc moi en 2014 quand j’ai cherché un laboratoire pour me fournir en CBD, je suis rapidement tombé sur la Tchéquie via le salon Cannafest. J’y ai rencontré des Tchèques avancés dans le domaine et qui travaillaient avec l’université de chimie pour l’extraction du CBD. De ce fait je suis venu en Tchéquie, pour me rapprocher de la source. »
Aujourd’hui, les produits que vous proposés sont tous fabriqués ici en Tchéquie ?
« Oui, tous. J’ai commencé au départ par un test, Alpha-cat, que j’ai créé après mon master en science des plantes aux Pays-Bas, à l’université de Wageningen qui est l’une des meilleures au monde pour les sciences naturelles. Dans mes travaux de recherche, je suis tombé sur une méthode d’analyse pour détecter les taux de cannabinoïdes dans les produits finis (fleurs ou produits dérivés). J’ai créé un kit pour un test pas cher. »
Qui a besoin d’un tel test aujourd’hui ?
« Les producteurs de chanvre, les extracteurs, les formulateurs pour les produits dérivés, les chercheurs, et évidemment les forces de l’ordre qui sont confrontées à une nouvelle problématique : faire la différence entre la fleur de CBD et la marijuana illégale… »
Qui ont la même apparence…
« Oui, et c’est souvent compliqué pour les autorités de trancher. »
Vous avez aussi des crèmes et des huiles…
« Et des capsules. »
Pour quel usage ?
« Clairement un usage bien-être : pour les gens qui ont du mal à s’endormir ou qui sont stressés. L’huile a une action beaucoup plus rapide, tandis que la capsule passe par le système digestif et a une action plus lente. Les crèmes que je propose sont calmantes et régénérantes, avec un taux de récupération important qui intéresse notamment les salons de tatouage pour soulager la peau. »
Le CBG, booster de CBD
A côté il y a ce que vous appelez le CBD ludique, notamment celui à vaper. Est-ce que tous ces produits sont issus de plantes qui poussent ici en Tchéquie ?
« Non. C’est la beauté de l’Europe ! J’ai des producteurs de chanvre répartis dans plusieurs pays européens, notamment du Sud pour des meilleures plantes avec le soleil. Et en fonction des produits, je vais avoir des labos différents, qui sont en Tchéquie mais aussi en Suisse et en Allemagne. »
On parlait du CBD, il y également le CBG (cannabigérol). Vous en utilisez également ?
« Oui, dans le chanvre il y a en tout à peu près 140 cannabinoïdes, comme le THC et le CBD. Parmi ceux récemment isolés, sans effet psychotrope comme le CBD, est le CBG. Je vais simplifier : le CBG va booster l’effet du CBD, les deux ayant plus ou moins les mêmes propriétés relaxantes et apaisantes. »
Le CBD jouit d’un meilleur marketing…
« Oui et surtout il est beaucoup moins cher ! »
Qu’est-ce qui fait la différence ?
« En fait le CBG se trouve en moins grande quantité dans la plante, donc il faut plus de plantes pour l’extraire. Il y a aussi des variétés spécifiques et ces raisons économiques ont fait que le CBG n’arrivait que maintenant. La recherche et le développement dans l’industrie ont fait que le CBG est plus abordable désormais. Il coûtait quatre fois le prix du CBD ; désormais seulement le double – cela évolue très rapidement. »
Suite de cet entretien la semaine prochaine. On parlera notamment avec Sébastien Béguerie de la prochaine échéance de son procès en France en octobre et de l’évolution de la législation en Tchéquie.