Carole Gadet : « Rassembler les enfants et les séniors apporte de la joie à tout le monde »

Carole Gadet

Mieux vivre ensemble demain – voilà l’objectif d’un projet intergénérationnel, développé depuis plus de dix ans par l’association française Ensemble demain, en partenariat avec le ministère de l’Education nationale. Rencontre aujourd’hui avec Carole Gadet, chargée des projets intergénérationnels au ministère et responsable de l’association Ensemble demain qui a récemment présenté ce concept à Prague. Vous entendrez également Silvie Pýchová, spécialiste de l’éducation enthousiasmée par ce projet qui fait pour l’instant défaut en République tchèque.

Carole Gadet
Le projet Ensemble demain est basé sur des ateliers pédagogiques qui permettent aux jeunes jusqu’à 16 ans, parfois aussi à des étudiants, de travailler soit avec des retraités actifs qui ont plus de 60 ans, soit avec des retraités dépendants, placés dans des maisons de retraite médicalisées ou dans les centres d’Alzheimer. Carole Gadet avait initié les premières rencontres intergénérationnelles en France, en tant qu’enseignante, dans ses classes de ZEP (Zone d’éducation prioritaire). On l’écoute :

« Les ateliers que nous avons créés dépendent des programmes scolaires et, dans leur cadre, les jeunes et les personnes âgées travaillent autour de la lecture, du conte, de l’histoire et du patrimoine, de la science, de la danse et de la chanson d’hier et d’aujourd’hui… Il y a également des activités physiques : de la gymnastique douce, du yoga. »

Pourquoi est-il si important que les jeunes travaillent ensemble avec les personnes âgées, alors qu’ils ont, on suppose, leurs propres grands-parents ?

« Le problème est que nous avons de plus en plus de familles recomposées, éclatées. Beaucoup d’enfants voient peu leurs grands-parents, de même que leurs parents. Ils ont peu de possibilités de partager des activités avec eux. La structure familiale est très éclatée. Le fait de recréer un lien intergénérationnel permet effectivement aux jeunes qui ne connaissent pas trop leurs racines et leur passé de construire leur identité. Nous avons l’idée d’organiser des formations en République tchèque, pour sensibiliser le grand public à ce sujet, à travers des expériences qui existent ici. Il faut savoir que ces projets-là ne s’improvisent pas. Ils nécessitent une formation du public enseignant et du public retraité, pour établir un vrai programme commun. C’est un projet construit pédagogiquement et non pas une petite activité sur l’année… C’est pour cela que ça fonctionne. Le principe est que les enseignants recommencent chaque année. Ce qui est intéressant, c’est la durée. »

Photo: Ensemble demain
Pourriez-vous nous raconter une histoire concrète, l’histoire peut-être d’une amitié née grâce à ce projet ?

« J’avais, dans ma classe, un élève très difficile. Il s’appelait James et il avait neuf ans. Il vivait avec sa mère et c’était assez compliqué dans le milieu familial. C’était un enfant très violent : il tapait sur les enseignants, sur ses camarades, il était presque déscolarisé. Lorsqu’il est arrivé dans ma classe, nous avons effectué tout un travail de fond sur l’engagement civique, la responsabilité et les règles de vie, ainsi que sur la maison de retraite et la notion de grandir et vieillir. Ensuite, nous avons emmené les élèves, y compris James, en maison de retraite. Là, James est tombé amoureux de Francine, une dame de 108 ans. Pour lui, Francine est devenue une star. Une des pires privations pour lui était de lui interdire d’aller à la maison de retraite. Cela faisait rire mes collègues professeurs, cela dérangeait presque les adultes à l’époque. En fait, les enfants qui ont le plus de difficultés à l’école vont retrouver, grâce à ce type de projet, grâce à ce lien affectif qu’ils n’ont peut-être pas dans leur famille d’origine, une envie d’aller à l’école, de s’investir. James s’est remis à lire, parce qu’il fallait lire des livres à Francine, il s’est remis à écrire, parce qu’il voulait envoyer des lettres à Francine. Par ailleurs, c’était une femme extraordinaire qui a appris aux enfants à valser, elle a connu Edith Piaf… Dès que Francine arrivaient, les enfants se mettaient à applaudir et à chanter avec elle. Ce que les adultes ne comprennent pas forcément aujourd’hui, c’est que mettre ensemble les enfants et les personnes âgées, même dépendantes, cela apporte beaucoup de joie, de gaité et de rire. »

Cela pourrait peut-être aussi motiver les enfants et leurs parents à fréquenter plus souvent les grands-parents, à s’occuper davantage des rapports qui existent au sein de leur propre famille…

Photo: Ensemble demain
« Effectivement, les parents nous disent que depuis que leurs enfants vont en maison de retraite, en club du troisième âge ou depuis qu’ils travaillent avec les retraités, ils demandent plus souvent à aller voir leurs grands-parents, ils veulent en savoir plus sur leur passé, faire des activités avec eux. Ils veulent aller les voir ‘autrement’. Après pratiquement quinze ans d’études sur le projet, effectuées par des enseignants, des médecins, des psychologues, les élèves sont motivés à travailler sur la langue, sur l’engagement civique, sur l’histoire… Du côté des personnes âgées, on s’aperçoit que ce projet apporte aux personnes les plus dépressives, isolées et malades une énergie nouvelle, une stimulation et une valorisation. »

En République tchèque, l’éducation intergénérationnelle se limite, pour l’instant, à des projets isolés et beaucoup plus modestes, comme nous le raconte Silvie Pýchová. Elle dirige l’association SKAV qui regroupe plusieurs ONG actives dans le domaine de l’éducation :

« En République tchèque, les écoles primaires, les collèges et les lycées, sont assez autonomes dans le développement de leur programme. Nous ne savons donc pas exactement combien d’écoles organisent des projets similaires. En plus, l’éducation intergénérationnelle n’est pas une priorité de l’enseignement tchèque. Elle existe, mais elle n’est pas appliquée de façon systématique. Ce n’est pas une activité programmée et coordonnée au niveau national ou régional. Ce sont plutôt des initiatives spontanées qui viennent souvent du besoin des communautés locales. »

Pouvez-vous donner l’exemple d’une école qui s’y est lancée ?

Silvie Pýchová
« Oui, il s’agit d’un projet assez exceptionnel mis en place par une école de Rožnov pod Radhoštěm (dans les monts des Beskides, à l’extrême nord-est du pays, ndlr). Cette école y est arrivée un peu par hasard. Les élèves ont commencé à fréquenter les personnes âgées de la maison de retraite locale et à ce moment-là, les enseignants se sont rendu compte de toute la dimension humaine, du côté affectif de ces rencontres. Finalement, l’école a tourné un film dans lequel les personnes âgées ont montré aux jeunes les endroits où ils avaient vécu dans leur enfance et leur jeunesse. Mais ce n’est pas tout, les jeunes, de leur côté, ont invité les seniors chez eux, ils leur ont montré leurs chambres, en leur expliquant ce qu’est un snowboard et ce qu’il y a sur les affiches qu’ils mettent sur les murs. Les jeunes ont fait un réel effort pour s’exprimer sur leur mode de vie, sur leur comportement. J’ai beaucoup apprécié ce côté peu ordinaire du film. »

Des formations destinées, dans un premiers temps, aux professeurs intéressés par le projet « Ensemble demain » devraient être désormais organisées en République tchèque.