Cassandre, un monodrame pour Fanny Ardant

Fanny Ardant au cours de la répétition de Cassandre, photo: Institut français de Prague

C’est le mythe de Cassandre, fille de Priam, roi des Troyens, qui revit dans le monodrame musical de Christa Wolf et de Michael Jarell. Cette œuvre insolite qui rappelle les grands oratorios pour récitants et orchestre de Stravinsky ou de Honegger a été présentée au Théâtre de la comédie à Prague, le lundi 12 avril, par l’actrice Fanny Ardant et l’orchestre Prague Modern sous la baguette de Michel Swierczewski. Ce dernier a évoqué cette production ambitieuse au micro de Radio Prague.

Michel Swierczewski,  photo: www.narodni-divadlo.cz
« C’est un monodrame, c’est-à-dire que c’est une pièce pour un orchestre et une récitante. Dans l’orchestre il y a dix-sept instruments, plus des sons qui sont joués par un clavier et qui ont été créés par l’IRCAM à Paris. Tout cela accompagne un texte de Christa Wolf, cette grande écrivaine allemande, sur le mythe de Cassandre, mais revisité bien sûr. »

Qu’est-ce donc, un spectacle à mi-chemin entre l’opéra et le théâtre dramatique, entre le théâtre chanté et le théâtre parlé ?

« Il y a une grosse différence avec l’opéra. Dans l’opéra la plupart du temps l’orchestre accompagne le chanteur. Bien sûr, il y a un tempo qui est imposé par le compositeur et qui est ensuite réglé entre l’interprète et le chef d’orchestre, mais en fait c’est l’orchestre qui accompagne le chanteur. Alors que là, dans 90% des cas de cette pièce, la récitante doit obéir à une espèce de carcan de tempos, de vitesse de diction qui lui est imposé par le compositeur et par l’orchestre. Donc, c’est quasiment le contraire, finalement. »

C’est Fanny Ardant qui campe l’unique rôle de ce spectacle. Quel a été le rôle de Fanny Ardant dans la genèse de cette production ?

Fanny Ardant au cours de la répétition de Cassandre,  photo: Institut français de Prague
« Elle est à la genèse de cette production. Elle a été invitée par l’Institut français de Prague pour la présentation de son film ‘Cendres et sang’ à l’Institut français avec une discussion avec le public etc. Et souvent, dans de tels cas, l’Institut français demande aux acteurs qui viennent de lire des textes. Cela s’est passé avec Trintignant, cela s’est passé avec d’autres personnes. Et là, Fanny Ardant qui, comme on le sait, a de plus de plus de projets qui contiennent de la musique, a dit : ‘Moi, finalement j’aimerais faire autre chose, j’aimerais faire Cassandre de Michael Jarell’. Je dois dire que j’étais le premier à être surpris parce que je connais très, très bien Michael, c’est un bon ami. J’ai créé beaucoup de ses pièces, mais ça été une surprise totale quand même. Fanny Ardant a fait à Paris la pièce ‘Master class’ où elle joue le rôle de Maria Callas, et elle vient de faire une pièce qui s’appelle ‘Music-hall’. De là à faire une pièce d’une heure de musique contemporaine, avec des sons créés à l’IRCAM, avec un texte extrêmement difficile à dire, cela demande un engagement énorme. Et donc l’Institut s’est embarqué dans le bateau et la production s’est faite comme par un coup de baguette magique. »

Le texte de « Cassandre » est de Christa Wolf. Quelle est l’image que l’écrivaine allemande donne de cette princesse de Troie, de ce personnage mythologique ?

«Cela se passe après la prise de Troie puisque Cassandre le raconte. Les prophéties se sont déjà accomplies mais, en fait, derrière le texte qui raconte cette histoire de la mythologie grecque, finalement si l’on regarde bien, c’est plutôt à mon avis, au second degré, tout ce qui s’est passé en Europe centrale et en Europe au XXe siècle. L’Europe centrale était un berceau artistique et culturel de civilisations où les gens échangeaient. Et puis au XXe siècle ça a été la catastrophe qu’on sait avec la Deuxième Guerre mondiale, avec le partage de l’Europe entre l’influence américaine et l’influence soviétique après les accords de Yalta, cette espèce de glacis tombé sur l’Europe centrale, avec l’élimination aussi pendant la Deuxième Guerre mondiale d’une grande partie de l’intelligentsia. Finalement cette prise de Troie, ce désastre, c est peut-être ça que ça représente. »

Quelles sont les qualités principales de ce texte. C’est un texte très dramatique ou plutôt une espèce de réminiscence ?

« Ah non, c’est un texte extrêmement dramatique et plein de nuances, avec des ruptures dramatiques extraordinaires. C’est un texte extrêmement théâtral. »

Parlons maintenant des qualités musicales de cette œuvre. Avez-vous créé une formation spéciale pour interpréter « Cassandre » ?

La répétition de Cassandre,  photo: Institut français de Prague
« Vous savez que nous essayons de former depuis maintenant quelques années un ensemble dédié à la musique contemporaine qui était d’abord issu de l’orchestre Prague Philharmonia (PKF). Maintenant je dois dire que le Prague Modern, puisque c’est son nom, existe aussi légalement, c’est vraiment devenu une structure juridique indépendante. Ce sont donc des musiciens de formations orchestrales tchèques. Bien sûr, il y a un gros noyau qui vient du Prague Philharmonia. Nous essayons de créer réellement ce qui pourrait devenir quelque chose comme l’Ensemble intercontemporain ou le London Sinfonietta tchèques. Je pense que c’est extrêmement important. Evidemment pour ‘Cassandre’ nous n’avons pas encore dix-sept ou dix-huit musiciens permanents au Prague Modern. Nous recrutons petit à petit. Mais se sont en général des gens qui ont déjà joué dans la série de concerts de musique contemporaine ‘Le Bel aujourd’hui’ de façon régulière. »

Qu’est ce que ce travail vous a apporté ? Est-ce que c’est quelque chose de nouveau dans votre carrière ?

« Ce n’est pas quelques chose de nouveau parce que ça fait vingt-cinq ans que je dédie une grande partie de mon temps à aider les compositeurs vivants. Je considère que c’est quelque chose d’extrêmement important, c’est même une des principales parties de mon travail, je dois dire. Je suis très heureux de faire cette pièce. Je me ressource en faisant ce genre de concerts. Et surtout, je considère comme très important de jouer cette musique avec l’ajout de tout ce qu’apporte l’électronique d’aujourd’hui. La lutherie électronique, ce n’est pas quelque chose pour faire du bruit. C’est quelque chose destinée à augmenter les capacités de couleurs d’un orchestre. Je suis certain, et cela se fait déjà de plus en plus, que les orchestres symphoniques adopteront l’électronique. C’est quelque chose d’obligatoire. »

Comment travaillez-vous avec la voix de la récitante pour ne pas la couvrir par l’orchestre ? La voix est-elle amplifiée ?

Michael Jarell
« Bien sûr, l’orchestre et la voix sont amplifiés. Tous les instruments sont amplifiés. Ce que Michael Jarell veut pour l’orchestre, c’est créer un espace acoustique. Ce n’est pas une amplification de puissance, c’est une amplification de couleurs. Sa pièce est très française, c’est vraiment dans la lignée de Debussy, Ravel, Messiaen, Boulez, Dutilleux. C’est un jeune compositeur avec son propre langage mais on sent tout à fait la filiation. Ce que veut Michael Jarell au niveau de l’orchestre, c’est une amplification légèrement réverbérée, et passer d’une couleur instrumentale à l’autre par un système des fondus enchaînés extrêmement subtil. Par contre pour Fanny Ardant, pour la récitante, c’est une amplification destinée à lui permettre de parler doucement sans être couverte, parce que ce n’est pas une chanteuse. C’est une actrice et ça serait d’ailleurs ridicule qu’elle se mette à déclamer comme une chanteuse. C’est vraiment un texte d’acteur. »

Fanny Ardant au cours de la répétition de Cassandre,  photo: Institut français de Prague
Vous avez fait toute cette production, tout ce grand travail pour un seul spectacle ou y aura-t-il une suite, peut-être une tournée, pour que le public d’autres villes ait la possibilité de le voir ?

« Evidemment, on ne fait pas un si lourd travail, qui est un grand investissement, pour Fanny Ardant comme pour nous, sans penser qu’il peut y avoir une suite. Nous espérons beaucoup faire une tournée avec cette production, vraiment beaucoup. »

Y aura-t-il un enregistrement de cet œuvre ?

« Pas pour le moment. Il existe déjà un enregistrement qui a été fait avec l’actrice française Astrid Bas et l’Ensemble Intercontemporain dirigé par sa directrice actuelle Susanna Mälkki, c’est un très bon enregistrement. On pourrait très bien imaginer une mise en scène filmée. C’est un spectacle dont on pourrait très bien faire un film. »