Cérémonie d’investiture : Miloš Zeman a fait du Miloš Zeman
Réélu en janvier dernier, Miloš Zeman a été investi, jeudi après-midi, pour un second mandat de président de la République. Un mandat qu’il a entamé comme il avait achevé le précédent : avec la volonté de provoquer.
« Ce n’était pas un discours constitué de phrases vagues et générales. Au contraire, c’était un discours très concret. Il a soulevé certains thèmes et a contraint l’assistance à réfléchir à ce qu’il disait. C’était donc un discours de Miloš Zeman auquel nous sommes habitués. »
Si certains osaient penser, contrairement au vice-président du parti social-démocrate Jiři Zimola, que le locataire du Château de Prague pourrait vouloir être plus rassembleur lors d’un second mandat plus consensuel que le premier, ils savent dès à présent qu’ils se sont trompés sur toute la ligne. Long d’une vingtaine de minutes, interminables pour certains députés qui ont préféré quitter la salle plutôt que d’écouter jusqu’au bout cette cascade de venin présidentiel, le discours du chef de l’Etat a d’abord servi à ce dernier à régler ses comptes avec ses critiques et adversaires. Des opposants plus nombreux que les quelque centaines de personnes qui, dans le même temps, ont marché dans les rues de Prague pour protester tout à la fois contre l’arrogance et l’agressivité d’un président qu’ils ne considèrent pas comme étant le leur, les changements climatiques et la violence contre les femmes. C’était à la carte pour les participant(e)s à cette manifestation appelée « Les femmes au château ! ».Faute de femme - dont pas la moindre ne figurait parmi les onze candidats à l’élection présidentielle en janvier dernier - les Tchèques ont donc conservé Miloš Zeman à leur tête jusqu’en 2023. Et celui-ci, qui a rassuré l’auditoire sur son état de santé en indiquant qu’il vivrait au moins jusqu’à 90 ans, a clairement fait comprendre ce qu’il entendait faire durant son prochain quinquennat : poursuivre ce qu’il a entrepris durant les cinq années précédentes. Et si l’on s’en tient à son discours jeudi, ses relations avec les médias figurent parmi ses priorités. Un peu plus de dix jours après l’assassinat en Slovaquie voisine du journaliste d’investigation Ján Kuciak (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/lassassinat-en-slovaquie-dun-journaliste-rappelle-la-liquidation-souhaitee-par-le-president-zeman), affaire qui a suscité une vive émotion en République tchèque aussi, les attaques présidentielles sont toutefois très mal passées auprès de certaines oreilles. La députée du parti ODS Miroslava Němcová précise pourquoi elle et certains de ses collègues ont préféré quitter la salle :
« Le président a promis sur la Constitution, qui date de 1920, qu’il remplirait ses fonctions dans l’intérêt de tous et la première chose qu’il a faite quelques minutes plus tard a été de critiquer les médias et de remettre en cause leur liberté, alors que celle-ci est indispensable dans une société démocratique. J’ai alors estimé que je n’avais pas d’autre solution pour manifester mon désaccord que de me lever et de partir. Je ne pouvais pas demander à prendre la parole. »Vice-présidente de TOP 09, un autre parti conservateur, Markéta Pekarová Adamová a elle aussi préféré couper court :
« Cela a été une réaction spontanée à ce que nous entendions. Nous ne nous attendions absolument pas à un tel discours et nous n’avions rien planifié préalablement. Nous nous sommes rendus à la cérémonie, car nous considérons qu’il s’agit là de notre devoir de parlementaires. Par contre, nous ne considérons pas qu’il soit de notre devoir d’écouter de telles attaques contre la liberté des médias. Nous pensons que nous pouvons en être épargnés. »
Tous n’étaient cependant pas de cet avis. Députée membre du mouvement ANO dirigé par le Premier ministre Andrej Babiš, Radka Maxová a ainsi critiqué cette réaction :
« Je pense que monsieur le président a prononcé un discours pondéré, même si je reconnais que j’aurais moi aussi préféré qu’il soit plus rassembleur. Je n’ai pas vu d’un bon œil le départ de la salle de certains de mes collègues, je ne pense pas que cela était indispensable malgré le fait, c’est vrai, que le président ait lancé un signal dans ce sens. »
Les Pirates, eux, ont adopté encore une autre attitude, justifiée par leur leader Ivan Bartoš :« Nous ne sommes pas partisans des gestes démonstratifs, nous ne sommes pas au théâtre. En revanche, nous n’avons pas applaudi le discours de monsieur Zeman, et ce à la différence d’une grande majorité de l’assistance. Cela me semble bien plus grave. Néanmoins, me concernant, ce discours ne m’a pas surpris. »
Au final, les Tchèques, ne serait-ce que la petite majorité d’entre eux qui ont voté en sa faveur en janvier dernier, ont donc eu droit à ce qu’ils attendent de « leur » président Miloš Zeman. C’est du moins l’avis du chef du gouvernement Andrej Babiš :
« Les électeurs ont apprécié et jugé à leur manière le premier mandat de monsieur le président. Ce sont eux qui l’ont réélu au suffrage direct. Notre société est divisée et certains se plaignent toujours de quelque chose, mais espérons que ceux qui se disent démocrates acceptent le principe de la démocratie et le résultat de l’élection. »Après le discours de jeudi, on en doute cependant d’autant plus fort.