Cinéma : décès d’Ivan Passer, un des grands de la Nouvelle Vague
Il pensait que les films, comme les hommes, ont une vie ; que certains sont éphémères, quand d’autres laissent une trace. Le cinéaste tchèque Ivan Passer s’est éteint jeudi dernier, à l’âge de 86 ans, aux Etats-Unis, où il vivait depuis de nombreuses années. Ami de Miloš Forman et figure de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, il a tourné en République tchèque puis à Hollywood après son exil, et ses films lui survivront.
Né à Prague, Ivan Passer compte parmi les pionniers de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, courant cinématographique initié par des étudiants de l’Académie du film de Prague dans les années 1960, et dont la figure incontournable est certainement le réalisateur Miloš Forman. Une cinquantaine d’années plus tard, en 2008, Ivan Passer était revenu sur ces années importantes et heureuses de sa vie, au micro de Radio Prague :
« C’était une période excitante car il y avait le Printemps de Prague qui se tramait à ce moment-là, avec tout l’espoir en l’avenir qu’il faisait naître chez les gens. Il y avait une sorte de conspiration de masse, les gens se sentaient liés par quelque chose qu’ils avaient en commun, ce qui de nos jours fait un peu défaut. Je me souviens surtout des bonnes choses. Nous faisions des films passionnants à cette époque. Chacun de nous était différent, mais nous venions tous de la même école, alors nous étions en compétition, mais sur une base très amicale : nous lisions les scénarios des autres, nous nous aidions, nous nous donnions des conseils... C'était une époque merveilleuse de ce point de vue. »
Le premier long-métrage d’Ivan Passer, intitulé ‘Eclairage intime’, est considéré comme l’un des meilleurs films tchèques jamais réalisé. Trésor d’authenticité et emblématique du ‘cinéma du rien’ que le réalisateur promouvra toute sa vie, le film capture le quotidien d’une famille ordinaire résidant dans un village tchèque. On est alors en 1965, aux prémices du mouvement de contestation général qui conduira, en 1968, au Printemps de Prague.Un an auparavant, alors que le régime communiste tchécoslovaque et son président, le conservateur Antonín Novotný, sont la cible de contestations croissantes, Forman réalise ‘Au feu les pompiers !’, allégorie politique et satire de la Tchécoslovaquie de l’époque. Le film, dont Ivan Passer a participé à l’écriture, est sévèrement critiqué par le Parti communiste et provoque un scandale retentissant dans tout le pays. Redoutant de ne plus pouvoir exercer librement leur art, Miloš Forman et Ivan Passer décident de fuir vers l’Autriche, peu après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes, en 1968. Ils y parviennent, grâce à l’indulgence d’un douanier cinéphile, et s’exilent aux Etats-Unis :
« Je suis parti à cause de l'invasion soviétique. J'ai participé avec Miloš Forman à un film intitulé ‘Au feu, les pompiers !’, et ce film a été condamné par le Parti communiste. Je savais que nous aurions fini quelque part dans une mine d'uranium, si ce n'est pire ! C'est pourquoi nous avons fui. Au départ nous ne pensions partir qu’un an. Et nous voilà quarante ans plus tard. »
Ivan Passer s’installe à New-York en 1969, avec l’intention de délaisser le cinéma en raison d’un niveau d’anglais qu’il juge insuffisant, pour se consacrer à des ‘petits boulots’. C’était sans compter sa rencontre avec le dramaturge David Scott Milton, dont il adapte la pièce ‘Né pour vaincre’ en 1971, offrant à un dénommé Robert De Niro « son premier rôle d’acteur professionnel », comme Ivan Passer se plaisait à le rappeler.Ce n’est qu’en 1981 qu’il réalise sa plus grande œuvre, ‘Cutter’s Way’, dont le titre français ‘La Blessure’ a progressivement disparu. Thriller politique, le film raconte l’enquête menée par Alex Cutter (Jeff Bridges), traumatisé de la guerre du VietNam, et son ami Richard Bone (John Heard) pour élucider un meurtre, dans une Amérique qui détonne avec le mythe américain. Un film empreint d’une délicatesse assumée qui désarme, comme dans beaucoup des films de Passer, lui-même fondamentalement non-violent et marqué par des scènes de violence dont il avait été témoin pendant l’occupation de la Tchécoslovaquie. Echec commercial à sa sortie dans les salles, ce n’est que récemment que ce chef-d’œuvre a été redécouvert – et continue à l’être depuis -, et largement salué par la critique.
Attaché au « rien », qui à l’en croire peut « raconter beaucoup de choses cachées », Ivan Passer a porté à l’écran des marginaux, qui refusent ou échouent à se formater au système, quel qu’il soit. Il restera dans les mémoires comme un grand réalisateur, mais aussi comme l’un des acteurs du renouveau cinématographique tchèque.