Cinéma : « Slovo », chronique d’une famille tchèque en 1968

'Slovo'

La puissance d’une promesse est au cœur du nouveau film de la réalisatrice tchèque Beata Parkanová intitulé « Slovo » (The Word). Début juillet, ce drame intimiste qui raconte la vie dans la Tchécoslovaquie communiste au moment de l’invasion du pays par les Soviétiques en 1968 a remporté les prix de la mise en scène et de l’interprétation masculine au Festival international du film de Karlovy Vary.

En 2021, le plus important festival de cinéma en Tchéquie a présenté le film documentaire « Rekonstrukce okupace » (Reconstitution de l’occupation) du réalisateur Jan Šikl, montrant des images inédites de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie dans la nuit du 20 au 21 août 1968.  En 2022, cet événement fatidique est revenu sur le devant de la scène à Karlovy Vary, mais cette fois à travers une fiction.

 Une fiction basée sur une histoire vraie  

Présenté en compétition, « Slovo » (Le mot, en français) est le deuxième long-métrage de la cinéaste Beata Parkanová, 37 ans. C’est aussi le deuxième volet d’une trilogie, librement inspirée de la vie de cette scénariste et réalisatrice de talent. Dans son premier film « Chvilky » (Moments), en lice au festival de Karlovy Vary en 2018, Beata Parkanová racontait ses expériences de jeunesse. Dans le film « Slovo », elle remonte dans le temps et crée des personnages proches de ses grands-parents. Au micro de Radio Prague Int., Beata Parkanová a expliqué :

Beata Parkanová | Photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

« Quand j’écrivais le scénario, en 2016, je me préoccupais beaucoup, dans mon esprit, de mon rapport à la parole. C’est-à-dire à l’engagement, à la promesse. Je me demandais à quel point j’étais capable de tenir ma parole et les autres aussi. A l’époque, il me semblait que peu de gens respectaient leurs engagements. Cela m’a rappelé l’histoire de ma grand-mère et de mon grand-père qui remontait aux années 1968-1969. »

« Cette histoire, je la connaissais bien, ils me l’ont racontée car j’ai passé beaucoup de temps avec eux quand j’étais enfant. Je me suis dit que leur vie pouvait bien montrer ce qui se passe quand vous êtes dans une situation extrême et votre intégrité morale est mise à l’épreuve, quand vous devez prouver votre caractère et votre force intérieure. »

Un notaire de province déchiqueté par la politique

Le personnage principal, Václav Vojíř, est juriste. Avec sa femme Věra et leurs deux enfants, ils vivent dans une ville de province anonyme. En tant que notaire, il subit les pressions du Parti communiste, dont les fonctionnaires viennent régulièrement le voir au bureau pour le convaincre de rejoindre leurs rangs. Homme de principe, le notaire résiste à leurs menaces et intimidations.

Son attitude se heurte à l’incompréhension même au sein de sa famille : la sœur de sa femme et son mari essayant eux aussi de le convaincre de se comporter de manière « raisonnable », donc de faire des compromis pour pouvoir mener une vie confortable. Survient l’invasion soviétique du pays et la santé de Václav, qui s’attend à être sanctionné par les communistes, se détériore au point qu’il doit être interné dans un hôpital psychiatrique.

Une histoire vraie, comme le raconte Beata Parkanová :

« Effectivement, mon grand-père était notaire dans une petite ville. Pour pouvoir occuper un tel poste, il fallait obligatoirement être communiste, mais lui a toujours refusé d’adhérer au parti, de même que ma grand-mère. Mon grand-père était très gentil et respecté, les gens l’aimaient. C’était son atout. Alors les communistes l’ont finalement laissé exercer son métier, c’était probablement avantageux pour eux, parce qu’il était un bon juriste, assidu et rigoureux. »

« Après août 1968, il a souffert de graves dépressions et a été hospitalisé à plusieurs reprises. Ensuite, il est revenu au travail, mais il a continué à subir une pression de la part du régime. A la fin du film, le couple déménage dans une autre ville, mais en réalité, mes grands-parents sont restés. Ils ont pleuré de joie quand Václav Havel a été élu président de la République, après la révolution de Velours. Mon grand-père a pu ensuite consulter son dossier conservé dans les archives communistes. »

'Slovo' | Photo: Bontonfilm

Pour son scénario, Beata Parkanová a même tiré des extraits de ce document qui contient toute sorte d’informations concernant son grand-père, réunies par des agents communistes et leurs collaborateurs. « Nous avons survécu à la guerre, nous survivrons à tout cela », telle est la devise de Věra Vojířová qui a apporté un soutien sans faille à son mari notaire, dans le film comme dans la réalité. Beata Parkanová décrit ce personnage assez fascinant inspiré de sa grand-mère :

'Slovo' | Photo: Bontonfilm

« Je voulais porter à l’écran une femme dont le comportement ne change pas vraiment. Dans les films contemporains, les personnages évoluent psychologiquement, mais je voulais montrer au contraire quelqu’un qui est fidèle à lui-même du début jusqu’à la fin. Cette femme est une battante. C’est elle qui décide et à chaque fois que son mari s’écroule, elle l’aide à se relever. Je montre aussi ses moments de faiblesse et sa douleur cachée, dont presque personne n’est au courant. »

Les chars dans Prague comme en août 68’ ?

Tourné avant l’invasion russe de l’Ukraine, « Slovo » fait partie des films qui résonnent étrangement avec l’actualité. Son sujet, universel, a attiré beaucoup d’attention au Festival de Karlovy Vary. Beata Parkanová :

'Slovo' | Photo: Bontonfilm

« C’est assez étrange. Pendant le tournage et le montage, nous avons pensé, avec mon équipe, tourner un film au sujet historique, avec un message universel : tenir sa parole est important, au sein d’un couple et vis-à-vis de la société. A chaque fois que je pensais aux événements d’août 1968, je trouvais incroyable que des chars puissent être dans des rues, traverser des villes. Je pensais qu’à notre époque, il n’était plus possible de vivre quelque chose de pareil. Pour moi, les chars étaient quelque chose d’obsolète, quelque chose qui n’était plus utilisé. »

'Slovo' | Photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

« Puis, la guerre a éclaté en Ukraine. Soudainement, notre film est devenu d’actualité. Nous avons réalisé que l’invasion d’août 1968 pouvait se reproduire à n’importe quel moment et qu’on pouvait facilement faire face à la même situation que les personnages du film, dire les mêmes choses qu’eux… C’est une sensation forte et… angoissante, oui. »

Beata Parkanová est actuellement en plein tournage de son troisième long-métrage intitulé « Světýlka », l’histoire d’une petite fille de six ans confrontée à la crise conjugale de ses parents qui se passe au début des années 1990. Le film « Slovo », avec Martin Finger et Gabriela Mikulková dans les rôles principaux, sortira dans les salles de cinéma en Tchéquie le 15 septembre prochain.