Claude Lanzmann : « Le livre d’Artur London m’a convaincu du mensonge radical des procès politiques des années 50 »
Jeudi dernier, le réalisateur de Shoah, Claude Lanzmann, était à Prague pour présenter le documentaire de son ami décédé prématurément, Bernard Cuau, dans le cadre du festival Jeden Svet. Ce film, inédit en République tchèque, intitulé « Les mots et la mort : Prague au temps de Staline » date de 1995 et évoque de manière très personnelle les procès politiques dans les années 1950 en Tchécoslovaquie. Pour Claude Lanzmann, cet intérêt de son ami pour ce sujet vient du fait qu’il avait profondément compris l’horreur de ces procès et connaissait en outre personnellement Marta Slanská, la femme de Rudolf Slanský, un des condamnés à mort.
« Je pense qu’il a été lié à la Tchécoslovaquie pour des raisons personnelles et qu’en même temps, même s’il n’était pas le seul car nous tous avons profondément expérimenté la déshumanisation de l’homme qui a pris place ici, l’extermination du langage, comme il le dit lui-même dans le film qu’il a fait. Je ne sais pas s’il a vécu les choses de la même façon que moi. Ce qui a été décisif pour moi, c’est le livre d’Artur London, L’Aveu. Ce livre m’a complètement bouleversé, complètement convaincu de la justesse absolue de ce que London disait et donc du mensonge radical des procès. J’ai connu London, je l’ai d’ailleurs rencontré plusieurs fois avec Simone de Beauvoir. »
J’aurais aimé évoquer votre documentaire « Un vivant qui passe ». Dans la somme de témoignages que vous avez recueillis pour « Shoah », vous n’avez pas utilisé un des entretiens, avec un Suisse, Maurice Rossel, délégué du Comité international de la Croix rouge. Lui est allé pendant la guerre à Auschwitz et aussi à Terezín, près de Prague, un camp qui avait été élevé en une espèce de ghetto modèle par les nazis. Comment l’avez-vous rencontré ?
« Rossel ne voulait pas parler en fait, il ne voulait pas me voir. J’ai insisté pendant des années. Et un jour je suis arrivé chez lui sans le prévenir, en Suisse. J’ai pris un air très gentil et je lui ai dit ‘excusez-moi, je n’ai pas pu vous téléphoner, mais ça ne durera pas longtemps’. J’ai commencé à lui parler très doucement d’autres choses. Une des questions centrales de toute cette histoire, une des questions centrales de Shoah, c’est ‘qu’est-ce que c’est que savoir ?’ Rossel a en effet été à Terezín et s’est laissé prendre à ses propres préjugés antisémites, parce qu’il était fatalement du côté des forts. Il a fait un rapport rose sur ce qu’il avait vu. Il n’a rien vu. Il n’a pas été capable de voir. Ce qui est frappant, c’est qu’il dit que s’il devait réécrire ce rapport aujourd’hui, il écrirait le même, sachant ce qu’il a appris depuis. Ce n’est pas une attitude très sérieuse. »