Droits de l’homme - Festival One World : pas que des documentaires cette année

Depuis 26 ans en Tchéquie, le mois de mars est marqué par un événement cinématographique unique en son genre du fait de son ampleur : le festival de films documentaires sur les droits de l’homme. Reconnu internationalement, le festival One World (Jeden svět) déroge cette année à la règle du tout-documentaire puisque quelques films de fiction figurent à l’affiche.

En dépit - ou à cause - de son grand âge, 26 ans, le festival du film documentaire a décidé cette année de se faire peau neuve, avec un nouveau logo et un nouveau spot qui misent tout deux sur la sobriété. Mais surtout, la nouveauté de cette année consiste en l’introduction de fictions aux côtés des traditionnels films documentaires. Une nouveauté que relativise le directeur du festival Ondřej Kamenický :

Ondřej Kamenický | Photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo

« Pour nous c’est un changement qui est complètement naturel parce que nous pensons que la frontière est parfois poreuse entre les documentaires et les films de fiction. Certaines fictions adoptent une perspective documentaire et vice-versa. Ce n’est donc pas si nouveau pour nous, car nous diffusons des films disons hybrides depuis longtemps. »

« Aujourd’hui nous avons simplement décidé de mélanger ces deux genres dans différentes catégories. J’ajoute qu’en ce qui concerne les films nous avons essayé de varier les sujets traités et les pays d’origine, par exemple nous avons des films qui viennent du Kurdistan, du Yémen, de Lybie, du Myanmar. Dans tous ces pays l’industrie cinématographique n’est pas très développée, et même au niveau des documentaires, très peu nous viennent de ces régions-là. »

'The Burdened' | Photo: One World

Les spectateurs pourront ainsi assister à la représentation de The Burdened, dans lequel une femme yéménite est contrainte d’avorter dans un pays instable politiquement et économiquement. Ou encore à celle de Terrestrial Verses, portrait satirique de l’oppression quotidienne en Iran. Les Indésirables, du réalisateur français Ladj Ly, fait aussi partie de la vingtaine de fictions qui seront diffusées, toutes dans des catégories hors-compétition.

'Les Indésirables' | Photo: One World

Une tribune de sensibilisation…

Malgré ces quelques changements au niveau de la forme, sur le fond le festival ne transige pas. Volet artistique de l’ONG humanitaire tchèque People In Need (Člověk v tísni), le festival illustre cette année encore les grandes crises humanitaires de notre époque en accordant une place particulière à la guerre en Ukraine et au conflit au Moyen-Orient. Néanmoins, et fidèle à sa mission de sensibilisation, il met également en lumière ces tragédies invisibles qui se déroulent en sourdine, loin des projecteurs, comme l’explique Ondřej Kamenický :

'20 Days in Mariupol' | Photo: One World

« Nous avons évidemment mis en lumière l’Ukraine car nous pensons que ce conflit, qui dure depuis plus de deux ans maintenant, doit continuer à être suffisamment couvert dans les médias. En tant que festival consacré aux droits humains nous pensons que c’est notre rôle de documenter ce qui se passe là-bas et nous allons continuer de le faire dans le futur.

'Three Promises' | Photo: One World

« Nous évoquons aussi la situation au Moyen-Orient, avec une catégorie entière dédiée à cette région du monde, au sein de laquelle nous diffusons des documentaires et films qui viennent de Libye, d’Iran, de Syrie. Et bien sûr, dans cette catégorie nous nous intéressons aussi au conflit israélo-palestinien, avec par exemple le documentaire Three promises, qui fait partie de la compétition. Des débats auront lieu sur la situation actuelle en Palestine.

'Flickering Lights' | Photo: One World

Ensuite nous présentons des films du Myanmar car c’est un exemple de pays où le conflit en cours est largement sous-documenté, notamment dans les médias tchèques. Mais il y a évidemment beaucoup d’autres conflits, beaucoup d’autres cas de violation de droits humains dont nous allons parler cette année, car nous ne voulons pas nous concentrer sur une seule situation. »

Cette année le festival n’a pas de thème donné, mais sept catégories hors compétition ont vu le jour aux côtés des quatre catégories de films qui concourent pour un prix : Ecosystèmes, Moyen-Orient, A la recherche de la liberté, Sur les rives de la maturités, Identités, Communautés et Structures de pouvoir.

'Under the Sky of Damascus' | Photo: One World

 … et une plateforme d’expression artistique

Mais que la gravité du sujet ne fasse pas oublier la dimension artistique du festival, puisqu’il s’agit, n’oublions pas, de cinéma. Le genre du documentaire peut recouvrir une palette de créations très diverse. Du documentaire journalistique, comme 20 jours à Marioupol, aux expériences de réalité virtuelle avec les dix films qui concourent dans cette catégorie, le festival illustre cette diversité. Cette année, une œuvre particulièrement originale est d’ailleurs présentée, comme l’explique Ondřej Kamenický :

'Knit's Island' | Photo: One World

Nous sommes très contents de présenter le film « Knit’s Island », qui prend littéralement place dans un jeu vidéo. C’est complètement nouveau pour nous de se dire qu’on peut raconter une histoire dans ce cadre, et je pense que pour les documentaristes aussi, c’est du jamais-vu. D’ailleurs ce jeu vidéo, DayZ, a été développé par une entreprise tchèque qui s’appelle Bohemia Interactive. »

Pour tourner ce documentaire, les trois réalisateurs, tous français, ont créé leur propre avatar et sont partis à la rencontre des joueurs dans le jeu vidéo. Le film est donc entièrement constitué de captures d’écran du jeu, ce qui ne manque pas de provoquer chez le spectateur une certaine confusion entre le réel et le virtuel.

Knit's Island - trailer

Le site d’investigation Abzas Media lauréat du prix Homo Homini

Abzas Media est lauréat du prix Homo Homini | Photo: One World

Car parler des droits humains, c’est aussi évoquer ceux qui les défendent, dans le cadre du festival est décerné chaque année le prix Homo Homini à des activistes ou des groupes qui œuvrent en ce sens. Cette année c’est au site d’investigation azerbaïdjanais Abzas Media que sera remis ce prix, pour le continuel travail d’enquête effectué par ses journalistes sur les affaires de corruption et de violations des droits de l’homme dans le pays. Un travail difficile dans cet Etat qui figure au 151ème rang sur 180 au classement mondial de Reuters sur liberté de la presse. En novembre 2023, six membres du média ont été arrêtés sur ordre du président azerbaïdjanais Ilham Aliev alors qu’ils enquêtaient sur des pratiques de torture commises au sein des institutions de l’Etat.

Le festival se déroule du 20 mars au 21 avril à Prague et dans de nombreuses autres villes de Tchéquie et à Bruxelles. La plupart des films sont sous-titrés en tchèque et en anglais. Des débats et des analyses de films seront également organisés. La première invitée de renom ce mercredi sera la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, qui parlera entre autres de son dernier film, Green Border.

https://www.oneworld.cz/