Collecte des données sur Internet : l’heure est à la méfiance et à la vigilance
Ces dernières années, des affaires comme celles de Cambridge Analytica ont révélé au grand public l’utilisation qui est faite des données personnelles sur Internet. Pour mieux comprendre les dangers de ces pratiques, l’Institut français de Prague a invité le sociologue Dominique Cardon, directeur du MediaLab de Sciences Po Paris, à donner une conférence sur les nouvelles frontières d’Internet.
« L’enjeu qui est véritablement central, c’est qu’à partir du moment où une banque, une caisse d’assurance et un opérateur numérique commencent à échanger des données sur les gens, un risque de panoptique émerge (un système de surveillance totale, ndlr). Ce n’est pas simplement ce que je raconte sur Facebook qui peut être surveillé, ce qui est déjà un problème en soi, mais les choses que je raconte, que j’achète et mon crédit bancaire pourraient aussi se voir mis en relation. Dans les faits, ce n’est pas exactement le cas, mais il y a des raisons de se méfier et d’être très vigilant sur ces questions. »
Cette utilisation massive des données présente aussi le risque d’être étendue au domaine politique. Dominique Cardon ne s’inquiète pas tant des velléités politiques des patrons de ces entreprises, mais plutôt de la création d’un nouveau modèle basé sur l’analyse de nos comportements :
« L’idée qui est en germe dans l’esprit de la Silicon Valley est celle d’une autre forme de la politique : un paradigme d’un ‘gouvernement par les données’, d’un gouvernement scientiste par les données. C’est le sentiment qu’il y a quelque chose de corrompu dans la politique parce que ce sont des humains, qu’ils sont faillibles, qu’ils ont des intérêts particuliers… Ces gens disent qu’on devrait s’occuper des problèmes de retraite, d’assurance sociale ou de handicap grâce à des décisions gouvernées par les données. Ce modèle monte et a des échos partout dans l’évaluation des politiques publiques et dans le développement très fort, dans les pays européens, de politiques expérimentales. »Afin de préserver les libertés personnelles des citoyens, l’Union européenne a récemment commencé à réguler l’utilisation des données sur Internet. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est ainsi entré en vigueur le 25 mai dernier et renforce notamment les dispositions en matière de consentement de l’utilisateur ainsi que son droit à effacer certaines de ses données. Selon le chercheur français, la volonté de légiférer en la matière ne date toutefois pas d’hier :
« Ce Règlement est en discussion depuis dix ans, et s’il n’y avait pas eu l’affaire Snowden, il le serait encore. Il y a vraiment eu une prise de conscience des Etats européens qu’il fallait faire quelque chose, ce qui a accéléré le processus. »Pour rappel, Edward Snowden, un informaticien ancien employé de la CIA et de la NSA aux Etats-Unis, avait révélé en 2013 au grand public l’existence de programmes de surveillance électronique à grande échelle de la part des Etats-Unis et du Royaume-Uni.
La nouvelle législation européenne sur les données personnelles a le mérite d’exister mais elle n’est probablement pas suffisante. Pour Dominique Cardon, il convient que chaque utilisateur réfléchisse à son utilisation d’Internet :
« La justification constante des plateformes et des nouveaux services, et donc des situations d’addiction et de monopole qui sont créées autour de ces plateformes, est de dire que les gens les trouvent utiles. La question se pose donc de savoir quelle utilité je suis prêt à sacrifier pour que ma vie personnelle ne soit pas complètement aspirée par ses plateformes, ou pour que le service n’ait pas des effets sociaux néfastes et dangereux. »