Collectionner ou accumuler la monnaie

Le ducat de Saint-Venceslas, photo: Musée national

Une grande exposition consacrée à la monnaie et à son histoire s’est achevée l’été dernier au Musée national à Prague. En compagnie du coordinateur de ce projet intitulé « Penize » (Argent) Vojtěch Poláček, Radio Prague vous a déjà proposé de revenir sur l’évolution des échanges, en République tchèque et dans le monde, à travers le prisme de cet instrument de paiement. Pour les retardataires n’ayant malheureusement pas eu le temps de satisfaire leur curiosité, voici un petit cours de rattrapage pour envisager l’histoire de certains des usages sociaux de la monnaie.

Le ducat de Saint-Venceslas,  photo: Musée national
Depuis la monnaie de pierre, de poisson séché, ou même de graine de café jusqu’aux cartes de crédit, les instruments d’échanges ont largement évolué et nous avions eu l’occasion de le constater lors d’une précédente émission. Mais la monnaie, outre son aspect pratique, recouvre aussi un aspect largement symbolique. Elle est le moyen pour un Etat, pour un pouvoir, d’affirmer son autorité sur un territoire donné, d’écrire et d’inscrire une histoire et des valeurs, de montrer la richesse et la prospérité.

Ceci, la collection rassemblée à l’occasion de l’exposition l’illustre bien. Il y a par exemple le denier (denár en tchèque) de Boleslav, le premier témoignage de pièce de monnaie en terres tchèques, apparue au IXe siècle et qui dit quelque chose du processus de constitution d’un Etat en cette contrée. Plus de mille ans plus tard, l’édition de certaines pièces participent encore de la légitimation d’un pouvoir, en l’occurrence, après 1918, de celui du nouvel Etat tchécoslovaque. Vojtěch Poláček développe :

« Voici une pièce appelée ducat de Saint-Venceslas, ducat édité directement par la Première République tchécoslovaque en 1923 et à un tirage limité à 5000 unités. La pièce numérotée de chiffre un a été donnée à notre premier président Tomáš Garrigue Masaryk, lequel en a ensuite fait don au Musée national. »

Il s’agit donc d’une pièce d’une très grande valeur. En 2006, un exemplaire d’un ducat de Saint-Venceslas, édité à huit unités en 1937, a par exemple été vendu à 1,2 million de couronnes (plus de 40 000 euros), une somme record à l’époque pour une pièce de monnaie tchécoslovaque.

Vojtěch Poláček,  photo: ČT24
Car la monnaie est également un objet de collection. La numismatique est très ancienne mais Vojtěch Poláček précise que cette étude des pièces et des médailles n’a été réellement popularisée qu’à la fin du XIXe siècle. Cette passion pour les pièces de monnaie a également aujourd’hui quelques effets pervers pour le monde archéologique :

« Malheureusement, des personnes armées d’un détecteur de métaux se spécialisent dans la recherche de ces pièces. Et, en plus des archéologues, par exemple du Musée nationale, des « détecteurs privés » découvrent des pièces anciennes. Le problème, c’est qu’ensuite ils les gardent quand bien même ils n’en ont pas le droit. Parce qu’en République tchèque, tout ce que vous trouvez dans le sol appartient à l’Etat, qu’il s’agisse de trouvailles archéologiques ou de matière première. Si vous découvrez un filon d’or sous votre mais, il ne vous appartient pas. »

Voilà qui peut apparaître dommage, surtout si l’on met la main, dans son jardin, sur une pièce telle que les 100 ducats d’or de Ferdinand III, dont le Musée national présentait également un des deux exemplaires qu’il possède :

100 ducats d’or de Ferdinand III,  photo: Musée national
« Sa valeur ne repose pas seulement sur le fait qu’elle est composée de 350 grammes d’or, mais surtout parce qu’il n’en existe que six au monde. Cette pièce a été éditée par Ferdinand III, à l’occasion de son couronnement pensaient tout d’abord les spécialistes. Mais lors de l’édition de la pièce, le couronnement était déjà vieux de deux ans, et une théorie populaire dit plutôt que c’était pour célébrer le rétablissement de l’Empereur d’une mauvaise maladie. »

Ces pièces étaient réunies au sein d’un même espace, concentrant certaines des possessions les plus précieuses du Musée nationale et illustrant la fonction ostentatoire de la monnaie : des bijoux, des diamants, de la vaisselle et des œufs de Fabergé, à l’authenticité discutable. Pour celui qui a de l’argent, il faut visiblement faire étalage de luxe et de distinction d’ordre tout aussi matériel que culturel.

Ces industries ont pu participer à la richesse du royaume de Bohême, notamment au XIVe siècle grâce aux mines d’argent de Kutná Hora, avec la ruée de milliers de personnes venues faire fortune ou tout du moins essayer d’améliorer leur sort. On a aussi extrait de l’or du sol tchèque et des industriels aimeraient pouvoir poursuivre cette activité encore aujourd’hui, notamment dans le nord du massif de la Šumava, mais, pour l’heure, ils se heurtent aux populations situées sur les terres qui les intéressent et aux pouvoirs publics. Cette exploitation des minerais précieux, l’exposition « Penize » l’évoque à sa manière :

Photo illustrative
« Ici, nous avons une pierre d’apparence banale et plutôt pour illustrer le type de matériau dont l’or est extrait. La plupart du temps, ce n’est pas cette belle poudre ou ces belles pépites mais des roches qu’il faut travailler chimiquement pour espérer en récupérer un peu d’or. Selon une certaine théorie économique, il est rentable d’extraire de l’or si on obtient un demi gramme d’or sur une tonne de roche. »

La théorie économique était précisément l’objet de la suite de la visite avec de nombreux penseurs du capitalisme et quelques-uns de ses critiques. Quelques entreprises ou produits de consommation emblématiques de ce système économique viennent agrémenter la démonstration :

« Nous montrons ensuite un symbole de l’entreprise en République tchèque, en l’occurrence avec Baťa, société de fabrication de chaussures fondée sous la Première République avec une chaîne de travail très organisée. On parlait d’un Etat dans l’Etat. Tomáš Baťa s’occupait beaucoup de ses ouvriers avec la construction d’écoles et la mise à disposition de logements. Il s’est ensuite développé à l’étranger, pour plusieurs raisons, parce que la guerre puis les communistes sont arrivés. »

Photo: Musée national
Vojtěch Poláček poursuit en remarquant que cette réussite du capitalisme paternaliste s’est accompagné d’une destruction du réseau des artisans du secteur et en particulier des cordonniers. Le chômage, la persistance de la misère, les inégalités sociales et économiques, que cette course à l’accumulation d’argent sous-tend sont des phénomènes abordés, relativement marginalement, par l’exposition. Ainsi, il est plus signalé le rôle des sociétés caritives et par exemple l’une des plus vieilles d’entre elles :

« Nous ne voulions pas diviser « de façon marxiste » l’espace d’exposition donc nous avons également présenté des formes de solidarité que sont les différentes fondations ou œuvres caritatives. Par exemple avec la famille des Fugger, qui sont parmi les premiers banquiers en Europe centrale, en Allemagne. Dès le XVIe siècle, ils proposaient le système de la Fuggerei dans la ville d’Ausbourg, l’un des plus anciens exemples de logement social qui fonctionne encore de nos jours dans les mêmes bâtiments qu’à l’époque. »

L’exposition « Penize » ambitionnait ainsi de montrer que l’argent et la monnaie se retrouvent au cœur de nos sociétés contemporaines pour le meilleur et pour le pire.