Au Musée régional de Jílové u Prahy, de l’or en barre… et en couronne
Le bling-bling historique vous intéresse, mais vous n’avez pas envie de faire la queue pour admirer les joyaux de la couronne de Bohême (exposés du 17 au 30 septembre au Château de Prague) ? Prenez plutôt la direction de Jílové u Prahy et de son Musée régional, où est exposée jusqu’à la fin du mois de septembre une réplique de la couronne de saint Venceslas, et ce dans le cadre d’une nouvelle exposition permanente sobrement intitulée « Zlato » (« L’or »), qui met à l’honneur la tradition aurifère locale.
A une vingtaine de kilomètres au sud de Prague, sur les hauteurs de la rivière Sázava, Jílové u Prahy est une petite ville dont le toponyme peut sembler trompeur : si son sous-sol est largement fait d’argile – « jíl », donc –, ce n’est pas à proprement parler la terre glaise qui a contribué à l’expansion de la commune, mais le métal noble et précieux qui en était extrait : l’or !
Et le Musée régional a récemment ouvert au public une nouvelle exposition permanente qui présente ce métal jaune sous différents aspects : géologique, géographique, alchimique et, bien évidemment, historique. Car à Jílové u Prahy, l’activité d’extraction a commencé au Moyen Age et a perduré jusqu’en 1968, comme l’explique la directrice du musée, Šárka Juřinová :
La ruée vers l’or
« L’époque des derniers représentants de la maison des Luxembourg, au XIVe siècle, marque l’apogée de l’extraction de l’or, et cela a eu une importance considérable sur le développement de la colonie minière qui était située là où se trouve aujourd’hui la ville de Jílové u Prahy. En effet, en 1350, la colonie minière a été promue au rang de ‘ville minière aurifère royale’. Mais s’ensuivent les guerres hussites ; l’extraction décline alors, et la ville avec elle… Par la suite, Jílové ne s’est plus développée ; néanmoins, au XIVe siècle, c’était véritablement une ville en plein épanouissement. Oui, c’était la ruée vers l’or. »
« Toutefois, en 1968, il a été mis un terme à l’extraction, car avec la chute du cours de l’or, l’activité n’était plus rentable. Et elle n’a ensuite jamais été relancée. »
Non que la source se soit tarie : selon Šárka Juřinová, quelque quatre tonnes d’or se trouveraient toujours dans le sous-sol de la commune. Certains souhaiteraient voir reprendre son extraction ; toutefois, vu le coût financier que cela impliquerait, l’activité ne serait pas rentable et n’aurait donc aucun intérêt pour l’Etat, qui est propriétaire de ces réserves. De plus, le fort impact écologique de l’extraction ne serait certainement pas bien vu par les défenseurs de l’environnement…
L’âge d’or d’une ville aurifère
La mine d’or de Jílové n’est pas le seul ancien site d’extraction de cet élément chimique sur le territoire de l’actuelle République tchèque : il y avait autrefois des sites d’extraction à Zlaté Hory (dans les monts Jeseníky) ainsi que dans les monts Métallifères, par exemple. Néanmoins, celui de Jílové était particulièrement considérable, comme l’explique encore Šárka Juřinová :
« Au XIVe siècle, Jílové était un des secteurs d’extraction d’or majeurs à l’échelle de l’Europe centrale. Sur toute la période d’extraction, 11 tonnes d’or ont été extraites à Jílové, dont 6 du temps des derniers représentants de la famille des Luxembourg. »
« Il est l’or, monseignor ! »
Comme Louis de Funès dans le film La Folie des grandeurs, il fut donc un temps où la commune roulait sur l’or, au point qu’elle a permis à Charles IV de financer ses grands projets, et a fourni une partie de l’or nécessaire à la fabrication de la couronne de saint Venceslas. Pour cette raison, la nouvelle exposition Zlato consacre une de ses salles à l’effigie des billets de 100 couronnes – une pièce rouge et or avec une animation murale reproduisant l’intérieur de la chapelle de la Sainte-Croix du château de Karlštejn. Et jusqu’au 30 septembre, les visiteurs peuvent même y admirer une réplique (appartenant à la région de Bohême centrale) de la couronne de saint Venceslas, qui avait été commandée par Charles IV pour son couronnement en 1347.
Rue des mineurs, Rue sous les galeries, Rue des mines de minerai… Si l’extraction d’or n’est plus d’actualité à Jílové u Prahy, le passé minier de la ville est littéralement présent à tous les coins de rue ! Šárka Juřinová présente les autres attractions de la ville mettant à l'honneur cette longue période de l’histoire locale :
« Ici, le sous-sol est parcouru de nombreuses galeries. Elles sont partout sous nos pieds, sous la ville et ses environs ! Trois d’entre elles sont accessibles au public. Elles appartiennent à notre musée et peuvent être visitées avec un guide d’avril à fin octobre. Bien sûr, il y a beaucoup d’autres galeries ‘non officielles’ et fermées, mais je ne conseille vraiment pas de s’y aventurer. »
« Par ailleurs, le Musée régional est situé dans l’ancienne ‘maison de la monnaie’, où était installée au Moyen Age l’administration minière royale qui contrôlait l’ensemble de l’extraction de l’or. Nous nous trouvons donc au cœur de l’action ! Et en partant de la place principale, juste devant le musée, on peut suivre le sentier d’interprétation ‘Les mines d’or de Jílové’. Long de 3 km environ, il guide les visiteurs sur les traces de l’extraction, et les différents panneaux d’information leur indiquent ce qui se trouvait à différents endroits. Le sentier fait passer par l’atelier de traitement de l’or, par des endroits où le relief du terrain est marqué par des dépressions ou autres signes de l’activité minière passée, etc. »
Pépites et lingots
Outre l’histoire aurifère régionale, l’exposition Zlato présente l’or sous différents aspects, ainsi que son exploitation dans le reste du monde. On peut ainsi admirer une réplique de la plus grosse pépite d’or au monde, la Welcome Stranger, qui a été trouvée en Australie en 1869 et pèse 72 kg ! Par ailleurs, une salle appelée « La boîte à bijoux » présente au public les utilisations diverses et variées de l’or dans notre vie quotidienne, de la joaillerie à l’électronique. Et à la fin de sa visite, le curieux peut essayer de soulever d’une main une réplique de lingot d’or. Pas évident, vu qu’il pèse 12,7 kg !
Ce qui est toutefois bien moins lourd que le trésor le plus conséquent jamais découvert sur les terres tchèques – qui méritait bien, lui aussi, de figurer dans l’exposition. Šárka Juřinová :
« Ici, c’est le trésor le plus conséquent jamais trouvé sur notre territoire – et ce à Podmokly, dans la région de Plzeň, au XVIIIe siècle. Un fermier avait alors trouvé dans un champ 50 kg d’or sous forme de quelque 7000 pièces en or appelées ‘bols d’arc-en-ciel’ (en tchèque ‘duhovky’). Il s’agit de pièces de monnaie celtes, et la légende disait qu’après la pluie, on pouvait en trouver là où l’arc-en-ciel touche la terre. Mais en réalité, c’est qu’après la pluie, ces pièces étincellent et sont donc plus faciles à repérer… »
« Quoi qu’il en soit, dans le cas de ces 50 kg d’or trouvés dans un récipient en bronze, il s’agissait d’un trésor exceptionnel… A l’époque, cela a provoqué une véritable ruée vers l’or à Podmokly, et tous les villageois se sont précipités sur les lieux… Mais le propriétaire du village, le prince Fürstenberg, l’a appris, et a voulu tout récupérer et confisquer en faisant usage de la violence. La plupart de ces bols d’arc-en-ciel ont ensuite été fondus pour fabriquer des ducats de Fürstenberg. Seule une infime partie de ces bols d’arc-en-ciel a été sauvegardé, et quelques-uns d’entre eux sont conservés au Musée national. »
Le Musée national tchèque n’est pas le seul à faire des affaires en or : selon un communiqué de presse récemment publié par la boutique en ligne Zlaté rezervy, spécialisée dans la vente d’or et d’argent d’investissement, ces dernières années, en Tchéquie, les petits épargnants seraient de plus en plus nombreux à placer leurs économies dans ces deux métaux précieux. Selon les estimations, il pourrait s’agir de 20 tonnes d’or environ, d’une valeur estimée à plusieurs dizaines de milliards de couronnes. Et dans la plupart des cas, à la différence de leurs ancêtres qui faisaient montre de leurs richesses sous forme de bijoux et objets de valeur, mais aussi à la différence d’autres pays où les épargnants stockent leur or directement auprès du négociant, les Tchèques d’aujourd’hui conservent leur or loin des regards… et bien au chaud à la maison.
Le fantôme pick-pocket du musée
Si vous êtes de ceux-là, laissez bien vos pépites au coffre-fort avant de venir visiter le Musée régional de Jílové u Prahy : il paraît que le spectre d’Edward Kelly, propriétaire du bâtiment à la fin du XVIe siècle, également alchimiste a priori peu scrupuleux, hante les lieux pour chiper les effets personnels des visiteurs… et des employés du musée !