Colours of Ostrava : de la musique et des festivaliers du monde entier
33 000. C’est le nombre de visiteurs qui ont répondu présents à Colours of Ostrava cette année. Pour sa douzième édition, ce festival de musique multi-genre a de nouveau battu son record d’affluence. Du 18 au 21 juillet dernier, plus de cent groupes ont fait vibrer les planches de huit scènes officielles, tandis que de nombreuses autres performances, programmées ou pas, n’ont jamais rompu le fil de la musique. Venus de République tchèque ou d’ailleurs, seuls, en famille ou entre amis, les dizaines de milliers de festivaliers ont formé un patchwork de visages variés, fidèle à l’esprit du festival. Retour dans cette rubrique touristique sur cet événement musical à travers une série de portraits.
Le trio islandais Sigur Rós, très souvent cité comme le groupe le plus attendu, a ouvert la première soirée du festival. Bordé en arc de cercle par un chapelet de stands où se restaurer, le terrain de la scène principale s’étend sur 16 000 m2. Pour les milliers de festivaliers rassemblés devant le jeu de lumières évanescentes et les images cosmiques mis en scène par Sigur Rós ce soir-là, l’effet est grandiose. Sur cette même scène, se produiront les jours suivants des artistes tout aussi attendus, tels que The Knife, Asaf Avidan, Woodkid, Damien Rice, et sur une scène-binôme : Bonobo, The XX, ainsi que deux groupes vedettes en République tchèque : les Tata Bojs et les Pražský výběr.
Ces noms de renommée internationale ne disent rien à Zuzana et Jaromír, mais leurs deux fils, âgés d’une vingtaine d’années et forcément plus dans le coup, les mettent à la page. Peu importe, ils sont surtout venus pour passer du bon temps avec leurs amis d’Ostrava. Pour eux, Colours est un moment de convivialité, un rendez-vous parfaitement accordé aux températures du mois de juillet. Ils expliquent :« Je pense que c’est vraiment le moment parfait pour organiser un tel événement. La période est idéale, un peu après la mi-juillet. On retrouve nos amis, on rencontre des gens, ce sont les vacances, on a le temps, il fait beau, il fait chaud, et puis il y a tout ce qu’il faut : à boire, à manger, des magasins pour les souvenirs, tout est très bien organisé. »
Des enfants de tous âges courent autour des pivovary (stands de bière), attendent leur tour pour être maquillés ou dorment à l’ombre dans leur poussette. Des activités sont prévues pour eux durant l’après-midi jusqu’à 20h, tandis que les plus téméraires assistent avec leurs parents aux concerts du soir. C’est le cas des enfants de František âgés de 8, 7 et 4 ans :« Nous avons pris un billet à la journée, puisqu’on est venu avec les enfants. Jusqu’à maintenant tout se passe bien. Tout à l’heure, on a remmené le plus petit à la maison, car il était fatigué, mais finalement il a tenu à revenir avec nous pour la soirée. Pour nous, c’est une sorte de test, car c’est la première fois qu’on emmène les enfants à un festival. On ne savait pas trop à quoi s’attendre, et finalement cela s’avère une très bonne idée, les enfants s’amusent beaucoup, il y a plein d’activités organisées pour eux, c’est donc super. »
Les enfants de František apprécient particulièrement les groupes africains dont la musique est généralement rythmée et sur laquelle ils peuvent danser, penchant également partagé par Zuzana et Jaromír qui félicitent l’éclectisme du festival. Le succès de Colours réside selon eux dans l’effort de rassembler des groupes venant du monde entier. Partant du principe qu’un festival est l’occasion de découvrir des groupes inconnus à leur répertoire, ce couple d’une cinquantaine d’années partage l’idée que la musique se fie des frontières. Jaromír :« On ne fait pas de différence entre les groupes tchèques et les groupes étrangers. On va à tous les concerts sans distinction particulière. Par exemple, Aziz Sahmaoui, c’était dingue. C’est un groupe qui vient du Sénégal. Je vous recommande de jeter un œil sur leur site internet, c’est incroyable. La musique à Colours est très cosmopolite. Peu importe d’où viennent les artistes. Le plus important, c’est comment ils chantent et la manière dont ils maîtrisent leurs instruments. Les gens ne devraient pas se soucier de l’origine des groupes. Ici, c’est la musique du monde entier. »
Dans le même esprit, les festivaliers ayant choisi l’option de planter leur tente au camping aménagé par les organisateurs jouent la carte de la mixité et du mélange. Lukáš, une trentaine d’années, venu de Prague, fait partie des campeurs et ne regrette pas son choix :« Je ne peux pas dire combien de personnes sont au camping, je n’en ai aucune idée. Nous sommes arrivés très tôt jeudi, donc nous avons été installés dans la première partie du camp, mais j’ai fait un tour et les gens sont presque les uns sur les autres. Mais ça va, il y a une très bonne ambiance et pendant la nuit c’est relativement calme. De temps à autre les gens se rassemblent, notamment pour le petit-déjeuner. Ils partagent leurs impressions sur ce qu’ils ont vu, sinon ils font des jeux. C’est très sympathique. Il y a pas mal de services inclus comme le lave-linge, la douche. Au vu du nombre que nous sommes, ils auraient peut-être pu prévoir plus, mais dans l’ensemble ça va. »
D’un point de vue logistique, tout a été mis en œuvre pour que le festival se déroule dans les meilleures conditions et, hormis une sous-estimation des transports publics aux heures de pointe, les calculs furent dans l’ensemble plutôt bons. Pourtant, le pari d’organiser Colours pour la deuxième année consécutive dans l’un des anciens quartiers sidérurgiques d’Ostrava était assez osé. Le dédale qu’offrent les immenses aciéries et hauts fourneaux rubigineux de Vitkovice semble inépuisable de coins et recoins à découvrir. Ce site aux allures fantasmagoriques et délimité par 7 km de clôture se révèle en réalité l’endroit idéal pour un festival de cette envergure. Venu de Pologne, Piotr raconte :« Un grand bravo aux organisateurs. Ils ont ouvert certains lieux, aménager des espaces entre les anciens bâtiments sidérurgiques, ce qui est idéal pour se reposer, pour se retirer de la foule. On n’a pas l’impression que ce soit finalement si bondé que ça, même aux heures de pointe avant les concerts très attendus, vers minuit, sauf évidemment devant la scène principale, mais bon, c’est la scène principale. Vraiment, nous aimons beaucoup l’endroit ! »Serveuse sur l’un des nombreux stands de bière que compte le festival, Lenka ne peut que partager le même enthousiasme. Pourtant, avec une journée de travail bien remplie de 11h à minuit, rares sont les moments de répit pour aller se balader sur le site. Sur son stand, on compte dix serveuses. Toutes étudiantes, ces quatre jours de festival sont pour elles un petit job d’été. Sur les dix, seule Lenka parle anglais. Une de ses collègues affirme n’avoir été abordée que deux fois en anglais à la mi-journée. N’est-il pas vrai que tout étranger en République tchèque sait commander une bière : « Jedno pivo, prosím » ? Aimée, qui vient du Québec, ne sait pas, elle, commander une bière en tchèque. Il n’empêche que l’affiche de Colours lui a tapé dans l’œil alors qu’elle était en séjour dans la région de Brno :
« Je suis allée dans le coin de Brno pour le mariage d’une amie tchèque, et quand je suis en voyage, je suis toujours à l’affût des différentes affiches d’événements, puis j’ai vu qu’il y avait un festival de musique à Ostrava, donc je me suis dit pourquoi pas visiter une autre ville ! Par contre, je suis en voyage en Europe pour six semaines et j’avais déjà prévu de rentrer à Paris, avant le festival. Mais comme j’avais vraiment envie d’aller à un festival de musique, je me suis dit que j’allais repartir de Paris et revenir en République tchèque pour cet événement là. »Son aller-retour supplémentaire et imprévu entre la France et la République tchèque valut à Aimée la surprise d’un double-spectacle : outre les concerts, l’éclairage des gigantesques bâtiments à la tombée du jour confère au quartier de Vítkovice un aspect surréaliste. Rose, rouge, violet, vert, bleu… l’esprit « Colours » grimpe jusqu’à la pointe des géants de fer.
« Je ne savais pas du tout que l’endroit était aussi beau que ça. Ce sont vraiment de vieux bâtiments industriels, et j’adore l’architecture industrielle justement, délabrée, c’est magnifique. C’est tout éclairé le soir. Ça ajoute un côté vraiment intéressant au festival. Ce n’est pas seulement la musique, mais c’est aussi visuel. Je suis comblée ! »Avec une hauteur de 70 mètres, le VP1 surplombe la zone industrielle de Vítkovice. Ce haut fourneau principal est ouvert au public jusqu’à la nuit tombée et offre à la vue des visiteurs un panorama à couper le souffle sur la ville d’Ostrava et ses environs. Un parcours par étapes retrace le circuit de production de la fonte brute. Sur l’avant-dernière plateforme du bâtiment, à 62 mètres de hauteur, les Wild Tides se donnent en concert. Le chanteur de ce groupe de punk tchèque livre ses impressions :
« Le plus amusant, c’est que notre guitariste a terriblement le vertige. C’était donc un vrai problème pour lui de monter si haut, et pour nous qu’il s’accroche à sa guitare plutôt qu’à autre chose. Mais dans l’ensemble cela a été une expérience extraordinaire de jouer dans un tel endroit. Je n’ai jamais joué dans de telles conditions auparavant, et je crois que c'était mille fois mieux que le concert qu’on a fait hier sur une scène traditionnelle. J’étais vraiment impressionné. »Les Wild Tides sont l’un des deux groupes ayant eu la possibilité de donner un concert à pareille hauteur, les dimensions réduites de la plateforme ne permettant d’installer qu’un matériel sommaire. De même, seule une poignée de visiteurs présents au bon moment assistent à leur performance, tandis qu’en bas, d’autres festivaliers font la queue devant les stands de restauration. Tout est à acheter sur place, car on entre sacs vides sur le lieu du festival. À part l’eau, tout a un coût.
En moyenne, les festivaliers dépensent entre 300 et 500 Kč par jour et par personne. Certains, comme Piotr et Justina, gagnent suffisamment leur vie pour ne pas avoir à limiter leurs dépenses et déboursent plutôt 1 500 Kč par jour pour deux. Selon Česká spořitelna, principal partenaire de l’événement et possesseur de l’unique distributeur installé sur le site, 2 722 retraits très exactement ont été réalisés durant les quatre jours du festival, totalisant un montant global de 3,82 millions de couronnes. Tout a un coût bien sûr, mais il y a des choses qui n’ont pas de prix, comme celles de passer un moment convivial et festif en famille ou entre amis, riches en découvertes, agréable aux yeux et aux oreilles, d’autant plus agréable quand le soleil est de la partie. Colours attire d’années en années de plus en plus d’adeptes, et en choisissant comme espace d’accueil un environnement aussi fascinant que le vieux quartier de Vítkovice, les organisateurs du festival et la ville d’Ostrava assurent certainement un nouveau record d’affluence pour les années à venir.