Contre le racisme et pour repenser l’Europe : les projets du réseau Luden en République tchèque
Le Réseau européen pour le développement urbain local, « Luden » en abrégé, existe depuis 1989. Avec l’aide des fonds européens, le réseau vise à promouvoir le développement communautaire dans les zones urbaines en République tchèque. A Bruxelles, Radio Prague a rencontré son président Haroon Saad. A Prague, nous avons parlé avec l’interlocuteur tchèque de Luden, Martin Synkule, membre de l’Agence européenne du développement.
Le nombre des membres du réseau Luden varie d’une année à l’autre. En 2013, il fédérait quatre-vingt-deux acteurs, des municipalités mais aussi des ONG. Pour la partie tchèque, des projets communs ont déjà été lancés avec le 4e arrondissement de Prague, l’association Slovo 21 ainsi que les villes de Karviná et de Český Krumlov. Pour attirer des acteurs qui partagent les mêmes valeurs, Luden a supprimé, il y a deux ans de cela, les frais d’adhésion. Le réseau se finance comme une entreprise sociale à travers les projets européens qu’il réussit à décrocher.
L’Agence européenne du développement, l’interlocuteur principal de réseau Luden en République tchèque
Dans cette optique, il n’est pas sans intérêt de noter que l’interlocuteur privilégié de Luden en République tchèque est l’Agence européenne du développement, une entreprise à but lucratif. Son secrétaire Martin Synkule l’a présentée :« L’Agence européenne du développement est une société privée créée en 2008. Elle se spécialise dans les appels aux projets européens lancés par la Commission. Ces appels n’étant pas très bien connus en République tchèque, nous servons d’intermédiaire pour les villes, les municipalités et les entreprises qui souhaitent y participer. Nous animons un réseau de partenaires tchèques. Nous aidons des étudiants tchèques à trouver un stage à l’étranger et inversement, nous assistons les étudiants européens dans leur recherche de stages dans des entreprises tchèques. Nous organisons également des séminaires, par exemple sur la coopération internationale ou sur les innovations dans le tourisme. »
Les liens qu’entretient son agence avec Luden sont solides et basés sur les expériences de coopération passée :
« Nous connaissons Luden depuis longtemps. Basée à Bruxelles, c’est une organisation qui chapeaute des villes de toute l’Europe. Nous coopérons depuis 2010 et nous avons été leurs premiers partenaires en République tchèque. Quand ils souhaitent proposer un projet aux Tchèques, nous leur conseillons une organisation ou nous gérons le projet du côté tchèque parce que la coopération est plus sûre quand nous connaissons nos interlocuteurs qu’avec une entité nouvelle. »L’expérience de Luden dans la candidature aux subventions européennes profite à ses partenaires tchèques. Martin Synkule se souvient de sa première rencontre avec Haroon Saad :
« J’ai rencontré Haroon lors d’une rencontre autour d’un projet que nous avions en commun. Il m’a impressionné par ses connaissances des procédures administratives et de la bureaucratie bruxelloise. Il est très expérimenté dans la rédaction des projets et il sait trouver des thèmes qui ont des chances d’être sélectionnés pour obtenir un financement européen. Il a beaucoup de succès, même si toutes ces demandes n’aboutissent pas. »
Martin Synkule apprécie également la capacité d’Haroon Saad à justifier la raison d’être de ses projets :
« Au début de chaque proposition de projet, il y a une justification philosophique. A chaque fois, Haroon va très en profondeur dans son texte. Le fait d’avoir cette vision d’ensemble le rend exceptionnel. Il présente un regard alternatif sur le développement démographique et économique en Europe. Sa vision lui permet de présenter les projets qui répondent à ces défis. »
Une vision alternative pour l’Europe
Quelle est donc la vision véhiculée par Luden ? En réponse aux développements économiques en Europe, il propose de repenser les paradigmes qui régissent l’intégration européenne et les politiques des Etats membres :« On a besoin de changer le programme au niveau européen. La solution proposée jusqu’à présent est qu’il faut retrouver la croissance. Mais dans quel pays y a-t-il de la croissance ? Elle n’est pas en Allemagne et la croissance en Angleterre est une fausse croissance. Selon Luden, nous sommes dans une période où il n’y a plus de croissance, on en aura peut-être un peu, mais il faut penser le développement sans croissance. »
Sous la tutelle de son actuel directeur, Luden s’est lancé dans une réflexion sur un développement alternatif. Avec sa vision, il se trouve néanmoins en décalage par rapport au discours véhiculé par les institutions européennes. Dernièrement, le réseau a pris la décision de ne pas participer à la consultation publique lancée par la Direction générale de la politique régionale et urbaine sur l’avenir des villes. Haroon Saad en explique la raison :
« Nous avons participé à toutes les consultations ces vingt dernières années. Mais cette fois nous avons décidé de ne pas le faire parce qu’ils ont posé la mauvaise question. On aurait pu la poser il y a dix ans. Maintenant, il faut se demander comment soutenir les villes sans croissance. Comment est-il possible pour les villes de réagir à tous les défis environnementaux, sociaux et économiques ? Avec la politique de l’austérité, c’est impossible. »
Souvent accusé d’adopter une attitude anti-européenne, Haroon Saad se défend :
« Dès que l’on critique l’UE, on est tout de suite taxé d’antieuropéanisme. Je suis sûr qu’ici, à Bruxelles, certaines personnes vont dire que Luden est anti-européen. Mais je ne suis pas anti-européen. Je suis un nouvel Européen. On essaie de trouver un nouveau chemin. Je suis pro-européen, mais l’Europe qui existe ne correspond pas à nos besoins. »Pour Luden, l’Europe n’est pas en crise mais traverse une période de transition, et il faut repenser le fonctionnement des politiques publiques pour que celles-ci répondent aux besoins des citoyens européens.
Un développement mené par les communautés locales : l’exemple du projet contre le racisme
Le réseau se réclame du principe selon lequel la communauté locale doit être chargée du développement. Néanmoins, ce principe semble compliqué à mettre en œuvre dans les projets européens, compte tenu de l’expertise et de l’expérience nécessaires pour présenter une candidature auprès des institutions. Martin Synkule traduit cette idée du « développement par la communauté » par une coopération avec les acteurs locaux. En pratique, la particularité de la vision de Luden est quelque peu broyée dans des projets qui ne semblent pas particulièrement se distinguer des autres :
« Je suis d’accord avec Haroon sur ce point. Moi-même, je suis partisan du développement mené par les communautés locales. Les projets sont plus efficaces quand ils sont ciblés sur un problème particulier. Par exemple, un projet européen ne résoudra pas à lui seul la brimade dans les écoles. Il vaut mieux le restreindre à une ou deux écoles et mener un projet pilote pour vérifier quelles méthodes sont les meilleures. Il faut également impliquer tous les acteurs concernés, ou au moins leur proposer de coopérer. »Un des projets phares que l’Agence européenne du développement a mené avec Luden s’intitulait « I am Roma » - « Je suis rom ». Il s’est achevé en 2012 :
« Ce projet a été sélectionné par la Commission européenne. Il concernait la problématique de la xénophobie et du racisme. Nous avons œuvré pour l’intégration des enfants rom dans les écoles. Avec ce projet, Haroon a touché précisément une thématique très discutée à l’époque. C’est ce qui a facilité l’obtention de la subvention européenne, car il faut souvent faire des compromis dans la proposition du projet afin de répondre aux modalités d’appel à candidatures. Il est rare que l’on puisse vraiment rédiger un projet uniquement selon nos vœux. »
Dans le projet « I am Roma », si l’Agence européenne du développement a été le seul interlocuteur tchèque de Luden, elle a néanmoins coopéré avec les associations locales et plusieurs écoles tchèques. Un des résultats du projet a été la sortie d’un DVD qui doit aider les enseignants à aborder la problématique du racisme.Autre projet commun de l’agence et de Luden, l’exploration des innovations dans les soins sociaux n’a pas été accepté par la Commission européenne. Preuve de l’importance de cette initiative concrète – elle a été présentée deux fois aux évaluateurs. Cet échec, Martin Synkule l’attribue à la grande concurrence qui règne entre les différents projets au niveau européen. A l’échelle nationale, le taux de succès varie de 15 à 20%, mais en Europe, seulement trois ou quatre projets sont habituellement retenus. Actuellement, Luden prépare avec son partenaire tchèque un projet sur la participation électorale des étrangers et des membres des minorités dans les Etats européens. A Bruxelles, Haroon Saad a également évoqué un projet qui vise à accroître la présence des femmes sur les listes électorales. L’énergie ne semblait pas lui manquer pour essayer de mettre en œuvre toutes ses idées.