COP 21 : l’enjeu du changement climatique entre Prague et Paris
A six mois de la COP 21 à Paris, cette conférence sur le climat où les pays du monde tenteront de parvenir à un accord pour lutter contre le changement climatique, le réseau diplomatique et culturel français en République tchèque poursuit son travail de sensibilisation à la question environnementale. Début juin, une conférence a ainsi été organisée à la Chambre des députés à l’initiative de l’ambassade de France. En présence de représentants des ministères des Affaires étrangères et de l’Environnement, des chercheurs, des élus locaux et des représentants d’entreprises, dont les activités sont d’ailleurs plus ou moins polluantes, ont présenté leurs travaux, leurs prévisions ou leurs innovations. Parmi ces personnalités, la diplomate Bérangère Quincy et le chercheur Henri Waisman ont expliqué leur démarche pour Radio Prague.
« A Paris, nous voulons obtenir un accord international universel, c’est-à-dire l’accord de tous les pays du monde, les 195 Etats parties à la Convention des Nations Unies sur le changement climatique. Nous voulons obtenir cet accord de telle manière qu’il puisse donner le signal d’une transformation vers une économie plus sobre en carbone et plus résiliente devant les conséquences du changement climatique. Nous voulons que cet accord soit suffisamment solide pour qu’il puisse coaliser l’ensemble des pays du monde autour d’un objectif unique qui est de maintenir le changement climatique sous les 2 °C, parce qu’au-delà de 2 °C, la vie sur la planète va devenir insupportable.
Nous voulons obtenir aussi l’engagement de tous les pays, de telle manière que tous les pays, ou presque tous, ceux qui sont capables de le faire, soient en mesure de dire « voici ce à quoi j’ai l’intention de contribuer en termes de réduction des émissions de CO2, mais aussi « voici comment je prévois de m’adapter aux conséquences du changement climatique ». Nous voulons obtenir une solidarité collective en faveur des plus vulnérables, en faveur des pays en voie de développement qui s’engagent. Nous voulons aussi obtenir l’engagement des acteurs, parce qu’ils sont absolument indispensables à la réussite de l’action. C’est ce que nous appelons forger une alliance, l’alliance de Paris. »Cet accord se veut universel mais aussi contraignant. Que recouvre ce terme de contraignant ? Cela signifie mettre en place un dispositif de sanctions pour ceux qui ne respecteraient pas les objectifs qui vont être donnés ?
« Ce n’est pas exactement comme cela que nous allons travailler car c’est comme cela que le protocole de Kyoto a été conçu et cela n’a pas marché. La partie contraignante, ce sera la manière dont le pays va rendre compte de ce à quoi il a dit qu’il s’engageait volontairement. C’est un dispositif multilatéral un peu nouveau par rapport à celui que nous connaissions, qui était le protocole de Kyoto, mais qui ne liait que les pays les plus riches. C’est un dispositif multilatéral qui est conçu pour pouvoir embrasser un plus grand nombre de pays, et notamment les nouveaux pays qui comptent en matière d’émissions, comme par exemple la Chine, l’Inde, la Russie ou le Brésil. »
L’un de vos rôles consiste à recueillir les attentes des différents pays. Comment avez-vous ressenti en République tchèque la position par rapport à cette question du climat ?« J’ai eu l’occasion de rencontrer des représentants du gouvernement et surtout j’ai participé à cette conférence à laquelle étaient le président du Parlement, le vice-ministre des Affaires étrangères, les représentants du ministère de l’Environnement. J’ai été, et je l’ai dit dans mon intervention, vraiment frappé par le message d’engagement, de soutien et d’espoir qui a été porté par les hautes autorités tchèques. Il y a une vraie conscience des enjeux, il y a une vraie conscience des moyens d’y faire face et il y a un vrai engagement pour soutenir l’action de tous ceux qui veulent que la COP 2015 soit un succès à Paris.
La lutte contre le changement climatique offre une possibilité de croissance et de développement différente, offre des possibilités d’emploi différentes. On a vu à la conférence des modèles, on nous a expliqué des exemples déjà en œuvre par exemple dans les municipalités. Les municipalités sont un territoire extraordinaire pour que chacun puisse se mobiliser dans la lutte contre le changement climatique. On sait que c’est faisable. C’est ce que je voudrais dire, mon message est le suivant, ce n’est pas seulement l’affaire des gouvernements, c’est l’affaire de tous. Quand je dis « l’avenir est entre vos mains », il s’agit de solidarité, il s’agit d’innovation, il s’agit d’engagement, et tout le monde peut le faire. »
Le contrôle du changement climatique par la décarbonisation
La décarbonisation de nos économies est l’un des enjeux de cette maîtrise du changement climatique. C’est une question développée par Henri Waisman durant la conférence organisée à la Chambre basse du Parlement tchèque. Spécialiste de l’économie de l’environnement, il travaille pour la plateforme Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP). Ce projet mené par le Sustainable Development Solutions Network et l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), consiste en la coordination d’analyses sur les trajectoires possibles de décarbonisation de seize pays, qui constituent les plus gros émetteurs de carbone de la planète. Pour commencer, Henri Waisman a développé pour Radio Prague ce concept de décarbonisation :« La décarbonisation, cela consiste à prendre acte de ce que nous enseigne la science climatique qui est de dire qu’il y a un enjeu autour du contrôle du changement climatique. Ce contrôle du changement climatique passe par la réduction des émissions de carbone, qui est le principal gaz à effet de serre. Le point sur lequel on se focalise le plus, c’est les émissions de carbone associées au système énergétique. Il y a d’autres émissions, notamment liées à la déforestation, mais nous nous concentrons sur le système énergétique avec le message qu’on retire des enseignements de la science : pour aller vers des objectifs très ambitieux en termes de contrôle du changement climatique, il faut qu’on arrive à termes à avoir des systèmes énergétiques très décarbonés. Quand on parle de système énergétique, on parle de quelle énergie on produit et quelle énergie on consomme, les deux étant évidemment intimement liées.
Tout l’objet de notre approche est de concevoir quels sont les chemins de transition qui peuvent nous permettre d’aller, pour les pays avec lesquels nous travaillons, de la situation actuelle qui est ce qu’elle est, parfois très carbonée, vers une situation à l’horizon 2050 où on a un système énergétique qui soit très fortement décarboné.
La décarbonisation repose sur trois composantes essentielle, qui sont d’abord l’efficacité énergétique, pouvoir être capable de consommer moins d’énergie pour rendre le même nombre de services, ensuite la décarbonisation de l’offre énergétique, comment produire de l’énergie qui soit moins intensif en carbone et enfin le passage des énergies carbonées aux énergies non carbonées. »
Cette transition bas carbone, cette problématique, vous l’avez présentée à Prague à l’occasion d’une conférence. Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
« J’ai été très impressionné par l’appétit qu’il y a l’air d’avoir dans le pays pour cette question. C’est une problématique qui est apparue relativement récemment. Quand on voit par exemple dans la conférence l’ensemble des présentations qui ont été faites par un certain nombre d’entreprises tchèques, qui montrent toutes les solutions qui sont déjà mises en œuvre sur la mobilité, sur la production de chaleur, sur tout un ensemble de solutions très variées, qui sont déjà en place, on se rend compte qu’il y a déjà des choses qui sont faites dans le pays.
Le deuxième aspect que je retiens des discussions qu’on a pu avoir, c’est qu’il y a la prise de conscience de cette nécessité de planification stratégique. On ne parle pas uniquement de superposer des petites mesures prises par les uns et les autres, mais on a un vrai besoin d’avoir une vraie vision de où on veut aller et comment on veut y aller pour permettre d’articuler dans le temps, entre les différentes activités, comment construire la trajectoire qui va permettre au pays, en l’occurrence la République tchèque, de passer de la situation d’aujourd’hui à une situation qui est complètement différente, mais à un horizon de long terme.De ce point de vue, je suis très agréablement surpris par l’avancée qu’il y a au sein du pays sur ces questions. Parce que finalement si c’est juste une obligation qui est imposée de l’extérieur, on comprend bien que cela ne peut pas marcher. Mais on a l’impression qu’il y a une prise de conscience du pays de l’intérêt que la République tchèque pourrait avoir à concevoir ces plans stratégiques et qu’il y a déjà une partie des solutions qui sont développées. Donc cela laisse entrevoir une possibilité d’aller encore un pas plus loin. »
Vous travaillez pour l’instant avec seize pays. Vous allez peut-être élargir ce panel, et pourquoi pas, disiez-vous, avec la République tchèque. Des contacts sont-ils pris et dans quel modèle se placerait selon vous la République tchèque ?
« Des contacts informels pour l’instant sont pris. Mais les contacts que j’ai eus pour l’instant avec des représentants du ministère de l’Environnement montrent qu’il y a un vrai intérêt et vraie volonté de mener de construire cette planification stratégique. Evidemment, la République tchèque a certaines caractéristiques très spécifiques. Le rôle du charbon aujourd’hui, le poids de l’industrie, qui est très important, c’est une vraie spécificité même à l’échelle européenne, sont des éléments très intéressants à partir desquels il faut construire. C’est pour cela que la trajectoire de décarbonisation de la République tchèque doit tenir compte de cette composante.
Le débat est beaucoup construit aujourd’hui autour de la diffusion du nucléaire, qui est l’une des solutions pour changer l’offre énergétique vers une offre énergétique bas carbone. Mais il y a tout un aspect de la discussion qui va être autour de la structure de l’économie. Quel est le poids de l’industrie ? Quel est le type d’industrie ? Quelle est le type de croissance fondamentalement que la République tchèque veut promouvoir ? Est-ce une croissance matérielle ou est-ce une croissance qui va se dématérialiser petit à petit avec des types de production différents avec des conséquences très importantes sur les équilibres économiques. Quels sont les biens qu’on produit ? Est-ce qu’on continue à les exporter ou est-ce qu’on a une économie qui essaie de produire d’autres types de biens pour la production locale.En ce sens-là, il y a des leçons. C’est l’une des vertus du projet d’avoir une méthodologie commune. Il n’est pas question de parler de trajectoire commune, de solution commune à tous les pays, mais de méthodologie d’approche commune. Cela permet d’avoir un processus d’apprentissage entre les pays. Cela, on l’a déjà observé au sein de nos différents pays. Finalement on peut avoir des pays différents mais avec certaines caractéristiques comparables. On a notamment le secteur industriel dans certains pays qui peut évidemment être très intéressant, où on peut avoir des processus de comparaison, de référencement, par rapport aux hypothèses qui sont prises dans certains pays, pour essayer de s’informer de ce que les autres font et d’aller progressivement vers la définition de ce que pourrait être une transition à l’échelle d’un pays donné, la République tchèque en l’occurrence.
L’idée, si on arrive à monter un travail au sein du pays, cela ne serait pas seulement de faire un exercice stratégique dans un pays pris indépendamment, mais aussi de l’insérer dans un processus international, dans lequel on a un dialogue entre les différents pays, des échanges entre experts, des échanges d’expérience, de connaissance, etc., sur lesquels on peut construire pour élaborer ces trajectoires à l’échelle nationale. »