Covid-19 : La Tchéquie est-elle prête à recourir aux vaccins russe et chinois ?
Alors qu’en République tchèque, la question des stratégies d’influence de Moscou et de Pékin se pose de manière récurrente, qu’en est-il de celle des vaccins que la Russie et la Chine ont développés contre le Covid-19 ? Récemment, le Premier ministre tchèque, Andrej Babiš avait laissé entendre que la Tchéquie pourrait imiter la Hongrie voisine qui a choisi de se procurer le vaccin russe Spoutnik V, puis chinois, passant outre le fait qu’aucun de ces vaccins n’ont été autorisés par l’Agence européenne du médicament. S’il a beaucoup été fait mention du vaccin russe dans le débat public en Tchéquie, cela a été moins le cas des vaccins chinois. Ivana Karásková, spécialiste de la Chine et fondatrice du groupe de travail Chinfluence, s’est intéressée à la question de ces vaccins venus de l’Est.
« La Chine possède quelque chose que tous les pays veulent. On se trouve dans la même situation qu’au printemps dernier où la Chine a lancé sa ‘diplomatie du masque’. Aujourd’hui, elle mène une ‘diplomatie des vaccins’. Mais à la différence de l’an dernier, la Chine n’est pas le seul producteur et distributeur de vaccins. Donc il y a une concurrence très importante. En Tchéquie, on n’a pas beaucoup entendu parler des vaccins chinois, on parle surtout du vaccin russe Spoutnik V. Il y a plusieurs raisons : les efforts russes et chinois ne sont pas les mêmes. La Russie s’est également concentrée sur les régions où il existe une concurrence avec les vaccins occidentaux. La Chine s’est concentrée sur des pays en périphérie, sur ses alliés et sur les pays en développement. Autre raison possible : la proximité culturelle ou non. La plupart des responsables politiques des pays de l’ex-bloc de l’Est ont une expérience personnelle avec les vaccins russes et de nombreux scientifiques ont exprimé leur confiance vis-à-vis des instituts de recherche russes, plutôt que chinois. Néanmoins, ni le vaccin russe, ni les vaccins chinois n’ont été approuvés, ni par l’Agence européenne des médicaments, ni par l’agence équivalente en République tchèque. »
Vous le disiez, au printemps dernier et après avoir été montrée du doigt comme la source possible de diffusion du coronavirus, la Chine a lancé une sorte d'opération séduction tous azimuts avec sa « diplomatie du masque ». On se souvient qu'à l'époque des avions remplis de matériel médical chinois avaient été accueillis en grandes pompes par le Premier ministre tchèque, le ministre de l'Intérieur et l'ambassadeur chinois. La Chine mène-t-elle ce même genre de politique pour faire acheter ses vaccins que ce soit en Tchéquie ou dans d'autres pays d'Europe centrale et orientale où elle cherche à développer son influence ?
« Pas vraiment. Notre étude s’est intéressée au débat médiatique en Tchéquie sur les vaccins chinois et a montré qu’au moins pour l’instant, il n’y a pas d’acteurs importants qui chercheraient à introduire l’idée d’un vaccin chinois dans le discours public. Seule exception : les émissions internationales de la radio chinoise qui défend le narratif de Pékin. Mais ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias dits alternatifs on ne trouve de débat important sur les vaccins chinois. Le débat est beaucoup plus centré sur le vaccin Spoutnik V. D’un autre côté, la semaine dernière a eu lieu le sommet 17+1 avec la Chine, où l’on a pu entendre de manière assez détachée qu’elle était prête à fournir son vaccin aux pays qui en font la demande. En Europe centrale, les Etats-membres de l’UE sont dans l’hésitation. D’abord le vaccin n’est pas approuvé. Et ensuite, la Chine n’a même pas fait de demande d’homologation. Evidemment, la Tchéquie peut tout à fait choisir de faire comme la Hongrie qui est pourtant membre de l’UE et qui a autorisé un vaccin chinois sans attendre d’autorisation. »
Petite parenthèse par rapport à cette question des vaccins : y a-t-il eu pour la Chine des retombées concrètes de cette « diplomatie du masque » au cours de l'année dernière ?
« Je ne dirais pas, non. Si vous regardez la Tchéquie, ou bien si l’on s’intéresse à une étude réalisée dans treize pays européens, il est clair que la perception de la Chine a plutôt empiré dans tous ces pays. Le Covid-19 en est clairement responsable. Interrogées sur ce que leur évoque le coronavirus, toutes les personnes interrogées mentionnent la Chine. Ajoutons à cela les manifestations à Hong Kong, les camps de rééducation destinés aux Ouïgours… En outre, l’été dernier, on a appris que le matériel médical acheté par la Tchéquie à la Chine n’était pas toujours fonctionnel. Je pense que cette diplomatie chinoise en Europe centrale et orientale ne marche pas du tout. Même les tentatives d’influence sur les réseaux sociaux, où la Chine s’est efforcée de rejeter la faute de l’épidémie sur l’Italie ou les Etats-Unis, n’ont pas du tout marché et je dirais que ça s’est retourné contre elle. »
Pourquoi la Chine concentre-t-elle particulièrement sur des pays en développement pour proposer ses vaccins ? Est-ce que c’est parce que cela fait partie de sa stratégie d’influence ou parce qu'elle sait qu'en Occident, on ne souhaitera pas avoir recours à ses vaccins ?
« C’est une excellente question… Malheureusement il n’existe aucune étude qui puisse dire dans quelle mesure les Européens feraient confiance, ou non, aux vaccins chinois. Le problème de ces vaccins, c’est l’absence totale d’information. On ne sait pas comment ils ont été testés. Il existe également des craintes, pour les vaccins russes et chinois, sur la composition de ces vaccins : pas tant sur le virus inactivé, que sur les autres éléments utilisés dans le vaccin. En outre, la défiance vis-à-vis de ces vaccins provient également du fait que ni les fabricants russes ni les fabricants chinois n’ont demandé leur homologation à l’Union européenne. Néanmoins, nous nous retrouvons dans une étrange situation de nationalisme vaccinal. Les pays occidentaux achètent des vaccins en masse sans les partager avec les pays en développement, tandis que la Chine, depuis le début, s’efforce de montrer qu’elle n’est pas la source du problème, mais sa solution. »
Comment expliquer que ni la Russie ni la Chine ne font de demande d’homologation auprès de l’Agence européenne des médicaments ?
« C’est aussi une bonne question, mais on ne peut que spéculer. Une des raisons peut être le fait que ces pays seraient obligés de fournir toutes leurs données sur la façon dont fonctionnent les vaccins, quelles sont leurs composantes, comment ils sont développés… En outre, l’Union européenne exigerait très certainement des inspections des lieux de fabrication de ces vaccins parce qu’elle a retenu la leçon pour les vaccins Moderna et Pfizer : le nombre de vaccins négociés est une chose, et une autre, celle de savoir si le fabricant a réellement la capacité de produire une telle quantité de doses. En ce qui concerne la Chine, il y a beaucoup d’interrogations sur ses capacités de production. Elle va probablement vacciner en priorité sa propre population qui, comme on le sait, représente 1,4 milliard de personnes. Tous ne seront sans doute pas vaccinés, mais cela reste une quantité énorme. Et même si sa campagne de vaccination est importante, cela reste pour l’heure un très faible pourcentage de la population… »
Ces vaccins n'ont pour l'heure pas été approuvés par l'Agence européenne des médicaments. Que signifierait politiquement pour la Tchéquie le choix d'avoir recours à un vaccin russe ou chinois au lieu d'un vaccin européen ou américain, sans même attendre l'accord de l’Agence européenne des médicaments ? Qu’est-ce que signifierait cette façon de se démarquer au sein de l’Union européenne ?
« La République tchèque est dans une situation très difficile. Depuis des mois, elle a une des pires situations sanitaires. Cette semaine, c’est la Slovaquie qui, semble-t-il, qui est très mal en point. Mais de nombreux pays sont aussi dans cette situation et ont besoin de vaccins alors que leur nombre est limité. Il est logique qu’on aille regarder du côté russe ou chinois. Hier, le Premier ministre slovaque a concédé que son gouvernement réfléchissait sérieusement à l’achat du vaccin Spoutnik V. Le Premier ministre tchèque se trouve dans une situation où il doit défendre son mandat cette année. A quelques mois des élections législatives, les sondages montrent une baisse des préférences électorales à son égard. Donc s’offre à lui la tentation non-négligeable de recourir à n’importe quel vaccin disponible. Dans un scénario hypothétique où le gouvernement tchèque décidait d’avoir recours au vaccin Spoutnik V, même sans homologation européenne, la perception des vaccins chinois pourrait très rapidement évoluer également. Il pourrait y avoir davantage de pression pour l’utilisation des vaccins chinois dans un contexte où il existe en Tchéquie un important groupe de lobbyistes qui ne verraient pas d’un mauvais œil une collaboration avec Pékin. »