Crise migratoire : « La République tchèque ne comprend pas que la solidarité va dans les deux sens »
Mardi, à Bruxelles, les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne ont approuvé, non pas à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée le compromis proposé par le Luxembourg, pays assurant la présidence du Conseil de l’Union européenne, sur la répartition de 120 000 réfugiés et ce, en deux temps. Un accord qui, s’il ne fait plus référence au caractère « contraignant » des quotas, devrait pour le coup être, lui, contraignant, puisqu’un texte adopté par le Conseil de l’UE est nécessairement obligatoire. La République tchèque, de concert avec la Slovaquie, la Hongrie mais aussi la Roumanie, a voté, comme prévu, contre cet accord. La Pologne qui, avec la République tchèque, la Slovaquie, et la Hongrie, tous membres du V4 ou groupe de Visegrad, avait ferraillé avec ses alliés contre les quotas migratoires, a fini par se rallier et a approuvé l’accord. Quel est le regard d’un journaliste français basé à Prague sur cette question qui agite les médias européens ? Radio Prague s’est entretenu avec Fabrice Martin-Plichta, correspondant du quotidien Le Monde en République tchèque, qui a commencé par expliquer le revirement de la Pologne, mardi :
Quand on lit ce mercredi matin la presse tchèque et française, on est un peu dérouté par l’interprétation de cette réunion. Dans la presse française, on lit qu’il n’est plus question de quotas obligatoires, que la répartition des réfugiés va se faire en deux temps sur une base de volontariat. Alors que dans la presse tchèque on continue de dire que les quotas migratoires ont été imposés. Comment comprendre cette dichotomie ?
« Je pense qu’il y a une vraie désinformation de l’opinion publique car ce qui a été décidé hier c’est une solution unique pour un nombre donné de migrants, 120 000 en tout qui doivent être répartis en deux temps. Ce ne sont pas de quotas imposés sur une longue durée, c’est pour régler, maintenant, un problème extrêmement urgent avec des réfugiés cantonnés en Italie et en Grèce depuis des mois. C’est une décision prise pour mettre en œuvre un acte de solidarité européenne pour que l’ensemble des pays européens prennent une partie du fardeau qui repose pour le moment uniquement sur les épaules des Italiens et les Grecs. Dans cet accord de mardi, il n’est pas question de tous les autres migrants qui entretemps sont arrivés en Europe. »
Le compromis de mardi, proposé par le Luxembourg, est assez complexe et ambigu. Dans quel état d’esprit va se dérouler, selon vous, la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Huit à Bruxelles, ce mercredi ?« L’accord obtenu difficilement mardi à Bruxelles et imposé à ces quatre pays est en effet très technique et compliqué, mais somme toute compréhensible pour qui veut bien se donner la peine. Ce mercredi, la réunion des chefs d’Etat doit être une réunion politique à la différence de la réunion de mardi qui était technique. On doit décider des lignes d’une nouvelle politique à tenir envers les réfugiés et envers tous ceux qui se présentent aux portes de l’Union européenne, qui quittent leur pays où ils souffrent de la guerre, de la famine et sont souvent à bout de forces en arrivant. »
On a beaucoup parlé du fait que cette crise migratoire était le révélateur d’une division de l’Union européenne en deux camps. En quoi la conception de l’Europe par la République tchèque était-elle différente ?
« La conception de la République tchèque de l’Union européenne est très différente depuis longtemps et je dois dire, depuis toujours. L’adhésion de la République tchèque à l’UE s’est faite sur de mauvaises bases, et surtout de mauvaises explications. Elle n’a jamais adhéré profondément, intellectuellement au projet européen et n’a considéré l’UE que comme un marché pour pouvoir exporter ses produits ou sa main d’œuvre. Aujourd’hui, éclate le problème en plein jour : le pays n’est pas dans la ligne de l’UE et ne comprend pas que la solidarité va dans les deux sens. Malheureusement, cette vision est partagée par une grande partie de la population, puisque quand vous répétez pendant vingt ans la même chose sur l’Union européenne, qu’il s’agisse d’un certain nombre de politiques, d’intellectuels ou de la presse en général, c’est sûr que ça n’aide pas les populations à s’orienter. Il y a très peu d’occasions de lire et de voir autre chose. »N’est-ce pas un problème d’explication, de pédagogie, qui a été mal faite par les Tchèques pro-européens ?
« Il peut y avoir un problème de pédagogie quelque part. Mais je pense que le président Havel en a parlé pendant treize ans, quand il était au pouvoir. Il a été clair sur cet aspect : l’Europe c’est un tout, un état d’esprit, pas seulement un marché. Malheureusement, ce discours a été refusé, occulté, par une vision simpliste et économiste de l’Union européenne. »