Daniel Křetínský : homme d’affaires avisé, sauf en foot

Daniel Křetínský, photo: Filip Jandourek, ČRo

Energie, finances, médias, construction d’autobus ou même encore gestion des déchets : quel que soit le domaine d’activité, Daniel Křetínský, l’homme d’affaires tchèque que la presse française a appris à mieux connaître ces derniers mois en raison de ses investissements dans différents titres comme Elle ou Marianne et de son intérêt pour Le Monde, réussit à peu près tout ce qu’il entreprend pour étendre son empire en Europe. Dans tous les domaines, sauf un : le football. Propriétaire depuis 2004 du Sparta Prague, le jeune milliardaire a englouti des centaines de millions de couronnes dans le plus grand club de République tchèque sans jamais parvenir à obtenir de probants résultats sur la durée. Si cette situation d’échec ne nuit pas outre mesure à sa fortune, son image auprès du grand public tchèque en souffre davantage.

Daniel Křetínský,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Le bilan ne peut être que négatif. Nos résultats sont une grande déception. Nous sommes très éloignés de tout ce qui serait susceptible d’être désigné comme succès. Bien entendu, trouver des éléments positifs est toujours possible, mais là, ils sont vraiment très minoritaires. »

-Quelles sont les raisons de ces mauvais résultats ?

« Vous savez, il est extrêmement difficile de faire une analyse juste dans une sphère comme le football. Il y a beaucoup d'éléments très subjectifs dont il faut tenir compte. Vous êtes notamment très proches du psychisme des individus. Néanmoins, selon moi, la cause principale est le fait que le Sparta n'a pas été capable d'être uni, de former une équipe dans laquelle les joueurs s'aident les uns les autres. Je pense que ces divergences internes sont la raison principale de ces résultats aussi pauvres. »

Daniel Křetínský ne s’exprime pratiquement jamais dans les médias tchèques depuis quelques années déjà. L’extrait de cet entretien qu’il avait accordé à Radio Prague remonte à… décembre 2005. A l’époque, à la fin d’une conférence de presse organisée pour faire le bilan de la première moitié de saison, le tout jeune président du Sparta, qui n’avait encore que 30 ans, avait très volontiers accepté de répondre dans un français d’école pratiqué quelques années plus tôt à la faculté de droit de l’Université de Bourgogne à Dijon, à quelques-unes de nos questions. Neuvième au classement du championnat de République tchèque et bon dernier de son groupe en Ligue des champions, le club pragois traversait pourtant la pire crise de résultats de son histoire récente. Treize ans plus tard, son discours pourrait rester identique, même si bien des choses ont changé. Daniel Křetínský est devenu la cinquième plus grande fortune de République tchèque tout en conservant une réputation sans tâche dans les médias comme dans le milieu des affaires, tandis que le Sparta, fort précisément des investissements de son principal actionnaire, a vu son budget annuel multiplier par trois pour désormais se rapprocher du milliard de couronnes (près de 40 millions d’euros). Malgré cette manne qui en fait assurément un des clubs financièrement privilégiés en Europe centrale, le Sparta n’a remporté que trois titres de champion de République tchèque (2007, 2008 et 2014), quatre coupes nationales (2006, 2007, 2008 et 2014) et n’est plus jamais parvenu à se qualifier pour la lucrative phase de groupes de la Ligue des champions, alors que l’ambition de son président à son arrivée à la tête du club était précisément une présence régulière parmi la crème de la crème européenne du football. Responsable de la rubrique football du site d’informations Seznám Zprávy, Luděk Mádl compte parmi les journalistes les plus au fait des coulisses du football tchèque. A ses yeux, les échecs répétés du Sparta et de son président ne sont pas le fruit du hasard :

Luděk Mádl,  photo: Archives du Club des journalistes sportifs
« Je pense que la vie et le monde de Daniel Křetínský sont partagés en deux zones. Il a y une zone réservée à ses affaires dans l’énergie et l’industrie. C’est un immense conglomérat dans lequel vous trouvez tout un tas d’activités et qui est pour lui source de beaucoup de succès. Et puis il y a la seconde zone qui est réservée au Sparta, dont je dirais qu’il ne la considère plus comme une zone de travail, mais davantage comme un passe-temps qui lui permet de se changer les idées et de se reposer. »

Déçus de ne plus voir leur club dominer le football tchèque comme dans les années 1990 et 2000, de nombreux supporters du Sparta reprochent à Daniel Křetínský son manque de compétences en matière de football. Juriste de formation, le jeune homme, qui faisait alors déjà brillamment valoir ses talents d’investisseur au sein du groupe financier J&T, était totalement inconnu dans le petit monde opaque aux mœurs souvent véreuses du football tchèque lors de son arrivée à la tête du club. Et malgré les échecs répétés, Daniel Křetínský, souvent décrit comme très obstiné par ses collaborateurs, semble ne pas retenir les leçons. Luděk Mádl explique pourquoi :

« Le fond du problème est que pendant longtemps, et même s’il ne veut pas le reconnaître, il a dirigé le club seul en n’en faisant qu’à sa tête. C’est lui qui prenait les décisions stratégiques, et ce pendant son temps libre. En pratique, on peut imaginer qu’il négocie durant toute la journée par exemple pour l’achat d’une nouvelle centrale électrique quelque part en Europe, et qu’au moment du goûter ou le soir venu, il commence à penser au Sparta. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle pendant très longtemps ce sont essentiellement ses amis qui ont occupé les postes clefs dans le club. Seulement, c’était des gens dont on ne peut certainement pas dire qu’ils étaient de très bons managers, ni qu’ils y connaissent grand-chose en football. Beaucoup d’observateurs pensent qu’il plaçait ses acolytes à la tête du club précisément de façon à pouvoir le diriger seul. »

Son propre journal le critique

Désormais dominé par son grand rival du Slavia au financement chinois et plus encore par le provincial Viktoria Plzeň, qui à eux deux se sont partagé les quatre derniers titres de champion, le Sparta a opéré un virage à 180 degrés en début de saison dernière en lançant une politique dite « d’internationalisation ». C’est ainsi que, fruit des grandes manœuvres entreprises, l’entraîneur italien Andrea Stramaccioni, précédemment successivement viré de l’Inter Milan, de l’Udinese et du Panathinaïkos, a été nommé par Daniel Křetínský à la tête de l’équipe. Une dizaine de joueurs étrangers, espoirs inconnus ou anciennes stars sur le déclin, parmi lesquelles un Rio Mavuba à bout de souffle, sont arrivés à Prague en échange de rondelettes sommes à l’échelle tchèque. Mais malgré les centaines de millions de couronnes dépensées sur le marché des transferts, cette politique risquée, qui sous-entendait l’abandon de l’essentiel de l’identité tchéco-slovaque qui a longtemps fait sa force, n’a pas permis au Sparta de retrouver sa place au sommet de l’élite. Tandis que le technicien italien, faute de résultats plus convaincants que les saisons précédentes, était finalement prié de prendre ses cliques et ses claques dès le mois de mars, son président devenait, lui, la cible de multiples sarcasmes.

Karel Häring | Photo: Ian Willoughby,  Radio Prague Int.
Dans les colonnes du quotidien Sport non plus, Daniel Křetínský n’a pas été épargné par les critiques, même si celles-ci n’ont jamais été très virulentes. Ce journal, comme notamment le très populaire tabloïd Blesk et l’hebdomadaire Reflex, est pourtant la priorité de Czech News Center, un des principaux groupes de médias en République tchèque dont le président du Sparta détient la moitié du capital. Ancien responsable de la rubrique football de Sport, Karel Häring travaille désormais depuis quelque temps en qualité de journaliste freelance et de rédacteur en chef du magazine de foot-culture Football Club. Mais il l’assure, s’il a quitté la rédaction du journal, ce n’est pas en raison du lien qui existe depuis 2014 entre celui-ci et le président du Sparta et de l’influence que Daniel Křetínský pourrait chercher à exercer sur le traitement de l’actualité relative à son club :

« Je me souviens que quand il est venu nous rendre visite au journal peu après son rachat, une des choses qu’il nous a dites sur le ton de la plaisanterie est que nous pouvions continuer à critiquer le Sparta lorsque cela nous semblait juste. Je peux confirmer que nous avons critiqué objectivement le Sparta et que cela n’a jamais posé problème. Je n’imagine absolument pas un journal comme Mladá fronta Dnes (le quotidien d’informations générales le plus lu en République tchèque) critiquer de façon répétée le Premier ministre Andrej Babiš dont il est dépendant comme nous avons pu critiquer le Sparta à Sport. Personnellement, je n’ai jamais été confronté à la situation où quelqu’un serait venu me voir pour me dire d’écrire telle ou telle chose. »

Ainsi donc, Daniel Křetínský laisserait toute liberté d’expression à ses journalistes, même lorsque ses affaires ne marchent pas comme il l’entendrait et que le Sparta n’a plus « de fer » que le surnom. Et puis s’il ne domine plus le football tchèque comme dans un passé encore relativement récent, le club pragois, traditionnellement très influent en coulisses et à la réputation autrefois sulfureuse, n’est plus, depuis longtemps, accusé de savoir gagner des matchs autrement que par la qualité de ses joueurs. Un club aussi qui doit aussi à son propriétaire d’éponger régulièrement ses dettes et grâce auquel ses supporters peuvent encore espérer, malgré tout, des jours meilleurs.