« Dans l’approche musicale des Tchèques, un point d’équilibre entre le monde slave et germanique »
Dans le contexte sanitaire actuel, tout événement culturel qui peut se dérouler peut s’apparenter à une petite victoire sur la morosité ambiante. Vendredi 9 octobre, sauf changement, le Palais Lobkowicz à Prague accueillera le violoncelliste français Marc Coppey, accompagné par la Philharmonie de Prague (PKF). Avant sa venue dans la capitale tchèque, RPI l’a interrogé sur les conditions qui président actuellement à la tenue d’un concert tel que celui-ci, mais aussi sur les défis qui se présentent aux artistes en cette époque de pandémie.
« Déjà, je me réjouis que ce concert ait lieu, parce qu’il y a eu tellement de concerts annulés ces derniers mois, ou dans les mois qui viennent, avec une incertitude terrible sur tout, que tous les événements qui ont lieu c’est réjouissant. En l’occurrence je n’étais pas censé faire ce concert. C’était un de mes collègues qui devait jouer et qui est lui-même de retenu pour des raisons liées à la situation sanitaire. Je rejoins donc le PKF dans un programme assez original. Je commencerai par une pièce solo, une magnifique sonate pour violoncelle seul de Zoltán Kodály, puis nous partagerons le concert avec le PKF avec une symphonie concertante de Haydn, une œuvre à la fois chambriste et orchestrale puisqu’elle donne un rôle soliste au violon, au hautbois, au violoncelle et au basson. Je finirai le concert avec le Premier concerto pour violoncelle de Haydn. Le concert se déroulera dans le Palais Lobkowicz. J’imagine qu’il y aura moins de public que d’habitude, plus les masques et la distanciation sociale. Néanmoins ça a bien lieu et c’est une source de réjouissance pour le public et les musiciens. »
Comment cela se passe-t-il pour vous, les artistes, les musiciens, dont le métier est de se produire un peu partout dans le monde ? Vous vivez votre métier un peu au jour le jour ?
« C’est tout à fait cela. Je crois que nous partageons avec mes collègues le sentiment que la situation est difficile pour beaucoup de monde. La plupart d’entre nous n’avons pas à nous plaindre. Beaucoup de choses ont été annulées, beaucoup d’institutions dans le monde sont fragilisées, certaines voient leur avenir menacé. La situation de nombreux artistes est extrêmement précaire, certains pensent même à des reconversions. Il y a aussi cette incertitude permanente : un jour on a un concert, le lendemain il est annulé car on ne peut pas voyager… En même temps, il y a toujours la conscience que la musique est importante. Elle est d’autant plus importante ces temps-ci pour nous réunir autour de quelque chose qui permette un peu d’évasion par rapport aux difficultés du monde. Je l’ai vu pour les concerts que j’ai donnés ces dernières semaines. Les gens en ont besoin. Il y a une joie de se retrouver, même chez des gens dont on pourrait penser qu’ils se protègent, qu’ils ont peur d’aller au concert. Eh bien non, ils viennent et expriment le besoin de venir. Il y a le partage de la musique, les discussions d’après-concert et le fait de passer du temps ensemble, tout simplement. »
Les concerts numériques qui ont remplacé pendant le confinement les concerts physiques, c’est mieux que rien ?
« C’est peut-être mieux que rien. En tout cas, c’est une réalité du monde d’aujourd’hui que nous vivons tous. Il ne s’agit pas de dévaloriser cela. Pendant le confinement, cela a été un moyen de communication sans lequel le confinement aurait certainement été plus difficile encore. Je pense notamment à la possibilité, pour les jeunes musiciens, de continuer à se faire entendre, eux qui n’ont pas les moyens de promotion de leur talent. Ils peuvent communiquer, montrer ce qu’ils savent faire et c’est très bien. Le cœur battant de la musique reste malgré tout la scène, le son que l’on entend, que l’on perçoit physiquement sans intermédiaire, la sensation de la présence d’un artiste sur scène… quel que soit le type de musique, c’est quelque chose qui formalise l’organisation de la vie musicale. Le numérique vient en plus, et c’est très bien, mais le cœur de la musique, c’est la scène. »
Outre la scène, il y a aussi, pour les musiciens, tout un pan pédagogique avec l’enseignement et la transmission de la musique. Comment articuler ce travail quand on ne peut pas être là physiquement et que le numérique a remplacé cette présence physique ?
« J’enseigne au Conservatoire de Paris, et pendant tout le confinement ça a été précieux de garder contact avec les étudiants grâce au numérique. De la même manière, se rencontrer numériquement ça peut paraître difficile. Mais avec des étudiants qu’on connaît bien, ça a été extrêmement précieux. Je pense notamment à ceux qui étaient souvent seuls, dans leur studio, éloignés de leur famille… Heureusement qu’il y avait cette possibilité-là, pour faire de la musique, pour parler, pour présenter un travail et avoir une finalité pendant ces moments d’isolement. Plus largement, le numérique permet d’archiver la pédagogie. Je travaille actuellement pour un projet à la Saline royale d’Arc-et-Senans, qui va justement essayer de conjuguer master-class en présence in situ avec plusieurs sessions par année, et les cours seront filmés, permettant de créer une base de données consultable par des étudiants du monde entier sur une durée plus longue. Dans le cadre de la pédagogie, il y a vraiment des logiques vertueuses à mettre en place si tant est qu’on n’oppose pas la présence physique et le numérique, et sans dire que le numérique pourrait supplanter ou remplacer la présence physique. Il y aurait un danger considérable à établir une concurrence entre les deux. Je crois qu’on peut absolument construire des projets très fertiles avec les deux approches. »
Revenons au concert de vendredi. Vous venez à Prague, cité de la musique par excellence. Les pays tchèques sont réputés pour leur grande tradition musicale. Comment abordez-vous ce concert avec le PKF et avez-vous déjà joué avec cet orchestre ?
« C’est une première que je dois à l’invitation d’Emmanuel Vuillaume, directeur musical de l’orchestre. Je le connais depuis de longues années. Je suis très heureux. Prague est une ville symbole, que j’aime beaucoup, où j’ai eu de la chance de pouvoir jouer plusieurs fois. Je m’y sens profondément attaché. C’est une ville d’histoire, il s’est passé tellement de choses importantes pour l’histoire de la musique universelle. Quand on est un instrumentiste à cordes, il y a tellement de musiciens à cordes du passé et d’aujourd’hui que nous vénérons, que nous aimons. Dans l’approche musicale des Tchèques, il y a un point d’équilibre, entre le monde slave et germanique. Les traditions se sont croisées à Prague, on l’entend de manière très équilibrée dans l’esthétique sonore et expressive des grands interprètes tchèques. Quant aux compositeurs tchèques : vous imaginez pour un violoncelliste, le plus grand des concertos pour violoncelle, c’est Dvořák ! Ça commence là ! On n’y échappe pas et on n’a aucune envie d’y échapper. J’ai aussi beaucoup d’intérêt pour la musique de Janáček, ses opéras que j’aime particulièrement. J’ai aussi l’occasion de travailler avec les grands quatuors tchèques : les Talich, les Pražák, avec qui j’ai enregistré le quintet de Schubert, donné beaucoup de concerts et dont j’apprécie le jeu. »