Dans les airs avec Marek Mádl, pilote de ligne franco-tchèque
Quand il ne pilote pas un Boeing 737, Marek Mádl s’adonne à la photographie, aérienne surtout, mais pas seulement. Il réalise aussi des vidéos, notamment pour l’ENAC, l’Ecole nationale d’aviation où il a fait ses études et où il a appris le métier de pilote de ligne. Et parce que visiblement, cela ne lui suffit pas à remplir ses journées bien remplies, il participe également à un podcast appelé L’Expérience Chibane qui met en lumière les parcours d’aviateurs et aviatrices, ou d’autres personnes qui ont un lien avec l’aérien.
Marek Mádl, bonjour. Miracle des réseaux sociaux qui peuvent être tout à la fois un lieu de perdition pour l’esprit, mais aussi celui de sympathiques découvertes, c’est sur Twitter que j’ai découvert votre parcours, et qu’est donc venue l’envie de vous convier ici en studio pour en discuter. Marek Mádl, vous êtes pilote de ligne, et peut-être que je commencerai par-là : à quand remonte chez vous, aussi loin que vous vous souvenez, l’envie de voler ? L’envie d’être aux commandes d’un avion donc…
« Ça remonte à mes six, sept ans. J’ai découvert une bande dessinée chez mes grands-parents : Tanguy et Laverdure, d’Uderzo, qui parle des aventures de pilotes de chasse. C’est mon premier souvenir de l’aviation : ce qui me passionnait à cette époque, c’était l’avion de chasse, je trouvais que c’était un bel objet. La suite fait que j’ai évolué plutôt vers le métier de pilote civil. »
Vous ne vouliez pas devenir pilote de chasse ?
« Non, ça me fascine toujours visuellement, quand je vois des vidéos d’avions de chasse dans les montagnes, ou quand j’en vois passer. Mais jamais je n’échangerais avec le métier de pilote de ligne, c’est ce qui me plaît le plus. »
Vous avez cité Uderzo, c’était une de mes questions justement : quand on parle d’aviation, quelles sont les œuvres littéraires ou cinématographiques qui vous viennent à l’esprit et qui incarnent le mieux, selon vous, le cœur de votre métier – et de votre passion ?
« Je me souviens avoir lu plusieurs fois Le Grand cirque de Pierre Clostermann qui était pilote pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est passionnant. Pour le métier de pilote de ligne à proprement parler, je n’ai pas lu grand-chose. Pour ce qui est des films, je suis passé par la phase Top Gun, évidemment. Et puis, un film qui a, selon moi, des images exceptionnelles, c’est Les Chevaliers du ciel, filmé dans les années 2000. L’histoire n’a rien de spécial, par contre la réalisation et les plans aériens sont formidables : il n’y a quasiment aucuns effets spéciaux. Celui qui a réalisé les images aériennes est spécialisé, il reste une inspiration pour moi. Il a fait notamment des vidéos pour Air France et des clips pour Boeing. Il y a une vraie sensibilité pour l’image. »
C’est important pour vous l'aspect visuel, on va en reparler d’ailleurs. C’est quelque chose de fondamental dans votre travail évidemment, mais aussi comme passion annexe. Mais avant cela, j’aimerais revenir sur vous : vous avez grandi à Prague, en République tchèque, de parents tchèque et français. Nous voici donc deux franco-tchèques dans ce studio, quelle est votre histoire de franco-tchèque ?
« Ma mère est française et est venue à Prague pour la première fois en 1988 ou 1989. Elle est revenue dans les années 1990 et a rencontré mon père. J’ai fait l’essentiel de ma scolarité au Lycée français de Prague, avec une petite excursion au Gymnázium Jana Nerudy dans la rue Hellichova. »
Vous vous sentez à l’aise dans les deux mondes…
« Oui, c’est différent évidemment. Quand je suis en France, mes amis tchèques me manquent, quand je suis en Tchéquie plus longtemps, c’est l’inverse. Ce sont deux cultures différentes que j’aime toutes deux. »
Vous avez fait l’ENAC, l'Ecole Nationale de l’aviation civile. Pourquoi avoir choisi un parcours de formation en France plutôt qu’en Tchéquie ?
« C’est cette école-là qui me faisait rêver et j’ai essayé d’orienter mon parcours en fonction de cela. Ce qui est génial avec l’ENAC et qui est unique en Europe, c’est que c’est une école publique : la formation est donc entièrement financée par l’Etat. On ne doit rien à l’Etat par la suite non plus. La formation est de très bonne qualité. C’était surtout une école qui me faisait rêver et qui me ramenait à mon envie de piloter un avion un jour. C’est une grande école, avec un grand campus, c’est impressionnant quand on y va pour la première fois. Mais au final, c’est que la formation est de grande qualité et gratuite. C’est un cursus qui reste universitaire. Ailleurs en Europe, il faut rentrer dans une école privée, payer ses heures de vol etc. Cela revient très cher. Donc faire l’ENAC est une chance que j’ai eue. Mais il y a d’autres parcours différents : certaines personnes choisissent de travailler d’abord, avant de rentrer dans une école privée pour pouvoir financer les cours. »
Comment se passe la formation ? Et quel avion avez-vous été formé à piloter ?
« Il y a plusieurs cursus pour devenir pilote à l’ENAC. Moi, j’ai fait une prépa intégrée qui dure un an. Il y a un concours d’entrée pour pouvoir entrer dans cette prépa intégrée que j’ai fait durant l’année de Terminale. Mais on peut aussi postuler après une prépa standard, après avoir fait Maths Sup ou une école d’ingénieur. Après la prépa intégrée, on a un an de théorie : c’est un peu comme le code de la route, finalement, on va aborder tous les domaines qui touchent au métier de pilote. Cela veut dire un gros module de météorologie, d’aérodynamique pour savoir comment vole un avion, selon sa taille, il y a du droit, de la médecine aérienne… A l’ENAC, on fait cela avec des experts en la matière. Le module de météorologie, c’était avec quelqu’un qui avait fait sa carrière à Météo France. Tout ceci nous donne une sorte de culture aérienne, même si au début cela paraît un peu éloigné. Cela peut paraître un peu abstrait, mais on recolle toute cette théorie dans la pratique plus tard, donc on n’est jamais perdu. C’est donc la première année durant laquelle on a quatorze certificats à passer qui sont ceux de la théorie de la licence de pilote de ligne. Une fois qu’on a passé ces quatorze examens, on passe à la pratique. La première phase de déroule au campus de Toulouse et ensuite on part un peu partout en France où se trouvent plusieurs autres campus. Personnellement, je suis parti pour Montpellier. »
Cela se passe comment ? Vous commencez avec un petit avion avant de passer à un gros avion ?
« C’est exactement cela. A l’ENAC, on fait deux avions différents et un simulateur. Le premier avion est un petit avion de quatre places, de fabrication française, avec un moteur à hélice. Avec cet avion, on apprend la base du pilotage : savoir faire une ligne droite, un virage, à monter, descendre. Très vite, on va mettre en place des procédures qui vont rythmer tout le vol. Avant le décollage, il y a toute une procédure, on va configurer l’avion pour le décollage, vérifier qu’il n’y a pas de voyants allumés qui ne devraient pas l’être. Avec ces premières leçons de pilotage, le fait de mettre en place ces procédures nous met déjà dans le bain, dans un moule qui est utile en exploitation commerciale, dans le métier de pilote de ligne où il y a aussi ces check-lists qui viennent rythmer le vol. La première partie, c’est juste du pilotage de base, ensuite on commence à faire des navigations soit aller d’un point A à un point B, ce qui est la finalité du métier.
D’ailleurs votre site internet explique bien tout cela : vous y décrivez justement tout ce processus, via du texte et des photos…
« Je voulais avoir une trace, un souvenir. Mon binôme, avec lequel j’ai fait ma formation, est en train d’écrire toutes les anecdotes qui nous sont arrivées pendant la formation. On espère un jour sortir un petit livre. »
Vous êtes pilote de ligne, formé pour piloter un Boeing 737, mais pas seulement. L’autre facette de votre personnalité et de votre parcours, c’est que vous faites également de la photo. Le côté visuel est très important pour vous, comme je le disais : j’imagine que quand on est dans un cockpit, qu’on voit tous ces paysages sublimes, ça ne laisse pas indifférent. Parmi les photos que vous réalisez, de nombreuses photos aériennes, impressionnantes, que ce soit des photos d’avions ou de paysages. Dans quelles conditions prenez-vous ces photos ? Vous ne lâchez pas les commandes, j’espère !
« Non ! Pendant la formation, toutes les photos que je faisais, c’était quand j’étais à l’arrière pendant qu’un collègue en formation pilotait. Je ne vais pas mélanger les deux, le travail et la photo. Durant mes vols en aviation de ligne, je vais attendre d’être en croisière. On voit des choses vraiment extraordinaires. D’un vol à l’autre, on peut faire quatre fois la même ligne, ce ne sera jamais la même chose. Je trouve cela fascinant. J’essaye plutôt de trouver des projets à côté de mon métier, pour ne pas mélanger le travail et la photo. »
Vous êtes à l’origine d’un projet de podcast intitulé L’Expérience Chibane. Les podcasts, ça nous parle ici, évidemment, mais avant d’en dire plus, j’ai besoin d’une petite explication de texte : chibane, ça veut dire quoi ?
« Chibani, c’est un mot d’Afrique du Nord à l’origine. C’est un aviateur qui a un grand passé et des histoires à raconter. Cela peut être un mécanicien aussi, quelqu’un qui a un lien avec l’aérien et qui a des histoires à raconter. Car le podcast est centré autour de l’humain, on invite une personne à nous raconter son parcours, à évoquer des anecdotes survenues en vol. Dans les mois à venir, on aimerait sortir d’autres formats. On prépare un documentaire sur un avion d’observation qui a volé pendant la Guerre d’Algérie, on a interviewé son pilote. C’est un documentaire historique d’environ une demi-heure avec des plans aériens. »
Pour terminer, une question que j’ai toujours eu envie de poser à un pilote : quand vous prenez l’avion en tant que passager, est-ce que vous êtes un simple passager justement ? Ou un passager, disons, critique ?
« Critique non. Mais c’est vrai qu’on regarde davantage ce que font les collègues PNC, les hôtesses et les stewards. On les voit travailler. Comme nous sommes enfermés devant, on ne voit jamais ce que font les collègues à l’arrière et ce qu’ils doivent gérer. Je me suis fait la réflexion récemment en voyant qu’à certains moments, ce n’est pas forcément idéal de leur parler. On se rend mieux compte de leur travail : on est un équipage et quand on part à six, il faut une synergie même s’il y a une porte entre le poste de pilotage et la cabine. Sinon, j’aime regarder par la fenêtre. Mais je ne vais pas aller analyser toute leur approche d’atterrissage par exemple. »
Et j’imagine que c’est la même chose dans d’autres métiers d’ailleurs. Comment allez-vous rentrer à Paris ? Vous vous transportez vous-même ou par des collègues ?
« C’est des collègues de Transavia. »