Dans une école de Prague, un groupe d’adaptation pour faciliter l’intégration des enfants ukrainiens
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, plus de 300 000 ressortissants ukrainiens ont trouvé refuge en Tchéquie. La moitié d’entre eux sont des enfants. Les écoles tchèques s’organisent pour les accueillir, mais sont confrontées à un manque de capacités, notamment dans la capitale. Reportage dans une école du centre de Prague qui, poussée à ses limites, s’est mobilisée pour prendre en charge 45 enfants réfugiés.
Il y a quinze jours, l’Ecole primaire Saint-Etienne (Základní škola u svatého Štěpána) a accueilli les premiers enfants ukrainiens au sein d’une structure appelée « groupe d’adaptation ». La directrice de l’école a créé ce dispositif au pied levé : elle a libéré trois petites salles destinées à l’accueil périscolaire et a trouvé, du jour au lendemain, quatre institutrices ukrainiennes. Actuellement, elles dispensent des cours à une trentaine d’enfants ukrainiens âgés de 6 à 16 ans.
Etablir un lien de confiance
L’une d’entre elles, Tatiana, vit depuis 20 ans en République tchèque et ses deux enfants sont nés ici. Technicienne de profession, elle a travaillé dans une galerie, puis dans un théâtre pragois, avant de devenir, en 2020, assistante pédagogique à l’Ecole Saint-Etienne :
« Quand les premiers enfants réfugiés sont arrivés, nous devions surtout les calmer, les rassurer, faire en sorte qu’ils se sentent en sécurité. Par exemple, j’étais avec eux dans le jardin et soudain, ils ont commencé à paniquer parce qu’un avion nous survolait. Je m’occupe ici des enfants de 6 à 12 ans, je leur parle en ukrainien et en russe. Certains d’entre eux sont traumatisés. Ils viennent de différentes régions d’Ukraine, certains n’ont pas vraiment vécu la guerre, mais d’autres la connaissent depuis 2014. Nous sommes en contact permanent avec leurs mères qui, au début, avaient peur de nous laisser leurs enfants : elles n’étaient pas sûres qu’on arrive à les surveiller. Mais tout se passe bien et nous pouvons, petit à petit, leur apprendre les bases du tchèque. »
Située rue Štěpánská, non loin de la place Venceslas et de l’Institut français, l’Ecole primaire Saint-Etienne est un établissement public géré par la mairie du IIe arrondissement de Prague. Selon sa directrice Jana Páčová, établir un lien de confiance avec les mères ukrainiennes, dont la plupart sont hébergées avec leurs enfants dans des hôtels du quartier, était essentiel :
« Il est très difficile pour ces femmes de se séparer, ne serait-ce que pour quelques heures, de leurs enfants. Avant d’accueillir les enfants chez nous, nous les avons invitées à l’école, elles voulaient voir les locaux et faire connaissance des institutrices. »
« A l’école, nous remplaçons un peu les parents, puisque les familles ne peuvent pas fonctionner normalement. Je viens d’apprendre que la ville de Prague allait nous soutenir financièrement, mais avant cela j’ai dû organiser plusieurs collectes et solliciter des sponsors, pour pouvoir acheter aux enfants des fournitures scolaires, des vêtements aussi. Il nous arrive de laver leur linge à l’école. Jusqu’à présent, les enseignants de toute l’école préparaient tous les jours chez eux des goûters pour les enfants et grâce à l’Ordre des jésuites avec lequel nous coopérons, nous pouvons leur offrir les repas à la cantine. Les familles de nos élèves tchèques nous aident énormément. »
A l’Ecole Saint-Etienne, une trentaine d’enfants, répartis en deux groupes, suivent des cours d’anglais et de tchèque, tous les jours, de 8h00 jusqu’à 14h00. Au sein de cette petite structure, ils font également de la musique, du dessin et du théâtre.
Une autre classe de 15 enfants sera bientôt ouverte au collège jésuite situé à proximité de l’école. Elle sera animée par Hanna, psychologue et professeur d’anglais originaire de Dnipro et arrivée elle-même en Tchéquie comme réfugiée le 8 mars dernier.
L’arrivée des 45 enfants réfugiés a mobilisé tous les enseignants tchèques de l’Ecole Saint-Etienne. Ne manquant pas d’élan et d’enthousiasme, la directrice Jana Páčová avoue pourtant que leur accueil est extrêmement compliqué, du point de vue psychologique, scolaire et logistique :
« Notre école est très sollicitée. Nous accueillons 360 élèves et n’avons pas vraiment de places libres. Chaque année, au moment des inscriptions en CP, je refuse trois enfants sur quatre. La situation est similaire dans toutes les écoles de Prague et de Bohême centrale où arrivent la plupart des réfugiés. Pour les aider, j’ai créé au moins ce groupe d’adaptation. Notre objectif est que les enfants soient encadrés, qu’ils découvrent Prague et la culture tchèque, qu’ils apprennent les bases du tchèque. Et qu’ils soient ensuite scolarisés dans un établissement qui peut les accueillir. »
« Ils suivent des cours d’anglais, très ludiques, qui leur permettent de continuer l’apprentissage de cette langue. Je trouve cela essentiel. Ce qui est compliqué, c’est qu’en général, ils n’ont pas le même niveau d’apprentissage, car ils viennent de milieux différents. Et aussi, le système d’enseignement tchèque n’est pas le même qu’en Ukraine, où l’enseignement obligatoire dure 11 ans, tandis qu’en République tchèque, c’est 9 ans. Alors, par exemple, les élèves de la 5e classe tchèque (équivalent du CM2, ndlr) n’ont pas du tout les mêmes connaissances que les enfants ukrainiens du même âge. »
L'adaptation d'un nouveau venu n'est pas facile
« Ce qui est aussi compliqué, c’est que les enfants proviennent de régions différentes d’Ukraine. Certains se sentent stigmatisés par leurs origines. Au début, ils avaient des conflits entre eux, ils s’attaquaient même les uns les autres. J’ai dû intervenir et leur expliquer que dans notre école, tous les élèves sont les bienvenus, quelle que soit leur origine ou leur confession. Depuis, la situation s’est améliorée. Mais les problèmes ressurgissent à chaque fois qu’un nouvel élève arrive au sein du groupe, car il arrive qu’une place se libère quand la famille trouve un hébergement stable ailleurs. L’adaptation d’un nouveau venu n’est pas facile. »
Cours en ligne depuis l'Ukraine
Arrivée en Tchéquie il y a trois ans de Lviv, où vivent toujours ses parents et sa sœur, Mariana est une jeune professeure de langue et de littérature ukrainiennes. A l’Ecole Saint-Etienne, elle est aussi amenée à enseigner le tchèque à ses compatriotes âgés de 12 à 16 ans :
« Aujourd’hui, nous lisons un conte tchèque traduit en ukrainien. Nous le lisons dans les deux langues. Au bout de quelques jours passés ici, les enfants ont appris l’alphabet tchèque et savent se présenter. Certains d’entre eux suivent des cours en ligne, avec leurs professeurs en Ukraine. Cela marche encore pour les régions d’Ouest, mais pas pour l’Est du pays. J’ai deux enfants originaires de Kharkiv, qui n’ont pas cette possibilité-là, ils apprennent tout avec moi. Aujourd’hui, les enfants réalisent aussi des dessins et écrivent des messages de soutien qui seront ensuite envoyés par convoi humanitaire en Ukraine… Je n’ai pas encore osé parler ouvertement du conflit avec eux, d’autant plus que j’ai un garçon en classe qui refuse strictement d’aborder le sujet. »
Le volley-ball pour oublier la guerre
Aider leurs nouveaux élèves à surmonter le traumatisme de la guerre et faciliter leur intégration, tout cela avec les moyens limités dont elles disposent, tel est en ce moment le plus grand défi des écoles tchèques. Pour Jana Páčová, le temps passé avec leurs camarades tchèques est essentiel :
« Nos élèves ukrainiens se sont vite passionnés pour le volley-ball, ce qui nous a fait vraiment plaisir, car nous pratiquons beaucoup de sport dans notre école. Ils jouent tous les après-midi avec les Tchèques dans la cour, ils jouent aussi ensemble au babyfoot ou font du piano pendant les récréations. Aussi, on les a mis en contact avec des enfants ukrainiens qui vivent en Tchéquie depuis longtemps. Ils s’entendent très bien ! Quand je rencontre ces enfants réfugiés dans le couloir et ils me disent ‘bonjour’ en tchèque, j’ai vraiment l’impression qu’au bout de deux semaines, ils sont déjà ‘les nôtres’. »