Dans une enquête inédite, la Radio publique découvre six classes sociales en République tchèque
Comment la société tchèque a-t-elle changé depuis la chute du rideau de fer ? Qu’est-ce qui la divise et qu’est-ce qui l’unit, 30 ans après la révolution de Velours ? Une enquête inédite par son ampleur, réalisée par la Radio publique tchèque (Český rozhlas), donne des pistes de réponses à ces questions. Ce n’est pas un pays composé d’élites et de la masse que l’enquête a découvert, mais une société plus fragmentée, divisée en six classes sociales bien distinctes.
Les classes sociales les mieux placées sont celle de la classe moyenne établie (22%) et de la classe « cosmopolite », celle de nouveaux travailleurs aisés (12%) : ces deux catégories regroupent environ un tiers de la population. Près de la moitié des Tchèques forment trois classes moyennes inférieures, aux revenus plutôt modestes, tandis qu’un habitant du pays sur six vit dans la précarité.
Cette étude élaborée par la Radio tchèque et une équipe de sociologues a été menée auprès d’un nombre assez impressionnant de 4 000 personnes, soit via un questionnaire en ligne, soit par des interviews en face à face. Les auteurs du projet se sont inspirés d’une étude britannique intitulée « Great British Class Survey » et élaborée il y a quelques années par le laboratoire de recherche de la BBC. Paulína Tabery du Centre pour l'étude de l'opinion publique (CVVM) fait partie des trois sociologues qui ont réalisé ce sondage tchèque. Elle explique en quoi le modèle britannique, inspiré à son tour de la méthodologie du sociologue français Pierre Bourdieu, est novateur :
« Les méthodes traditionnelles de classification de la société se concentrent sur l’aspect économique. La société est divisée selon ce critère qui porte essentiellement sur la profession des personnes sondées, sur leurs compétences au travail. Or les chercheurs britanniques ont dynamisé cette méthode par une nouvelle approche : ils ont mesuré aussi le capital social et culturel des personnes interrogées, c’est-à-dire l’importance du réseau de relations de chacun, ses connexions, l’héritage culturel de sa famille, ses intérêts, ses activités culturelles… »Ainsi, par exemple, la classe « cosmopolite », est composée de jeunes travailleurs socialement et culturellement actifs, mais avec un niveau de capital économique moyen. La classe moyenne inférieure, la plus nombreuse en Tchéquie, regroupe, elle, à la fois la classe ouvrière (14%), prospère, mais socialement et culturellement peu active, ainsi que la classe menacée qui est, au contraire, relativement pauvre, mais avec un grand potentiel et un capital social et culturel élevé. Elle représente 22% de la population tchèque.
Paulína Tabery explique :
« Dans cette classe, on trouve des gens dont le parcours de vie a été influencé par une situation désagréable : un divorce, la saisie de ses biens par exemple. Les femmes sont très nombreuses dans ce groupe. Voilà les conséquences du clivage entre les salaires des hommes et des femmes, de la situation sur le marché du travail qui est peu favorable aux mères ayant des enfants en bas âge. Tous ces aspects peuvent finalement faire basculer les représentants de ce groupe dans la précarité. »Nous l’avons dit, à en croire ce sondage, un Tchèque sur six vit dans la précarité. Une situation qui concerne donc plus de 17% de la population tchèque et qui est souvent transmise de génération en génération, comme l’explique Martin Buchtík, directeur de l’agence STEM :
« Dans les familles aux faibles revenus, les enfants ne sont pas motivés à étudier par leurs parents. Il n’est pas question qu’ils aspirent à des études supérieures. Le mieux qu’ils peuvent faire, c’est un lycée professionnel. Il est alors difficile pour les jeunes d’évoluer, de passer dans une classe supérieure. La transmission des inégalités d’éducation d’une génération à l’autre est un problème majeur de la société tchèque. »
Cette société tchèque, est-elle donc divisée, trente ans après avoir retrouvé la liberté ? On écoute Martin Buchtík :
« La société n’est pas autant divisée qu’on pourrait le penser. Les gens adoptent des positions semblables sur beaucoup de questions. Ils sont divisés sur la gravité de certains problèmes sociaux ou encore sur leur perception de l’évolution du pays depuis la chute du communisme. Beaucoup d’entre eux estiment que c’était une chance ratée. Ensuite, les positions sont divisées sur l’orientation future du pays. En fait, très peu de gens souhaitent une orientation ‘vers l’Est’. Les gens se posent plutôt la question de savoir s’il faut absolument appartenir ‘à l’Occident’ ou s’il faut adopter une troisième voix, à l’image de la Suisse. Par ailleurs, cette question est présente dans l’esprit des Tchèques depuis la Première République du président Masaryk. »Des débats, reportages et projets spéciaux sont prévus par la Radio publique à propos de cette nouvelle classification de la société tchèque. Radio Prague International y reviendra également dans ces émissions.