De Barrandov à Hollywood - retour à Prague et "évolution de velours"
Suite et fin de notre entretien avec Norbert Auerbach. Parti de Prague en 1939, Norbert Auerbach a fait une carrière exceptionnelle à Hollywood, prenant la tête des plus grandes sociétés de production de films et devenant même un moment conseiller du président américain Ronald Reagan. 50 ans après son départ de Prague avec sa famille, pour échapper à la terreur nazie, Norbert Auerbach y est revenu, pendant l'été 1989, pour être au chevet de son ami d'enfance, gravement malade. Quelques semaines après son arrivée commence alors ce qu'on appellera plus tard la révolution de velours, menée par le Forum civique (Obcanske forum) :
« Je dis toujours que les Tchèques n'ont pas eu une révolution mais une évolution. A part quelques incidents, graves mais pas trop, tout s'est passé très calmement. J'ai passé beaucoup de mon temps en voyageant entre la France et la Tchécoslovaquie pour faire imprimer les autocollants avec le logo du Forum civique. Le logo était imprimé à Nice, à mes frais, et je le livrais au Forum civique, parce qu'ils n'avaient pas les moyens techniques ni l'argent pour les fabriquer correctement. En plus j'amenais de la couleur pour les photocopieurs. Au fond, c'était comme ça que j'aidais directement et que je rencontrais les gens du Forum civique, mais ce n'était pas ma place pour moi, un 'revenu', que les gens ne regardaient pas avec beaucoup de sympathie. Les gens disaient : 'maintenant que nous sommes libres vous venez nous aider - mais où étiez-vous pendant ces temps difficiles'... Plus tard, j'ai rencontré Havel et puis des gens de l'ODS mais je ne suis pas un homme qui s'intéresse beaucoup à la politique, les hommes politiques pour moi sont aussi antipathiques que les acteurs, parce qu'ils sont faux. Ils font des promesses qu'ils ne tiennent pas. Une grande partie d'entre eux oublie qu'ils sont des serviteurs du peuple pour le bien du peuple pas pour leur propre bénéfice. »
Vous parliez de la difficulté pour les exilés revenus au pays. Beaucoup de personnes qui sont revenues ou ont essayé de revenir disent que le retour d'exil est particulièrement difficile à Prague. Vous êtes ici depuis maintenant une quinzaine d'années - ça a été difficile pour vous aussi ?
« Oui, comme je disais, j'ai rencontré plusieurs fois et rencontre toujours des gens qui me disent 'Qu'est-ce que tu nous racontes, toi tu étais en Amérique ou en France quand on souffrait ici sous le communisme...' Très souvent, je trouve que c'est un mécanisme défensif parce qu'au fond beaucoup de gens ne souffraient pas : ils menaient une vie assez normale, bon sans liberté avec un grand L, mais ils avaient à manger, un logement, un travail... C'est un peu comme en Allemagne à la fin de la guerre, quand on est arrivé là-bas : on rencontrait des Allemands et il n'y avait pas un seul nazi. Maintenant, en République tchèque, personne n'était communiste, et si jamais on l'était alors c'est parce qu'on était absolument forcé... Donc il y a beaucoup de faux là-dedans. »