1989 et moi et moi et moi – Norbert Auerbach : « Pas une révolution mais une évolution »
Ce 12 décembre marque le dixième anniversaire de la mort de Norbert Auerbach – l’occasion pour RPI de rediffuser un extrait de l’entretien accordé en 2006 par cet homme au parcours hors du commun. Fils d’un producteur de cinéma de l’âge d’or de Barrandov devenu lui-même président de United Artists après avoir combattu les nazis sous l’uniforme américain, Norbert Auerbach a également été aux premières loges pour assister à la révolution de Velours en 1989. Quelques mois plus tôt, il était rentré à Prague au chevet d’un de ses amis d’enfance gravement malade.
« En été 1989, je suis venu à Prague sans intention d’y rester. La révolution s’est passée très tranquillement. Je dis toujours que les Tchèques n'ont pas eu une révolution mais une évolution. A part quelques incidents, graves mais pas trop, tout s'est passé très calmement. J'ai passé beaucoup de mon temps à ce moment-là en voyageant entre la France et la Tchécoslovaquie pour faire imprimer les autocollants avec le logo du Forum civique. »
Ce logo qui ressemble à un smiley était –il imprimé à vos frais ?
« Le logo était imprimé à Nice, à mes frais, et je le livrais au Forum civique, parce qu'ils n'avaient pas les moyens techniques ni l'argent pour les fabriquer correctement. En plus j'amenais de la couleur pour les photocopieurs. Au fond, c'était comme ça que j'aidais directement et que je rencontrais les gens du Forum civique, mais ce n'était pas ma place pour moi, un 'revenu', que les gens ne regardaient pas avec beaucoup de sympathie. Les gens disaient : 'maintenant que nous sommes libres vous venez nous aider - mais où étiez-vous pendant ces temps difficiles ?'... »« Plus tard, j'ai rencontré Havel et puis des gens de l'ODS mais je ne suis pas un homme qui s'intéresse beaucoup à la politique, les hommes politiques pour moi sont aussi antipathiques que les acteurs, parce qu'ils sont faux. Ils font des promesses qu'ils ne tiennent pas. Une grande partie d'entre eux oublie qu'ils sont des serviteurs du peuple pour le bien du peuple pas pour leur propre bénéfice. »
Vous parliez de la difficulté pour les exilés revenus au pays. Beaucoup de personnes qui sont revenues disent que le retour d'exil est particulièrement difficile à Prague. Vous êtes ici depuis maintenant une quinzaine d'années - ça a été difficile pour vous aussi ?
« Oui, comme je disais, j'ai rencontré plusieurs fois et rencontre toujours des gens qui me disent 'Qu'est-ce que tu nous racontes, toi tu étais en Amérique ou en France quand on souffrait ici sous le communisme...' Très souvent, je trouve que c'est un mécanisme défensif, parce qu'au fond beaucoup de gens ne souffraient pas : ils menaient une vie assez normale, bon sans liberté avec un grand L, mais ils avaient à manger, un logement, un travail... »
« C'est un peu comme en Allemagne à la fin de la guerre, quand on est arrivé là-bas : on rencontrait des Allemands et il n'y avait pas un seul nazi. Maintenant, en République tchèque, personne n'était communiste, et si jamais on l'était alors c'est parce qu'on était absolument forcé... Donc il y a beaucoup de faux là-dedans. »
Combien avez-vous de passeports aujourd’hui ?
« J’ai un passeport tchèque et un passeport américain. Le passeport tchèque est presque un accident. Je ne l’ai pas demandé mais d’après la loi, les Tchécoslovaques qui ont acquis une autre nationalité pendant la guerre ne perdaient pas la nationalité tchécoslovaque. Donc, je n’ai jamais perdu cette nationalité. »Vos quatre fils, que vous avez eus avec deux épouses différentes, parlent-ils tchèque ?
« Non, deux sont nés à Paris d’une mère autrichienne donc ils parlent français, allemand et anglais. Les deux autres sont nés à Londres d’une mère américaine et ils ne parlent qu’anglais. »
Si vous parlez aussi bien le français aujourd’hui c’est d’abord parce que vous avez acquis les bases au lycée français de Prague…
« Absolument, mon père, qui ne parlait aucune langue étrangère, voyait déjà à cette époque la nécessité de parler d’autres langues donc nous étions au lycée français ; ma sœur était au lycée allemand. On a été élevé avec le tchèque, l’allemand, le français, l’anglais… Les quatre premières langues sont les plus difficiles ! »
Gardez-vous une certaine nostalgie de la Prague d’avant-guerre, de la Première République tchécoslovaque ?
« Non, c’était une autre époque. Je me rends compte maintenant qu’on vivait une vie extrêmement luxueuse qui n’a plus jamais été pareille même si mon père a eu du succès aux Etats-Unis. »
« Mais ce sont des souvenirs que j’exagère probablement dans ma tête. On ne se rendait pas compte, je ne peux pas dire que ça me manque ou que j’y pense avec regret. »