De jeunes photographes tchèques ont capté « les battements de cœur de la Tunisie »

Photo: Benoît Rouzaud

Depuis quelques jours, le passage Lucerna, proche de la place Venceslas à Prague, a pris des airs de Maghreb. Et pour cause, sous la célèbre statue du cheval à l’envers de David Černý, une dizaine d’étudiants tchèques en art photographique à la FAMU (Académie du film de Prague) exposent une sélection de leurs photos prises lors de leur voyage à travers la Tunisie en mai dernier. Invités par l’ambassadeur de Tunisie, M. Moncef Hajeri, via l’office national du tourisme, les Yann Arthus Bertrand en herbe, encadrés par deux professeurs, ont photographié désert, montagnes, lacs, villages et autochtones en laissant libre cours à leur inspiration artistique. Le résultat de cette expédition est une exposition itinérante amenée à se déplacer à travers la République tchèque.

Moncef Hajeri,  photo: Benoît Rouzaud
Curieux du regard que portent les étrangers sur son pays, Moncef Hajeri est l’initiateur de cette exposition photographique originale. Comme il l’avait fait lors de son mandat précédent au Japon, l’ambassadeur de Tunisie en République tchèque a convié une poignée d’étudiants en art à exprimer leur ressenti sur son pays. Au micro de Radio Prague, M. Hajeri a expliqué la genèse et les objectifs de ce projet :

« L’idée était de tenter de faire voir aux Tchèques, à la population tchèque, la Tunisie vue à travers les yeux des Tchèques. Cela me paraissait être très intéressant. Etant diplomate, je voyage un peu partout dans le monde et il est évident que les étrangers voient les pays qu’ils visitent d’un œil différent de celui des autochtones. C’est la raison pour laquelle je voulais montrer cette Tunisie, non pas à travers les yeux des Tunisiens, ni à travers les clichés habituels que les organismes de tourisme montrent, mais quelque chose d’un peu plus original qui corresponde plus à la personnalité des Tchèques. C’est ce qu’il m’intéressait de voir et c’est pourquoi nous avons fait cette expédition photo en Tunisie.

Photo: Benoît Rouzaud
Je l’avais fait lorsque j’étais au Japon. Je dois avouer qu’il y a une énorme différence entre ce que voient les Tchèques et ce que voient les Japonais. L’approche japonaise est beaucoup plus axée sur la nature, celle des Tchèques plus sur l’être humain, et, ma foi, le résultat est assez intéressant. Je voulais renouveler cette expérience qui avait eu beaucoup de succès à Tokyo. Cela permet de voir la Tunisie sous un autre angle. »

Il y a eu des tragédies effroyables ces derniers temps (ndlr : attaque du musée du Bardo le 18 mars et attentat de Sousse le 26 juin 2015). Ce type de projet contribue-t-il à établir des ponts entre la jeunesse tchèque et la jeunesse tunisienne ?

Photo: Benoît Rouzaud
« C’est vrai que les temps sont durs et que le monde traverse une période difficile, qu’il traverse une période extrêmement agitée. Cette opération était prévue depuis très longtemps, avant que les évènements ne se passent en Tunisie. Elle a eu lieu après les évènements. D’une part, je les remercie d’avoir eu le courage d’aller en Tunisie. Je crois que ça rapproche effectivement et que ça donne une image de la Tunisie qui est intéressante. Pour être très franc avec vous, je pense que la Tunisie n’est pas un pays de terrorisme. Il s’est passé deux attentats terribles, absolument catastrophiques. La Tunisie n’est pas en guerre, la Tunisie n’est pas un pays de sang, ni un pays où les gens s’entretuent. Non, c’est un pays de paix, c’est un pays qui accueille entre sept et huit millions de touristes tous les ans. Le tourisme est extrêmement important. Je pense que ce genre d’opération peut aider, non pas à une réconciliation, mais à montrer la Tunisie telle qu’elle est véritablement, c'est-à-dire un pays de paix, un pays où il fait bon vivre, et c’est ça qui est intéressant, je pense. »

Est-ce qui ressort finalement de cette exposition photo, de ces clichés dans ce passage de Lucerna ?

Photo: Benoît Rouzaud
« Je crois que ceux qui sont allés en Tunisie ont exprimé une certaine douceur de vivre de la Tunisie, ils ont exprimé une Tunisie qui vit normalement, en fait. Vu de loin, les attentats semblent dessiner un pays qui est aux abois, un pays déchiré par une menace persistante. Ce qui n’est absolument pas le cas lorsque l’on vit en Tunisie. Les choses sont complètement différentes. Donc, c’est vrai qu’ils ont exprimé quelque chose que j’apprécie personnellement, une certaine douceur de vivre, des paysages intéressants et une sorte de battement de cœur que j’agrée tout à fait. »

D’un point de vue touristique, pensez-vous que les Tchèques qui aiment la Tunisie vont revenir ?

« Ce que je suis en train de constater, c’est qu’après une accalmie au lendemain de l’attentat de Sousse, les Tchèques repartent en Tunisie. Les Tchèques ne réfléchissent pas comme en Europe de l’Ouest, où l’on est davantage proche de la Tunisie et où l’on a tendance à monter en épingle la plus petite des manifestations. Les Tchèques ont vécu une révolution il y a plus de vingt ans et ils comprennent que nous vivons la nôtre aujourd’hui. On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs. A partir de là, ils sont beaucoup moins influencés par les médias, ils sont beaucoup moins influencés par les décisions qui sont prises notamment en Angleterre. Mais les Tchèques reviennent et c’est quelque chose de très bien. »

Photo: Benoît Rouzaud
Que peut-on souhaiter à cette exposition itinérante ?

« Cette exposition va aller, non pas dans différents lieux de Prague, mais faire le tour de la République tchèque. Nous avons déjà prévu un certains nombre de villes : Hradec Králové, Karlovy Vary, Brno, Plzeň, Olomouc, etc. Elle va faire le tour et montrer ce visage de la Tunisie ressentie par les jeunes Tchèques. Et ma foi, ce que j’en attends, c’est qu’on prenne conscience qu’il y a un pays qui s’appelle la Tunisie avec lequel on peut avoir des relations amicales, des relations intéressantes, des relations intelligentes et culturelles. C’est ce que j’attends de cette exposition. »