De la Chiraquie en Tchéquie, ou quand « manquer une occasion de se taire » ne fait pas pschitt

Photo: ČTK/AP Photo/Michel Euler

Jacques Chirac est peut-être le politicien qui a cumulé le plus de clichés sur les Français en République tchèque et dans toute l’Europe centrale et orientale. D’abord plus favorablement, avec son indéniable côté bon vivant, mais ensuite plus négativement, avec une certaine arrogance perçue à l’Est comme très française et illustrée par sa célèbre saillie à propos de l’Irak en 2003, quand les anciens pays communistes avaient selon lui « manqué l’occasion de se taire ». Une formule qui a marqué à Prague et qui n’est finalement pas loin de passer dans le langage courant.

Photo: ČTK/AP Photo/Michel Euler

« Je sens que la France joue à être une plus grande puissance qu’elle ne l’est en réalité, n’est-ce pas ? Et ils veulent avoir les honneurs accordés séparément à la Chine et aux Etats-Unis mais rien que pour eux… Pour tout ce qui est demandé dans le genre célébrations, eh bien nous lui donnerons. Demain nous aurons même une réunion spéciale concernant le menu, pour mettre au point ce que nous allons donner à manger à ce gourmet français, histoire de ne pas servir encore des patates pas assez cuites…
« Le mieux serait d’avoir des chevaux en plus des motos pour accompagner son convoi dans Prague, comme lors de ma visite en France où il y avait cinquante chevaux autour. Mais bon, a priori nous n’avons pas de chevaux… »

Václav Havel avec Jacques Chirac en 2002,  photo:ČTK/Stanislav Peška
Cette scène succulente est tirée du documentaire Občan Havel (Citoyen Havel, sorti en 2007), avec un extrait consacré au briefing de son cabinet par le président tchèque Václav Havel avant la visite du président français Jacques Chirac.

C’était en avril 1997, quelques jours avant que le célèbre mangeur de pommes ne scie sa branche présidentielle et prononce la dissolution de l’Assemblée. Jacques Chirac était perçu à Prague comme l’un des chefs d’Etat occidentaux favorables à l’élargissement de l’Union européenne, mais aussi et toujours comme l’archétype du Français amateur de bonne chère et séducteur.

« Je préfèrerais que Chirac soit assis à côté de Dáša, elle a une bonne influence sur lui », dit Václav Havel à propos de son épouse, en coulisses, pendant la préparation du plan de table pour le dîner suivant le sommet de l’OTAN organisé à Prague en 2002.

« Ce n'est pas très bien élevé... »

Trois mois à peine après cette réunion pragoise qu’il présidait en tant que doyen, Jacques Chirac va sortir l’artillerie rhétorique lourde contre les dirigeants de la République tchèque et de tous les pays voisins anciennement communistes qui ont suivi Washington sur le sentier de la guerre en Irak.

Voici ce qu’il déclare en février 2003, au sortir d’un conseil européen à Bruxelles :

« Ce n’est pas un comportement bien responsable. En tous les cas ce n’est pas très bien élevé… Donc je crois qu’ils ont manqué une bonne occasion de se taire. »

Jacques Chirac,  photo: Eric Pouhier,  CC BY-SA 2.5
En République tchèque, comme en Pologne et chez plusieurs voisins de la région, se voir faire la leçon d’une telle manière a laissé des traces et pendant de longues années, les diplomates puis les successeurs de Chirac à la présidence française se sont employés à faire oublier cet épisode, qui forcément ne manque pas d’être rappelé dans les nécrologies publiées depuis jeudi sur les sites d’information et dans les journaux, de Prague à Sofia.

« Manquer l’occasion de se taire » n’était pas du tout une expression employée dans la langue tchèque avant la célèbre sortie acerbe du président français.

Plus d’une quinzaine d’années plus tard, force est de constater que Jacques Chirac a tellement popularisé la formule qu’elle est régulièrement utilisée à Prague, au niveau officiel aussi, et notamment quand la tension monte dans les relations diplomatiques.

Il y a moins de trois semaines encore, à cause des bisbilles avec Moscou à propos de la statue pragoise du maréchal soviétique Koniev, le ministre tchèque de l’Intérieur, Jan Hamáček, a déclaré que « le ministre russe de la Culture avait, comme disait Jacques Chirac, manqué une occasion de se taire ». Ce qui pourrait être aujourd’hui considéré comme une forme d’hommage...