De Masaryk à Klaus, les présidents tchécoslovaques et tchèques face à la maladie

Le président tchèque Miloš Zeman a quitté ce jeudi l’Hôpital central militaire de Prague

Le président tchèque Miloš Zeman a quitté ce jeudi l’Hôpital central militaire de Prague où il a séjourné depuis le 10 octobre. La communication confuse du cabinet présidentiel avait alimenté ces dernières semaines de nombreuses spéculations quant à l’état réel du président et à sa capacité d’assurer ses fonctions. Zeman est cependant loin d’être le premier président à avoir présenté des signes de faiblesse au cours de son mandat. De Masaryk à Klaus, Radio Prague International s’est penché sur la manière dont les présidents tchécoslovaques et tchèques ont fait face à la maladie et a comparé la façon dont les médias s’emparaient du sujet.

Tomáš Garrigue Masaryk (1850-1937), président de 1918 à 1935

Quand Tomáš Garrigue Masaryk prend la tête de la jeune République tchécoslovaque en 1918, il est déjà âgé de 68 ans. Réélu en 1920, 1927 et 1934, il restera au total dix-sept ans au pouvoir. En 1935, le « Président libérateur » se retire de la scène politique, affaibli par la maladie.

Tomáš Garrigue Masaryk | Photo: Archives de ČRo

Son état de santé commence toutefois à véritablement se détériorer à partir de 1934, l’année où il est reconduit dans ses fonctions pour la quatrième fois consécutive. Les informations relatives à sa santé sont alors tenues secrètes comme le note le journaliste et historien Petr Zídek : « Les problèmes de santé de Masaryk étaient minimisés auprès du grand public et n’étaient pas spécifiquement définis, y compris à partir de mai 1934, quand le président a fait son premier AVC ». Pourtant, Masaryk va de plus en plus mal. Au moment de prêter serment après sa réélection, le discours qu’il avait choisi d’apprendre par cœur plutôt que de lire, en raison de problèmes de vision depuis son AVC, lui échappe. Ses assesseurs doivent alors lui souffler le texte.

Photo: Bibliothèque de ČRo

En juin 1934, son état se dégrade à nouveau. Il perd la pleine maîtrise de sa main droite. Signer les documents qui lui sont présentés lui demande désormais beaucoup d’efforts. Dans la plus grande discrétion, un tampon avec sa signature est même commandé. Dorénavant, Masaryk n’aura plus qu’à poser symboliquement sa main sur les actes officiels. Fin août 1934, il est victime d’un semblant d’aphasie. Il éprouve des difficultés à s’exprimer de manière continue et préfère curieusement s’adresser en anglais, la langue de son épouse Charlotte, décédée onze ans auparavant, en 1923. Masaryk s’isole progressivement. Il préfère manger seul, ayant honte de ses mouvements maladroits devant sa famille.

T. G. Masaryk à en 1937 | Photo repro: TGM v Lánech/Za svobodu

En 1935, Masaryk décide finalement de se retirer. Son état ne s’améliore pas. Tout s’accélère à partir de 1937, comme le rapporte l’historienne Dagmar Hájková :

« A partir du moment où l’état de santé de Masaryk s’est beaucoup aggravé, quand en fait il perd connaissance, tout le pays a retenu son souffle et a commencé à suivre avec attention les dépêches sur sa santé. Je dirais presque que Masaryk est mort ‘en direct’, puisque la radio comme les journaux diffusaient chaque jour des informations très précises sur son état de santé, à propos de sa température, de la qualité de sa respiration, de ses visites… Quand sa santé semblait s’améliorer, la radio passait de la musique plus joyeuse. A l’inverse, quand elle s’aggravait, on privilégiait des tonalités plus graves. Donc, c’est comme si tout le pays s’était préparé à ses derniers moments. »

Masaryk s’est éteint le 14 septembre 1937, à 87 ans, au château de Lány.

Emil Hácha (1872-1945), président de 1938 à 1945

A la différence de Masaryk, Emil Hácha, président de la Deuxième République tchécoslovaque puis du Protectorat de Bohême-Moravie, a eu une santé défaillante tout au long de son mandat. Le public n’en était pas informé. Le régime nazi a tenu à le maintenir au pouvoir, voyant en lui quelqu’un de docile et d’inoffensif. L’historien Vít Machálek, auteur d’une longue biographie d’Hácha, considère pourtant qu’au moment de l’attentat contre Heydrich en 1942, « Hácha n’était [déjà] plus en mesure d’exercer ses fonctions et de percevoir correctement la situation ».

Emil Hácha | Photo: Archives de ČRo

Un examen réalisé le 27 octobre 1943 par plusieurs médecins révèle : « une athérosclérose des vaisseaux cérébraux se caractérisant par des états de confusion, une faible stabilité, une perte d’intérêt pour les choses qui intéressaient auparavant Hácha et une perte de la notion du temps ». A la fin de la même année, l’absence du traditionnel discours de Noël de la part du président sème le doute. Des rumeurs circulent selon lesquelles il serait déjà mort. Les dires sont finalement démentis dans la presse en janvier 1944. Le président jouirait d’une bonne santé.

Photo: Bibliothèque de ČRo

En réalité, à cette époque-là Hácha se déplaçait avec difficulté et il lui arrivait de ne pas reconnaître sa propre fille. Hácha se retire finalement au château de Lány. Les informations relatives à son état de santé qui filtrent dans la presse sont minimes et évasives. Des enregistrements du 15 mars 1944 montrent l’état dégradé du président qui peine à préparer son discours et qui est obligé de s’y reprendre à plusieurs fois.

Après la libération de la Tchécoslovaquie, Hácha est arrêté en mai 1945 sur ordre de l’un des dirigeants du Parti communiste Václav Nosek et est conduit à la prison pragoise de Pankrác. Il meurt en cellule le 27 juin 1945.

Edvard Beneš (1884-1948), président de 1935 à 1938, en exil de 1940 à 1945, puis de 1945 à 1948

Edvard Beneš a occupé la fonction de président à plusieurs reprises. Il succède à Masaryk en 1935 et reste au pouvoir jusqu’en 1938 quand il démissionne, à la suite des Accords de Munich qui amputent la Tchécoslovaquie du territoire des Sudètes. Il prend alors la tête du gouvernement en exil installé à Londres avant de revenir en 1945 et d’être réélu président.

Edvard Beneš | Photo: Archives de ČRo

Les rapports de santé d’Edvard Beneš n’apparaissaient généralement pas dans la presse, y compris après ses deux attaques cardiaques en juillet 1947. L’historien Antoine Marès, auteur d’une biographie sur Beneš, confie que le président aurait même fait, en réalité, cinq micro-AVC au cours des années précédentes. L’information a été recueillie par des représentants du Parti communiste auprès des médecins de Beneš, afin de servir leurs manœuvres politiques ultérieures.

Peu de gens savent que le président souffrait également à cette époque-là de la maladie de Ménière qui se caractérise par des pertes auditives, des étourdissements et des maux de tête. Son état de santé détérioré expliquerait en partie sa passivité quand intervient le coup d’état communiste en février 1948. Beneš démissionnera finalement en juin de la même année, refusant de donner son aval à la nouvelle constitution soumise par les communistes. Il décèdera trois mois plus tard.

Klement Gottwald (1896-1953), président de 1948 à 1953

Le premier président communiste tchécoslovaque, Klement Gottwald, souffrait de problèmes de santé graves dont la syphilis et l’alcoolisme. Toutefois, en l’absence de presse libre après 1948, le public n’en a jamais eu connaissance.

Klement Gottwald | Photo: Archives de ČRo

En mars 1953, malgré les avertissements des médecins tchécoslovaques et soviétiques, il décide de se rendre à Moscou pour assister aux funérailles de Staline. A son retour en Tchécoslovaquie, il ne se sent pas bien, il a pris froid. Deux jours plus tard, le 14 mars 1953, le journal Rudé právo publie un rapport médical sur l’état du dirigeant mourant :

Photo: Bibliothèque de ČRo

« Le président de la République, le camarade Klement Gottwald, est tombé malade le 12 mars au matin, affecté par une pneumonie sévère et une pleurésie. Un traitement vigoureux lui a été prescrit et se poursuit ». Il décède le même jour dans ses appartements au Château de Prague. L’opération qu’il devait subir dans sa salle de bains – en raison de son état critique ou afin de la garder secrète, le mystère persiste – n’aura finalement pas lieu. Le lendemain, un communiqué sur la mort du président de la République paraît dans les colonnes de Rudé právo.

Le corps de Klement Gottwald est dans un premier temps embaumé et exposé au Mémorial national de Vítkov, à Prague, à l’image de ce qui avait été fait pour Lénine à Moscou, puis finalement incinéré en 1962.

Antonín Zápotocký (1884-1957), président de 1953 à 1957

Antonín Zápotocký | Photo: Archives de ČRo

Peu d’informations ont filtré sur l’état de santé du successeur de Gottwald. Antonín Zápotocký est mort d’une crise cardiaque le 13 novembre 1957.  Quelques jours plus tôt, le 5 novembre, un rapport officiel, pour le moins lapidaire, avait été publié dans Rudé právo sur la santé déclinante du chef de l’Etat : « Le président de la République, le camarade Antonín Zápotocký est soudainement tombé malade aujourd’hui et a été admis à l’hôpital du Sanatorium national. Son état est ce soir satisfaisant ». Le rapport médical post mortem a révélé un cœur affaibli au point que la mort n’aurait pu être évitée malgré tous les soins médicaux prodigués.

Antonín Novotný (1904-1975), président de 1957 à 1968

Antonín Novotný | Photo: Harry Pot,  Dutch National Archives/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0 NL

Le Président Antonín Novotný n’a pas été gravement malade au cours de son mandat. Quand il meurt d’une crise cardiaque en 1975, son sort ne préoccupait que peu de monde et la nouvelle ne fait alors l’objet que d’une courte mention dans les médias.

Ludvík Svoboda (1895-1979), président de 1968 à 1975

Le successeur de Novotný n’était autre que le célèbre chef militaire et vétéran des Première et Seconde Guerres mondiales, Ludvík Svoboda, président de la Tchécoslovaquie au moment notamment de l’invasion par les troupes du Pacte de Varsovie en août 1968.

Ludvík Svoboda | Photo: public domain

Quand, en juin 1972, Svoboda est victime d’un AVC lors de la visite de la Première ministre indienne, Indira Gandhi, la presse reste discrète et évasive. Il est alors question d’une « maladie légère » pour laquelle les médecins recommandent un « repos de quelques jours ». Les problèmes de santé de Svoboda s’accentuent à partir de 1974, lorsqu’il commence un traitement pour les voies urinaires au sanatorium d’Etat. Les mésaventures se succèdent. Affecté par une série d’embolies pulmonaires et une pleurésie, des rumeurs circulent selon lesquelles le président ne serait déjà plus de ce monde. Pour tordre le cou aux fausses informations, les journaux et la radio décident alors de rendre compte à partir du 17 avril 1974, et ce pendant plusieurs semaines, de l’état de santé du président de manière régulière et approfondie.

En 1975, cependant, Ludvík Svoboda se retire du pouvoir. Il meurt à Prague quatre ans plus tard.

Gustáv Husák (1913-1991), président de 1975 à 1989

Après le départ de Svoboda en 1975, la présidence est assurée par Gustáv Husák qui est par ailleurs le dernier président de la Tchécoslovaquie socialiste. Les nouvelles sur l’état de santé de Husák, même si elles n’étaient pas très bonnes dès la fin des années 1970, n’étaient que peu relayées. Victime d’un premier AVC en 1978, Husák souffrait également de diabète et d’une cataracte. Son état général n’était pas amélioré par sa consommation excessive d’alcool et de tabac.

Gustáv Husák | Photo: ČT24

L’historien Michal Macháček, auteur d’une biographie sur le président, suggère que le président cachait en réalité son état de santé à son entourage : « Husák faisait très attention à son image et son entourage immédiat n’était pas au courant de tous ses accidents vasculaires cérébraux. Il a également évité certaines interventions, comme la chirurgie des yeux, de peur que le temps de convalescence ultérieur ne soit utilisé contre lui par ses adversaires. Il y avait une méfiance et une prudence latentes de sa part, mais compréhensibles au regard de sa vie. »

Photo: Bibliothèque de ČRo

En février 1989, après un troisième AVC, Gustáv Husák, est néanmoins contraint de mettre de côté ses fonctions de président pendant deux à trois mois. Ce n’est qu’en mars 1989 que le public prend connaissance de l’état réel du président qui fait dès lors l’objet d’un suivi régulier, comme en témoigne cette annonce à la Radio tchèque :

« Le camarade Miloš Jakeš a rendu visite au président Gustáv Husák, qui est toujours hospitalisé après un accident vasculaire cérébral mineur. Au nom du Comité central du Parti, le camarade Jakeš souhaite au camarade Husák un rétablissement rapide. »

Václav Havel (1936-2011), président de 1989 à 2003

Le premier président de la République tchèque, Václav Havel, a plusieurs fois été confronté à des problèmes de santé durant ses mandats. Le public en a été informé de façon régulière et détaillée, comme le constate ironiquement le président lui-même en 1996 :

« J’ai lu tellement de détails sur mon état de santé dans les journaux que j’ai l’impression qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter. Je ne suis pas ici parce que ma santé se détériore. En fait je me sens mieux qu’avant ces dernières semaines. Je suis ici car je me prépare pour l’opération de la semaine prochaine qui devrait permettre d’enlever une petite tache sur mes poumons dont on ne sait pas encore grand-chose. Cependant, même si c’était quelque chose de mauvais, elle est si petite et si bien placée qu’elle ne semble poser aucun risque sérieux. »

Václav Havel | Photo: Prachatai,  Flickr,  CC BY-NC-ND 2.0

Havel a subi deux interventions chirurgicales majeures qui ont attiré l’attention du public et des médias : en 1996 lorsque son cancer au niveau des poumons a été retiré et deux ans plus tard, quand il a dû subir une chirurgie du côlon alors qu’il était en vacances à Innsbruck. Pour ce qui est de l’opération de 1996, l’Agence de presse tchèque a publié au total une centaine de rapports quotidiens, couvrant toutes les étapes de l’intervention : commençant par « L’opération pulmonaire du président Václav Havel a débuté », jusqu’à « Klaus a été le premier à être informé du résultat de l’opération de Havel. »

Václav Klaus (né en 1941), président de 2003 à 2013

Václav Klaus | Photo: Filip Jandourek,  ČRo

L’ancien Premier ministre de Václav Havel et son successeur à la présidence, Václav Klaus, n’a pas souffert de graves problèmes de santé pendant ses fonctions. Klaus a toujours mené un train de vie relativement sportif. Les interventions médicales les plus importantes qu’il a subies remontent à 2008 et à 2012, respectivement, pour le remplacement de l’articulation de la hanche et une opération de la cataracte. La presse avait alors été largement informée de ces événements. Il s’est fait remarquer au moment de la pandémie en refusant de porter le masque puis en étant hospitalisé en même temps que le président Zeman dans le même établissement.

Auteurs: Paul-Henri Perrain , Miroslav Tomek
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