Deadtown, un cabaret western des frères Forman entre le théâtre et le cinéma muet

'Deadtown', photo: Site officiel du spectacle Deadtown

On se trouve dans l’Europe du début du XXe siècle. Un illusionniste et propriétaire d’un cabaret médiocre, obsédé par les miracles techniques de son époque – le cinéma muet, la photo et le phonographe -, rêve de Far West qu’il connaît à travers les vieux westerns. Poussé par l’idée naïve qu’il se fait, en tant qu’Européen, de ce monde inconnu, il entame un voyage dans l’Ouest américain pour finir dans une ville fantôme où il ne se passe, du moins en apparence, pas grand-chose… Le nouveau spectacle Deadtown, du Théâtre des frères Forman, Matěj et Petr, les fils jumeaux du cinéaste Miloš Forman, nous invite à vivre cette expérience d’un cabaret western aux confins du théâtre, du cirque et du cinéma muet.

Un théâtre ambulant

'Deadtown',  photo: Site officiel du spectacle Deadtown
Dix ans après Obludarium, un spectacle sur les monstres de cirque joué sous chapiteau, les frères Petr et Matěj Forman, qui sont depuis 25 ans de véritables stars tchèques du théâtre forain, se lancent dans une nouvelle aventure : le Forman Brothers’ Wild West Show – Deadtown, un western un peu foutraque avec lequel la compagnie parcourt, depuis le printemps dernier, les routes de l’Europe. Créé en coproduction avec plusieurs théâtres et festivals notamment de France, mais aussi de Belgique, d’Italie et de Danemark, et présenté en première mondial en mars dernier au Théâtre-Sénart à Lieusaint, près de Paris, le spectacle est enfin arrivé à Prague où il est joué, jusqu’au 30 juin prochain, dans une grande cabane en bois ambulante, installée sur les quais Smíchovská náplavka, sur les bords de la Vltava, dans le cinquième arrondissement de la capitale tchèque.

Nous avons rencontré le metteur en scène du spectacle, Petr Forman, dans cette structure en bois prêtée à la compagnie par la ville de Rennes et qui fait figure du « saloon de Deadtown ». Même après plusieurs journées de représentations, le théâtre est plein de techniciens qui réaménagent et arrangent la scène, ce qui témoigne du fait qu’il s’agit là d’un projet extrêmement exigeant :

« Il nous faut cinq jours pour monter cette structure et trois jours pour la démonter, donc au total huit jours d’un grand travail. Nous avons beaucoup de matériel, surtout en fer et en bois. Nous devons le transporter dans trois grands camions de 40 tonnes et un petit camion de 10 tonnes. Heureusement, nous avons réussi à avoir un sponsor – une compagnie qui nous a prêté deux camions ce qui nous permet de réduire nos frais de déplacement et, par conséquent, de voyager un peu plus ! »

Entre l’Europe et l’Arizona

Petr Forman,  photo: Anne-Claire Veluire
Des préparatifs longs de plus d’un an ont donné naissance à un spectacle hors du commun, mariant le théâtre et le cirque avec le monde du cinéma muet. Les décors fantastiques et les marionnettes géantes – des oiseaux en bois, des cactus à roulettes ou des vélos transformés en chevaux –, ainsi que les animations vidéo présentées sur une toile blanche déroulée du haut du plafond et les bruits de vieux projecteurs qui font penser à l’époque des premiers films de cow-boys, tout cela, fruit du travail des scénographes Josef Sodomka et Josef Lepša, contribue à l’ambiance particulière de ce cabaret western. Petr Forman explique ce qui l’inspire dans ce registre de l’Ouest américain :

« Nous connaissons tous le monde des westerns grâce aux films, aux vieilles photos ou à différentes images. Ce thème est toujours fort au niveau de l’atmosphère, mais aussi quant à l’aspect des images par exemple… Personnellement, j’apprécie beaucoup les vieux films noir et blanc ou les vieilles photos. Les deux ont une atmosphère très riche. Nous sommes donc entrés dans ce monde qui nous a beaucoup inspiré mais, en même temps, qui nous a laissé de l’espace pour notre propre histoire. Nous avons beaucoup d’informations sur ce qui était l’Ouest américain à l’époque. Mais nous ne savons pas tout. C’était un grand avantage pour notre spectacle parce que nous avons pu laisser libre cours à notre fantaisie et recréer ce qui n’était pas défini précisément. »

« Nous nous sommes donc inspirés par le monde du western, mais aussi par l’époque autour de 1900. L’histoire ne se déroule par seulement aux Etats-Unis, dans l’Ouest américain. Tout commence en effet dans un cabaret en Europe. C’est l’époque qui constitue pour nous l’élément le plus important du spectacle. C’est une période qui a donné naissance à différentes nouvelles technologies et inventions, comme le phonographe – nous sommes là à l’époque des premiers enregistrements du son – et la caméra. En parlant de cette époque, nous voulons rendre hommage à tous ces inventeurs qui ont posé la première pierre aux nouvelles technologies. Depuis ce moment-là, le monde a beaucoup évolué. Nous utilisons certaines de ces technologies même dans notre spectacle… Nous parlons donc de cette époque où tout ce progrès est né, de ces gens qui n’ont jamais cessé de rêver et de chercher et qui ont suivi leur rêve d’aller un tout petit peu plus loin et de découvrir de nouveaux appareils pour enregistrer et reproduire le son et les images. »

'Deadtown',  photo: Site officiel du spectacle Deadtown
Les numéros de danseurs, de magiciens et d’acrobates de cirque, accompagnés d’un groupe de musiciens et de chanteurs, alternent avec des épisodes présentant, avec beaucoup d’humour, l’histoire palpitante du rêve américain du héros principal, ses courses-poursuites avec des bandits armés, ses rencontres avec les habitants de Deadtown, aussi bien qu’un triangle amoureux. Le spectacle lui-même est quasi muet. Les quelques dialogues sont présentés, comme dans des vieux films, sous forme de surtitres. Bref, il s’agit d’un vrai mélange qui, au goût de Petr Forman, se caractérise par l’impossibilité d’en définir le genre :

« On a toujours envie de tout catégoriser. Moi, je cherche plutôt des moyens pour surprendre le spectateur, pour faire quelque chose d’original. Aujourd’hui, il existe de nombreuses compagnies théâtrales qui mélangent différents styles. Auparavant, on parlait d’un théâtre de danse, d’un théâtre de marionnettes, d’un théâtre classique… Aujourd’hui, vous pouvez voir des spectacles qui présentent plusieurs choses à la fois. Il est possible de voir des danseurs qui utilisent des marionnettistes, des marionnettistes qui empruntent des techniques du cirque nouveau, etc. Donc, nous essayons tous de faire ce mélange de genres. C’est logique parce que le monde est de plus en plus rapide et nous découvrons tout le temps de nouvelles choses très excitantes. Moi, je pense donc toujours au public. Je me demande comment faire un spectacle pour qu’il soit assez excitant pour les gens. Comme j’aime bien toutes les catégories du théâtre, j’aime bien les mélanger. C’est mieux. C’est plus riche car vous travaillez avec des danseurs, des musiciens, des hommes et femmes du cirque, des marionnettistes… Je trouve cela logique. »

Le personnage de l’illusionniste est lui-même quelque peu mystérieux. Personne ne sait d’où il vient. Lors de son séjour à Deadtown, il fait écouter à ses voisins une chanson « en provenance de son pays d’origine », une mélodie composée au XIXe siècle et très connue de tous les Tchèques car elle va ensuite devenir l’hymne national. Malgré ce fait, pour Petr Forman, la nationalité de l’illusionniste n’a aucune importance :

'Deadtown',  photo: Site officiel du spectacle Deadtown
« Dans le spectacle, nous ne disons jamais qu’il s’agit d’un illusionniste tchèque ou pragois. C’est tout simplement un Européen car nous sommes entre l’Europe et les Etats-Unis. Et quant à l’hymne national tchèque, il y a très peu de monde qui le connaissent. Pour les Français, ou n’importe quelle autre nation, il s’agit juste d’une chanson magnifique. Il faut dire que l’hymne tchèque est en effet très mélodique. On a l’impression d’écouter une chanson populaire. De plus, dans le spectacle, nous utilisons la version chantée par Ema Destinová, une grande chanteuse de cette époque. Donc, ce n’était pas notre première intention de jouer l’hymne national pour déterminer son origine. Certes, nous sommes Tchèques et j’aime beaucoup notre culture. Mais je suis très content d’avoir eu l’occasion de voyager et de rencontrer d’autres cultures. Il est vrai qu’en République tchèque, cela peut avoir un effet différent, peut-être même créer une autre histoire pour le public tchèque qui connaît l’hymne national. Mais en dehors du pays, cela ne reste qu’une chanson… »

Un projet franco-tchèque

Le Théâtre des frères Forman entretient, depuis des années, de très bons contacts avec la France. Parmi la vingtaine de comédiens, musiciens et techniciens qui voyagent avec le spectacle, on trouve donc aussi plusieurs Français. Nous avons rencontré deux régisseurs et leur avons posé quelques questions sur le nouveau spectacle :

« Je m’appelle Louise et je suis venue pour faire les éclairages du spectacle. »

« Je m’appelle Philippe et je m’occupe du son et de la vidéo. »

'Deadtown',  photo: Site officiel du spectacle Deadtown
L : « J’ai rejoint le groupe un peu par hasard. La personne qui devait faire les lumières a été au final choisie par les metteurs en scène pour jouer dans le spectacle. Ils ont donc eu besoin de quelqu’un pour la remplacer. C’était donc un hasard de rencontre. J’ai été sur leur chemin au moment quand ils avaient besoin de quelqu’un… »

P : « Moi, j’habite à Prague depuis quatre ans environ. Je faisais déjà le son sur le spectacle ‘Aladin’ de Matěj Forman. »

Combien de temps et où avez-vous répété ?

P : « Nous avons très peu répété avant la première, seulement un ou deux mois dans cette tente. Avant, il y avait seulement des répétitions entre les comédiens. La tente a été montée en novembre dans le quartier de Suchdol à Prague. Nous l’avons démontée en février pour aller jouer la première à Paris, où nous avons répété une autre semaine. »

Le spectacle Deadtown est à voir à Prague jusqu’au 30 juin prochain. Et après ?

L : « Nous partirons pour Anvers où nous passerons un mois. »

P : « Après, nous irons en Italie, puis à Paris – nous serons installés à la Villette – et au Danemark. Enfin, nous nous rendrons de nouveau en France, à Bourges et à Colombes, en automne prochain. »

Votre agenda est complet jusqu’à la mi-2018 environ. N’est-ce pas difficile de voyager tout le temps avec la compagnie ?

'Deadtown',  photo: Site officiel du spectacle Deadtown
P : « Non. Ce n’est pas difficile quand on a une équipe comme celle-ci. Nous nous entendons tous très bien. Ce qui est difficile, ce sont les montages et les démontages. Après trois ou quatre villes sans s’arrêter, on peut sentir une fatigue physique car cela use un peu… Mais personnellement, je suis très content de le faire. »

Comment vivez-vous cette expérience de travailler dans un collectif franco-tchèque ?

L : « Je trouve vraiment intéressant de travailler avec des gens avec qui j’ai du mal à communiquer et en même temps d’être là et de se côtoyer… Ce travail nous permet de créer une vraie rencontre malgré la barrière de langue, tout simplement parce que nous sommes sur un même endroit, nous travaillons pour la même chose et nous vivons ensemble. »

Plus de détails sur les dates: http://www.deadtown.cz/en/tour-info/