Deux "tchécophiles" français évoquent leurs parcours et leurs activités culturelles
Katerina Hala et Stéphane Gailly... deux jeunes Français attachés à la République tchèque, plus particulièrement à son théâtre, sa littérature et sa musique. Tous deux ont participé, il y a une semaine, à un colloque international sur la vie et l'oeuvre de l'ex-président tchèque Vaclav Havel, organisé par l'Université de Bordeaux III. C'est dans la capitale d'Aquitaine, en marge du colloque, que je les ai rencontrés...
S.G.: "J'ai commencé à étudier la littérature tchèque à partir de ma maîtrise, j'ai travaillé sur Kundera et Diderot. A cette occasion, j'ai effectué un stage de lecteur à Teplice, dans le nord de la Bohême. La rencontre avec le pays a été quelque chose entre la fascination, l'attirance... en tout cas, j'ai été séduit et je suis revenu pendant une dizaine d'années..."
Katerina Hala est doctorante à l'Université de Paris IV - Sorbonne. Actuellement, elle travaille sur sa thèse, axée sur le théâtre tchèque des années 1960, et s'initie à la mise en scène qu'elle a, par ailleurs, étudiée à la DAMU, l'Ecole supérieure de théâtre de Prague déjà citée. Y a-t-il, selon Katerina, des différences entre l'enseignement d'art dramatique tchèque et français ?
"Je ne connais pas complètement et de la même manière les deux systèmes. Pour comparer la DAMU, il faudrait aller voir dans les grandes écoles nationales. Il y en a trois en France - il s'agit du Conservatoire, de Strasbourg et de Lyon. Moi, ce qui m'a intéressé, c'était non pas de jouer, mais d'être metteur en scène. Mais la fonction de metteur en scène ne s'enseignait pas dans ces écoles. Elle s'enseigne maintenant, depuis trois ans. La France marche différemment, au niveau du théâtre, ce n'est pas ce système d'ensembles et de théâtres permanents qu'il y a en République tchèque, c'est plutôt un système de troupes. Finalement, j'ai trouvé cette formation à Prague. Et en revenant de Prague, j'ai découvert que tout d'un coup, il y avait, en France, énormément de formations de metteur en scène et de dramaturge, au sens de conseiller littéraire, qui étaient apparues."
Lors du colloque bordelais, Katerina Hala a donné une conférence sur les écrits théoriques sur le théâtre de Vaclav Havel...
"Je savais qu'il n'y avait pratiquement rien d'écrit sur ses écrits théoriques. Donc, j'ai apporté une nouvelle analyse. J'ai essayé de montrer, dans cet exposé, le grand paradoxe de Havel : il est considéré comme le prince poète, il y a une coalescence entre le théâtre et la politique chez lui, or lui, il n'a jamais été pour le mélange des deux. Dans ses textes des années soixante, il dit qu'il ne veut pas que le théâtre soit utilisé à la place de l'action politique. D'autre part, j'ai essayé de montrer que Havel, finalement, a les mêmes attitudes dans le champ politique et dans le champ littéraire. Havel, alors qu'on dit souvent que c'est un homo politicus ou un homo poeticus, pour moi, c'est un homo ludens, avant tout un homme de jeu à la fois dans le champ politique et dans le champ littéraire."
Stéphane Gailly, attaché temporaire d'éducation et de recherche à l'Université de Paris XII, lui, s'est penché sur la démarche civique dans le théâtre de Vaclav Havel, sur son engagement d'artiste-dissident. Si, aux yeux de Havel, la vocation première d'un dissident est de dire la vérité et d'agir publiquement, le théâtre est, pour lui, un lieu privilégié de cette activité : il force le spectateur à réfléchir, en le jetant, souvent, dans sa propre situation. Mais pourquoi justement le théâtre ? Le roman n'a-t-il pas cette même force mobilisatrice ? Stéphane Gailly :"Le roman peut avoir cette force, évidemment. La plupart des romans, d'ailleurs, posent des questions, c'est pratiquement la démarche de Kundera : il cherche plus à interroger, à poser des questions qu'à donner des réponses. Mais Havel accorde une grande importance au moment où la représentation a lieu. La pièce écrite a finalement peu d'importance, ce qui est important, c'est la pièce jouée. Le moment de la représentation est celui de la construction du sens. Les acteurs présents ne sont pas une juxtaposition de personnes, mais ils créent une vraie communauté qui va progresser ensemble avec l'auteur pendant le cheminement de la pièce. C'est cette empathie entre les acteurs, l'auteur et les spectateurs qui permet au mieux d'interroger le public sur la question de l'être, puisqu'elle se joue devant lui."
Si je vous fais écouter le groupe tchèque Psi vojaci, ce n'est pas sans raison... Dans un instant, on reparlera de lui avec Stéphane Gailly, mais tout d'abord, il vous en dira plus sur son parcours franco-tchèque :
"J'ai commencé à étudier la littérature tchèque à partir de ma maîtrise, j'ai travaillé sur Kundera et Diderot. A cette occasion, j'ai effectué un stage de lecteur à Teplice, dans le nord de la Bohême. La rencontre avec le pays a été quelque chose entre la fascination, l'attirance... en tout cas, j'ai été séduit et je suis revenu pendant une dizaine d'années... J'ai commencé un travail de DEA sur la représentation de Prague dans l'imaginaire français au XXe siècle, ensuite, j'ai entamé une thèse sur Prague en littérature depuis Kosmas jusqu'à Milos Urban. Je me suis installé, pendant quatre ans, à Olomouc, en Moravie, où j'ai enseigné le français à la section bilingue du lycée Slovanske gymnazium."
"Pour les deux ou trois prochaines années, j'ai trois projets : tout d'abord, la traduction des romans de Milos Urban. Ensuite la propagation des oeuvres d'artistes tchèques, des chansonniers ou des groupes de musique. J'ai fait venir Psi vojaci en France, je m'efforce de diffuser cette musique à la radio... Vaclav Koubek est venu aussi et il va revenir. J'ai eu des contacts avec Zuzana Navarova qui a malheureusement disparu. Je ne désespère pas de faire venir Nohavica... Mon troisième projet est tout frais, je commence à travailler sur la mise au point d'un colloque en 2007, à l'occasion du 100e anniversaire de la naissance du philosophe Jan Patocka et du 30e anniversaire de la Charte 77. Il devrait avoir lieu, en tout cas en partie, à l'Université de Paris XII - Val de Marne."Revenons encore à Milos Urban, ce remarquable auteur pragois, né en 1967. Vivement que ses romans, où l'histoire et l'actualité tchèque, l'aventure et le frisson sont au rendez-vous, soient connus aussi des lecteurs français. Par exemple son premier ouvrage Sedmikosteli, Sept églises, sous-titré "Roman gothique du Prague d'aujourd'hui" et acclamé par la critique et le public, a déjà été traduit en plusieurs langues, tout récemment en russe et en espagnol. Ecoutez Stéphane Gailly :