Dina Bensaïd : « La musique classique touche absolument tout le monde »
Née en 1989 à Rabat au Maroc, Dina Bensaïd est avant tout pianiste, mais aussi chef d’orchestre ou directrice artistique du festival Printemps Musical des Alizés. Gagnante de nombreux grands concours internationaux de piano, cette jeune artiste a effectué, lors de la semaine écoulée, sa toute première série de concerts en République tchèque. Dans un entretien accordé lors de son passage à Prague, Dina Bensaïd évoque sa carrière de musicienne et les impressions de son séjour tchèque :
Vous êtes interprète soliste, mais vous jouez aussi, depuis 2003, avec l’Orchestre philharmonique de Maroc et vous faites nouvellement partie d’un projet qui s’appelle Le Yadaïn Piano Duo. Pourriez-vous en dire davantage ?
« C’est un projet organisé avec une amie du Conservatoire avec qui on avait une vraie affinité musicale. En fait, je suis de confession musulmane et cette amie est de confession juive. On voulait faire un duo qui pouvait montrer que le dialogue entre ces deux cultures aurait été possible. Pour moi, c’est quelque chose d’évident parce qu’au Maroc, les juifs et les musulmans ont toujours cohabité. On avait alors envie de montrer qu’il est pour nous naturel d’être ensemble, de partager des moments et des idées. Nous nous sommes dit que faire de la musique, se mettre toutes les deux à un même piano pour dire la même chose en utilisant le même langage universel, est beaucoup plus fort que d’avoir des discours où on entend beaucoup mais qui finalement ne parlent pas. »
On dit que vous vous efforcez de promouvoir la musique classique auprès du grand public. Comment cela se manifeste-t-il ?
« Cela se manifeste dans des choses assez simples mais qui sont pour moi importantes. Souvent, on a l’image de la musique classique comme quelque chose de très sérieux ce qui fait peur aux gens qui ne connaissent pas ce milieu. Parfois, des gens n’osent pas aller à un concert de musique classique juste parce qu’ils ont peur qu’il soit trop intellectuel ou qu’ils ne comprennent pas. Mon message, c’est de dire que la musique classique touche absolument tout le monde, notamment pour deux raisons. La première est qu’il n’y a pas de paroles. Il s’agit des émotions à l’état pur, peu importe la langue ou la culture. Si on est assis et qu’on écoute, on va forcément se laisser toucher d’une manière ou d’une autre. Donc, mes concerts sont en général courts et j’y parle beaucoup. Je présente, j’explique. Il suffit parfois de donner quelques clés d’écoute, deux ou trois informations sur pourquoi cette pièce a été écrite et de quoi elle parle, et ce sont deux ou trois petites aides qui changent tout de suite l’écoute de quelqu’un qui ne connaît pas la musique classique. Et à mon avis, c’est comme cela que la musique classique va être un peu plus accessible à des gens qui ne la connaissent pas. »Parlons de votre séjour en République tchèque. Mardi, vous avez eu un concert au Musée tchèque de la musique à Prague. Quelques jours avant, vous vous êtes présentée également à Brno et à Ostrava. Quel était votre répertoire ?
« J’ai choisi de faire trois programmes différents. Mardi, à Prague, il s’agissait d’un voyage en Europe autour d’une même mélodie qui a été composée au Portugal et que Sergueï Rachmaninov, un compositeur russe, a repris à sa manière et que Franz Liszt, un compositeur hongrois, a aussi repris à sa manière avec des influences espagnoles. Donc, c’était l’idée d’un même thème qui a inspiré des compositeurs très différents à écrire des choses très différentes. A Brno, il s’agissait plutôt d’un aspect sur la technique du piano. On voyait comment différents compositeurs abordent la technique du piano de façon aussi complètement différente. Et à Ostrava, on s’est rapproché des compositeurs Beethoven et Brahms. »
Vous n’avez pas pensé par exemple à jouer également des compositeurs tchèques ?
« Malheureusement, ce n’est pas dans mon répertoire. Mais d’être là pendant dix jours, cela m’a vraiment donné envie de me pencher un peu sur la question et je pense que je vais étudier cela de plus près. »
A Ostrava, vous avez également donné des cours aux étudiants du Conservatoire Janáček. Comment se sont-ils passés ?
« C’était très intéressant. Il s’agissait de cours publics. On était dans une grande salle, il y avait plusieurs étudiants qui venaient et il y en avait trois qui ont préparé des pièces. J’avais envie que ce soit au maximum un échange. Personnellement, je préfère échanger avec les professeurs, que je sois guidée et que je trouve moi-même ma façon de faire. C’est donc cela que j’avais en tête. Mais je me suis rendue compte que ce n’est pas quelque chose dont les étudiants ont l’habitude et il était particulièrement difficile d’avoir un retour de leur part. Donc, j’ai essayé de tourner ce moment à un moment d’échange, où j’ai donné évidemment mon avis, mais j’essayais d’avoir leur impression par rapport à ce que je disais et leur propre avis critique par rapport à ce qu’ils faisaient. C’était alors ce vers quoi on a tendu pendant ces deux ou trois heures de travail. »
Avez-vous d’autres projets prévus en République tchèque ?
« Oui, on avait pensé avec le Conservatoire d’Ostrava de faire un échange au Maroc, que les étudiants puissent venir par exemple au Conservatoire de Rabat et de venir jouer au festival que j’organise chaque année à Essaouira. Et mardi à Prague, on a parlé de l’éventualité d’organiser d’autres concerts, peut-être avec des orchestres. Donc, j’espère que ce séjour va continuer et que cette collaboration va perdurer dans le temps. C’était très enrichissant et j’espère donc que je reviendrai bientôt. »