Disparition d'Anna Fárová, inlassable promotrice de la photographie
Samedi 27 février, l’historienne de la photographie Anna Fárová est décédée à l’âge de 81 ans. Avec elle s’éteint l’une des mémoires de la photographie mondiale du XXe siècle. Hommage et retour sur la vie d’Anna Fárová.
Anna Fárová fait partie des personnes qui ont donné leurs lettres de noblesse à la photo. Elle est la première à envisager l’oeuvre de Cartier-Bresson au même titre que celle d’un peintre ou d’un sculpteur en publiant dès 1958 la première monographie qui saisit tout le travail de l’artiste. En 2006, voilà ce qu’elle confiait à Magdalena Hrozínková sur la réaction de Cartier-Bresson :
« Il était fasciné par cette nouvelle formule. On oublie qu'à ce moment-là, il était déjà célèbre, connu. Il avait publié des livres énormes, superbement imprimés. Mais jamais une monographie. C'était mon objectif - montrer l'évolution des photographes à travers des monographies jusqu'ici réservées aux peintres, sculpteurs, architectes... Décrire toutes les étapes de leur création, du début jusqu'à la maturité. Dans une monographie, toute la carrière de l'artiste est documentée, on y mentionne ses expositions, ses livres. Avant, on pensait que les photographes n'avaient aucune évolution, qu'ils étaient capables de traiter à chaque fois un seul sujet, qu'ils n'étaient pas dignes d'avoir des monographies. Donc au niveau de la photographie, cette formule était tout à fait nouvelle et inconnue, partout dans le monde. »
Anna Fárová est née Annette Šafránek en 1928 à Paris, d’une mère française et d’un père tchèque. Chez elle, se croisent des grands noms du monde culturel tchécoslovaque en France : les peintres Josef Šíma, Jan Zrzavý, le compositeur Bohuslav Martinů. Un bouillon de culture qui la mène à faire des études d’art à Prague. Mais c’est la photographie qui représente littéralement le déclic d’une vie. Pour elle, la photographie a quelque chose de métaphysique, de magique et elle s’emploiera toute sa vie durant à promouvoir les artistes qu’elle aime. Elle fait connaître en Tchécoslovaquie les photographes de l’agence Magnum et s’attache à faire découvrir les grands photographes tchèques que sont Josef Sudek et František Drtikol.
Devenue conservatrice au Musée des Arts et Métiers où elle enrichit la collection photographique, elle est licenciée suite à sa signature de la Charte 77, manifeste des intellectuels tchécoslovaques sous la normalisation. Car Anna Fárová est aussi une femme d’engagement :« J'avais, bien sûr, des amis chartistes, mais ce n'était pas la raison principale. Ce document ne parlait que des droits de l'homme que la Tchécoslovaquie s'était engagée à respecter. Mais elle n'observait absolument pas ces règles. Il m'a semblé évident que tout ceux qui liraient ce papier allaient le signer ! Je ne voulais pas me lancer dans une carrière politique. Je réclamais juste un comportement normal et correct de la part de l'Etat. A l'époque, j'étais aussi prof à l'école de cinéma, la FAMU, et j'ai bien vu comment on traitait les étudiants, qui est accepté au concours d'entrée, qui est refusé... J'ai vu de mes propres yeux ce que c'est que la politique des cadres. Il y avait beaucoup d'injustice dans tout cela. Comme je n'étais pas d'accord, il m'a semblé normal de signer la Charte. On m'a souvent demandé si j'avais pensé à mes enfants... Mais oui, justement, j'ai pensé à eux et c'est pourquoi j'ai signé. »
La révolution de velours sera comme pour beaucoup d’autres intellectuels synonyme de retour à la normale après encore une décennie de travail semi-clandestin. Elle a continué à organiser des expositions, écrire des livres, promouvoir les photographes qu’elle aime, parmi lesquels le photographe Josef Koudelka dont elle avait envoyé les photos de l’invasion tchécoslovaque à l’agence Magnum. En 2009, elle a publié un livre intitulé Deux visages chez Torst, dernier témoignage d’Anna Fárová sur une vie riche de rencontres et de recherches.