Gábina Fárová : « L’omniprésence de la nudité est le signe que nous avons tout osé »

Le cycle Gabinetky, photo: Gábina Fárová

On reste dans la thématique du corps et de l’érotisme. Car les photographies de Gábina Fárová exhalent une sensualité indéniable… La galerie Louvre, au centre de Prague, expose les œuvres de la photographe allant de 1978 à 2002. 35 photographies qui donnent le ton de sa création, une création où la femme et le nu occupent une place centrale. Rencontre avec Gábina Fárová (1963) qui présente les photographies exposées et rassemblées sous le joli titre « Un moment de poésie ».

« Je présente un cycle qui s’appelle Gabinetky, mais j’ai rajouté d’autres cycles encore car l’espace est très grand et très beau. Il y a aussi le cycle que j’ai travaillé entre 2000 et 2002 : c’est la série kaléidoscope, réalisée avec un grand kaléidoscope. J’ai longtemps cherché un sujet que je pourrais mettre à la place des petites pièces de verre qui se trouvent normalement dans un kaléidoscope. Finalement j’ai décidé de dédier cette série à la femme, car comme d’habitude je travaille énormément avec le corps humain et la femme représente toute la simplicité. »

Justement, les femmes sont un thème très récurrent de vos photographies, le nu notamment. Qu’est-ce que le nu pour vous et pourquoi photographiez-vous particulièrement le nu ?

« La nudité, c’est la pureté, c’est quelque chose qui nous a été donné. On vient au monde sans habits, je préfère travailler avec le corps tel qu’il est. Ce n’est pas osé, c’est artistique. Le corps en lui-même est si beau que rajouter des choses n’est pas nécessaire. »

Rajouter des choses, vous voulez dire des ornements, des bijoux ?

« Tout à fait. Je préfère travailler avec des choses qui me rappellent le passé : je travaille avec des espaces. Je ne travaille pas avec des accessoires, mais avec des espaces du passé par exemple. Je trouve un endroit qui est imprégné par ce passé. »

Avez-vous un exemple ? Des photos auxquelles vous pensez ?

« On peut le voir dans les photos que j’ai prises dans le vieux cloître de Valtice transformé autrefois en une des prisons les plus dures du pays, pour les condamnés à 20 ans et plus. J’y ai réalisé des photos de prisonniers. »

En effet, sur ce cycle de photos intitulé ‘le cloître de Valtice’, ce sont des prisonniers, ils sont nus et on voit leurs tatouages. Comment avez-vous réussi à les convaincre de poser pour vous ? Vous êtes une femme, eux sont des prisonniers qu’on imagine durs et renfermés…

« Après la Révolution de Velours, il y a eu un petit moment où les prisons ont été ouvertes. A l’époque je travaillais dans une maison d’édition qui éditait un journal artistique. J’ai demandé à des amis qui étaient en contact avec les directeurs de prisons de me faire annoncer dans celle-ci et de demander s’il y aurait des volontaires pour se faire photographier avec leurs tatouages. J’étais persuadée que personne ne viendrait, mais finalement, une trentaine de prisonniers sont venus, par hasard, par curiosité, même ceux qui n’étaient pas tatoués. J’ai pu avoir un studio dans une salle de la prison et travailler avec la lumière que j’avais amenée, travailler avec les prisonniers. C’était très puissant. C’est la curiosité qui les a fait venir parce que si vous êtes enfermé tout le temps juste avec des mecs, c’est ennuyeux à force, mais réaliser une série de photos avec une femme, ça les attirait bien sûr. »

Le nu est important dans votre création. Mais vous-même, vous n’avez pas peur du nu, vous avez même été photographiée par Jan Saudek. Qu’est-ce que cela a représenté pour vous de vous retrouver de l’autre côté de l’objectif et d’être photographiée par quelqu’un comme Jan Saudek ?

« J’adore être photographiée. Le moment où vous êtes jeune et belle, ça passe si vite ! J’étais aussi attirée par la photo de Saudek, même avec sa personnalité si puissante… »

Aujourd’hui, la nudité est partout présente. Quel est le sens de la nudité aujourd’hui en art ?

« C’est le signe que nous avons tout osé. Avant la nudité, on la voyait uniquement dans des peintures faites sur commandes, dans des églises etc. Aujourd’hui, comme on a tout osé, on voit la nudité partout. Quand j’ai vu l’invasion du nu, j’ai d’abord décidé de ne plus jamais prendre de photos de nus. Finalement, j’ai réalisé une série avec des petits soldats de plomb qui sont à l’attaque, dans une interaction avec des femmes. Il ne s’agit pas de photos avec des nus réellement, mais c’est plutôt pour montrer la relation entre hommes et femmes. Ça a été ma façon de le dire, en remplaçant un homme par une chose qui n’est pas vivante. Mais peut-être que je ferai la même chose avec les femmes dans les années qui viennent. »

Revenons un peu en arrière : votre mère, Anna Fárová, née en France, grande historienne de la photographie, a connu Henri Cartier-Bresson, Josef Koudelka, Josef Sudek. C’était évident pour vous de faire de la photographie ? C’est un héritage familial ?

« C’est vrai que depuis mon enfance j’ai été entourée par des photographes. J’ai fait la connaissance de grands photographes étrangers et tchèques. Mon parrain, c’est Josef Koudelka. Ce n’était pas évident : j’ai commencé par faire de la danse classique, mais je suis trop grande, donc je n’ai pas été prise au Conservatoire. Donc je me suis vraiment lancée dans la photo. »

En quoi votre regard a-t-il changé au fil des années ?

« La révolution de Velours a clairement été un grand changement. J’ai vécu cela. D’un coup la vie a changé, les habitudes aussi et puis, tout est public maintenant. Peut-être que comme on voit partout la nudité, je suis devenue plus timide dans ce que je veux montrer… »

On parlait d’invasion du nu. On peut aussi parler d’invasion du numérique. Qu’est-ce que signifie pour vous cette révolution du numérique ? Est-ce que vous faites du numérique ou êtes-vous restée à l’argentique ?

« Non, je n’utilise pas de numérique. Je travaille toujours de manière classique. Cela me paraît plus artistique de pouvoir toucher mon négatif avec mes mains, de le travailler moi-même, de faire mes agrandissements moi-même. Un peintre qui travaillerait en numérique… c’est un peu étrange… »

L’exposition de Gábina Fárová s’achèvera le 1er juin.