Dominik Duka : « La situation de l’Eglise catholique ressemble à celle de la ville de Dresde après le bombardement »

Dominik Duka

Comme le veut la tradition, à l’occasion des fêtes de Pâques, plusieurs médias nationaux ont donné la parole à l’archevêque de Prague et primas tchèque, Dominik Duka. Nous avons choisi l’entretien qu’il a accordé au supplément du quotidien Hospodářské noviny pour vous en présenter quelques extraits... Nous avons également retenu quelques réactions à la situation politique dans le pays, marquée par la crise qui secouait tout récemment la coalition gouvernementale au pouvoir.

Dominik Duka
Un milliard deux cents millions de chrétiens de par le monde. Ce chiffre démontre, d’après l’archevêque Dominik Duka, que le nombre de chrétiens n’a cessé d’augmenter de façon marquante, au cours des dernières décennies. Toutefois l’Europe et en particulier notre pays sont confrontés à une tendance inverse. Dominik Duka explique :

« Chez nous, le fléchissement du nombre de chrétiens découle de notre histoire négative : dans les années 1920, la fondation de l’Eglise tchécoslovaque, devenue plus tard l’Eglise hussite, a retiré à l’Eglise catholique 20 % de la population tchèque. L’expulsion de la population allemande après la Deuxième Guerre mondiale et deux vagues d’émigration, en 1948 et en 1968, ont fait également perdre au pays beaucoup de croyants et de prêtres. A noter aussi, que des centaines de prêtres, de religieux et de religieuses ont été mis en prison, notamment dans les années 1950. »

Ces événements et l’athéisation imposée par le régime communiste sont alors la cause principale de l’état actuel où un tiers seulement de la population tchèque déclare son appartenance à l’Eglise catholique. Dominik Duka compare sa situation à celle de la ville de Dresde après le bombardement :

Dominik Duka
« Pendant les vingt dernières années, nous recommençons à zéro. L’Eglise en tant qu’institution a été dévastée et il nous faut reconstruire une belle ville à la base des épaves qui nous restent».

Plus loin, l’archevêque de Prague met cette situation dans un plus large contexte en disant :

« Le christianisme doit dès lors reformuler ses idées et ses principes de base pour qu’ils soient compréhensibles à l’homme d’aujourd’hui... Nous nous trouvons dans une époque où la civilisation euroaméricaine arrive à son bout pour donner lieu à une nouvelle civilisation. L’Empire romain fini, il faut bâtir une nouvelle Europe. »

Les relations entre l’islam et les chrétiens, voilà le problème qui est également soulevé dans l’entretien accordé par Dominik Duka au supplément de Hospodářské noviny et dans lequel il dit, nous citons :

« Le conflit de civilisations dont parle Huntington existe réellement. Mais il faut se demander pourquoi. Conçu radicalement, l’islam implique le phénomène de l’expansion. Ceci dit, les événements dont nous sommes ces derniers temps les témoins, n’ont rien à voir avec son essence. Les attaques meurtrières autodestructrices ne sont pas une invention de l’islam, mais elles traduisent l’influence des idées totalitaires européennes, qu’il s’agisse du nazisme ou du communisme. Le manque de perspicacité de leaders européens et américains y jouent, aussi, un certain rôle ».

Au sujet des attaques dirigées contre les chrétiens dans certains pays musulmans, Domink Duka constate :

« La civilisation euroaméricaine est censée comprendre que si nous abandonnons les chrétiens dans le monde arabe à leur sort, elle risquera que tôt ou tard la situation dans nos pays respectifs sera incontrôlable».

Le journaliste Karel Hvížďala, auteur du très connu Interrogatoire à distance, livre d’entretiens réalisés sous le régime communiste avec Václav Havel, consacre un de ses récents commentaires publiés sur le serveur aktualne.cz au 20ème anniversaire du Parti civique démocrate (ODS). Une occasion pour lui de s’interroger non seulement sur le parcours de ce principal parti de droite dans le pays, actuellement au pouvoir, qui avait été fondé par l’actuel président de la République Václav Klaus, mais aussi de réfléchir sur la situation et le climat dans la société tchèque d’aujourd’hui.

Les différentes étapes de l’existence de l’ODS telles qu’elles sont décrites dans cet article, illustrent en même temps les différentes étapes de l’évolution de la société tchèque, après la chute du régime communiste. Son auteur prête une attention particulière à la deuxième moitié des années 1990, époque marquée par un certain dégrisement de la population, survenu après les premières années post-révolutionnaires euphoriques. L’époque où les gens ont commencé à réaliser que les violations de la loi n’étaient pas toujours poursuivies et sanctionnées comme il l’aurait fallu. Il écrit :

« Dès la chute du régime communiste, la justice ne parvenait pas à suivre le pas des transformations de l’économie. Václav Klaus l’a bien voulu pour pouvoir réaliser rapidement la privatisation et pour faire naître, à l’instar de la vieille Europe, une classe moyenne suffisamment riche. Hélas, il n’en a rien été. Il y a des gens qui se sont très enrichis, il est vrai, mais c’étaient notamment les anciennes élites et les imposteurs. Pas la classe moyenne. Cette époque-là peut donc être caractérisée comme le début de la privatisation de la politique. L’insolence ostentatoire des nouveaux hommes d’affaires riches et l’arrogance d’hommes politiques sont devenues source de déception et d’irritation de la population ».

La dernière étape de l’ODS, donc l’étape actuelle qui a commencé avec l’investiture du gouvernement de coalition de Petr Nečas, en juin 2010, est décrite comme suit :

« On peut caractériser cette période comme celle d’une désillusion générale et profonde des citoyens face à la politique. Les gens se déclarent décidés de ne plus aller aux urnes et de ne plus croire le bien-fondé des réformes en cours, dont ils ne comprennent d’ailleurs point le contenu et le sens... les gens se détourent avec dégoût de la politique. Leur méfiance à l’égard des hommes politiques est presqu’aussi grande qu’avant 1989 ».

Ce regard sceptique sur le climat au sein de la société tchèque est partagé aussi par Martin Fendrych du populaire hebdomadaire Tyden. Dans un commentaire publié au lendemain du vote sur la motion de censure qui s’est tenu cette semaine à la Chambre des députés et auquel la coalition tripartite dirigée par Petr Nečas a résistée, il écrit :

Petr Nečas,  photo: CTK
« La majorité des députés ont soutenu un gouvernement au sein duquel on trouve les gens liés à l’agence de sécurité ABL, par laquelle le scandale est arrivé, les ministres que le Premier ministre avait auparavant caractérisés comme peu compétents... Donner la confiance à ce gouvernement signifie en fait donner la confiance au business qui s’empare au fur et à mesure de la politique. Pour la Tchéquie, la MEFIANCE aurait été saine. Les élections anticipées signifieraient une solution claire, peu confortable et chère. Mais la démocratie est effectivement chère et peu confortable. »

Certains commentaires apparus ces derniers jours saluent en revanche le fait que le premier ministre Petr Nečas ait fait preuve de volonté de compromis, sauvant son gouvernement et ainsi donc les réformes prépaparées. Ils avouent en même temps que ce compromis ne saurait exclure l’éclatement, dans un proche avenir, d’un nouveau scandale et d’une nouvelle crise gouvernementale.

Depuis la création de la République tchèque indépendante, le vote sur la motion de censure a été soumis à huit reprises. Il a été notamment soumis - cinq fois - sous le gouvernement de Mirek Topolánek. Tandis que quatre votes ne sont pas parvenus à renverser son cabinet, celui-ci a quand même chuté à l’issue du cinquième vote qui a été soumis par le parti social-démocrate, au printemps 2009, au milieu de la première présidence tchèque de l’Union européenne.

Même si l’actuel gouvernement tripartite de centre-droit de Petr Nečas a survécu cette semaine au vote sur la motion de censure, il n’en demeure pas moins vrai que sa cote aux yeux du public est très basse. A en croire le dernier sondage de l’agence CVVM, seulement 21% des personnes interrogées lui font actuellement confiance. Près de deux tiers d’entre elles se déclarent également mécontentes de la situation politique dans le pays... Une situation très différente de celle qui existait dans le pays il y a un an encore où le gouvernement de technocrates dirigé par Jan Fischer jouissait de la confiance de la grande majorité de la population.