Du Congo-Brazzaville à la mairie d’Úvaly via Ostrava (1ère partie)

Alexis Kimbembe, photo: Site officiel de la ville d'Úvaly

Première partie aujourd’hui de l’entretien réalisé avec Alexis Kimbembe, arrivé de son Congo natal en 1987 et resté depuis en République tchèque, où il a obtenu diplôme et nationalité. Entré depuis quelques années dans la politique locale pour le compte du parti conservateur libéral ODS, il a été élu dans la petite commune d’Úvaly près de Prague, où il est désormais adjoint au maire en charge des questions économiques et financières.

Alexis Kimbembe,  photo: Site officiel de la ville d'Úvaly
« Je suis né dans la région du Pool, à Mindouli. Je parle les deux langues du Congo, le kitouba et le lingala, le français, le lari (ma langue maternelle), le tchèque, et je me débrouille en anglais. »

Cela fait près de 30 ans que vous êtes arrivé en République tchèque. Dans quel cadre ?

« J’ai obtenu une licence de maths et physique au pays. Après, l’Etat tchécoslovaque m’a donné une bourse pour venir étudier les sciences économiques à Ostrava, dans le cadre de la coopération entre la Tchécoslovaquie communiste et le Congo-Brazzaville. »

Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée ?

« Quand on est en Afrique, on a une autre vision de l’Europe, surtout quand on passe par Orly ou Charles de Gaulle. Quand je suis arrivé ici, j’ai été un peu déçu, ce n’était pas la même chose… Mais bon, il fallait résister malgré la déception, on était là pour les études. »

En plus, Ostrava en 1987, ça devait être quelque chose…

« En fait, quand je suis arrivé, il fallait d’abord faire un cours de langue, huit mois à Jihlava. Après, on est parti à Ostrava, ville minière, sale… Mais il y a eu beaucoup de changements depuis à Ostrava. »

Combien de temps avez-vous étudié à Ostrava ?

« Cinq ans, j’ai obtenu le titre d’ingénieur. Après les études, j’ai commencé à travailler à Vítkovice, société métallurgique, et j’y suis resté douze ans. »

Vous étiez donc en novembre 1989 à Ostrava, c’était comment ?

« La révolution, je m’en souviens ! J’étais à l’université et on ne savait pas si on allait nous faire partir, on avait un peu peur… Pour nous, c’était un peu nouveau, mais intéressant ! On voyait les réunions et les manifestations, mais en tant qu’étrangers on restait à l’écart, on ne s’engageait pas. Il y avait beaucoup d’émotion, c’était une chose nouvelle, chacun voulait cette liberté, c’était beau. »

Est-ce difficile aujourd’hui pour un Africain de vivre en République tchèque ?

Úvaly,  photo: Site officiel de la ville d'Úvaly
« Pour moi, non. J’ai étudié ici et je connais le milieu. Mais pour quelqu’un qui arrive d’Afrique sans connaître la langue, c’est difficile de s’adapter. Mon premier fils, né au Congo, est venu ici, mais il a des problèmes d’adaptation, pour la recherche de travail, etc. Mais pour moi, ça va. »

Vous m’avez dit ne pas avoir connu de problèmes de racisme. On dit les Tchèques un peu fermés, avec peu de connaissances sur l’Afrique et une société ethniquement très homogène. Cela peut-il être compliqué parfois ?

« En fait, le Tchèque n’est pas raciste, mais il garde ses distances quand il ne connaît pas. Mais quand il apprend à vous connaître, c’est bon. Je me rappelle à la fac, j’avais des amis qui étaient prêts à se battre pour moi. Il n’y a pas de racisme en tant que tel, plutôt de la distance. Même si dans chaque société il y a des éléments vraiment racistes… »

En tant qu’élu du parti ODS, pensez-vous que la République tchèque devrait faire plus en matière d’accueil de réfugiés ? On a vu récemment que le gouvernement s’était opposé aux quotas de réfugiés par pays, quelle est votre avis sur cette question ?

« Je crois que les Tchèques ont un peu raison. Mettre des quotas n’est pas la solution. Ces réfugiés ne veulent pas rester en République tchèque, ils savent déjà où ils veulent aller. Il faut que les Occidentaux s’attaquent aux politiciens des pays d’où ils viennent. Bien sûr, il y a des réfugiés politiques, mais la majorité est composée de réfugiés économiques. Je prends l’exemple du Congo, avec Denis Sassou N’Guesso, qui s’est taillé une constitution sur mesure. Il arrive à la fin de ses mandats, et veut changer cette constitution pour rester alors que rien ne fonctionne. Il a l’appui des Occidentaux, et après on s’étonne que les gens quittent le Congo pour venir en Europe. C’est d’abord là-bas qu’il faut soigner. »

Certains disent que c’est aussi aux Africains diplômés à l’étranger de rentrer dans leur pays pour contribuer au changement sur place. On vous a déjà reproché de ne pas rentrer ?

Congo-Brazzaville,  photo: Jomako,  CC BY-SA 3.0 Unported
« C’est bien beau, moi je peux rentrer, mais il n’y a pas de boulot ! C’est ça le grand problème. Les gens qui rentrent, on les met dans un ministère et deux ans après, tout ce qu’ils ont étudié est oublié. Le Congo a quatre millions d’habitants et une grande richesse. Mais j’ai des amis qui ont étudié avec moi là-bas et aujourd’hui ils ont la cinquantaine et n’ont jamais travaillé de leur vie ! C’est bien beau de dire aux gens de revenir, mais il faut que les conditions soient réunies. L’Etat doit faciliter ce retour. Sinon ce n’est pas facile. Ici, j’ai une certaine qualité de vie ; si je rentre au Congo je peux avoir des problèmes pour avoir du pain… »

La République tchèque est un pays vieillissant dont le nombre d’habitants va baisser dans les prochaines années et qui va donc avoir besoin d’immigrés…

« Oui, bien sûr. Je ne dis pas que l’immigration est mauvaise en soi. Mais quand quelqu’un ne sait ni lire ni écrire, que va faire cette personne ? Il faut des gens qui apportent un plus au pays, des gens aptes à travailler. Pas des gens qui vont faire beaucoup d’enfants et vivre d’allocations sociales, ça non. »

Que diriez-vous à un jeune Africain résolu à quitter son pays coûte que coûte pour venir en Europe ?

« S’il n’y a pas de problème politique, je ne lui conseillerais pas de venir. Ce n’est plus comme avant en Europe. Je préfèrerais qu’il reste là-bas pour se battre sur place, apprendre un métier. Parce qu’actuellement au Congo, les jeunes ne veulent plus travailler. Ils veulent des commissions, l’argent facile, mais ça ne marche pas comme ça ! Il y a des petits métiers, électricien, menuisier… A notre époque, il y en avait. Quand ça ne va pas à l’école, il faut apprendre un métier. »