Duong Nguyen Jirásková : Vis ma vie de Vietnamienne en Tchéquie (I)

Duong Nguyen Jirásková, photo: Adam Kebrt, ČRo

En 2008, nous avions rencontré Duong Nguyen Jirásková, jeune bloggeuse très active sur internet qui glosait avec humour et lucidité sur les « enfants bananes », la génération de jeunes Vietnamiens, souvent déjà nés en Tchéquie de parents installés de longue date, totalement bilingues, à l’aise à la fois dans les communautés, mais éprouvant également les difficultés d’appartenir à deux cultures très différentes. Entre temps, Duong a fait de brillantes études en France, puis est rentrée à Prague, a rencontré son futur mari et fondé une famille. Et… écrit un livre, témoignage passionnant et toujours aussi perspicace d’une jeune femme vietnamienne et tchèque sur cette double appartenance. Radio Prague est allée récemment à sa rencontre et vous propose aujourd’hui la première partie de cet entretien au long cours.

Duong Nguyen Jirásková,  photo: Adam Kebrt,  ČRo

« En 2008-2009, j’ai commencé à animer un blog sur le site Aktualne.cz, sur la vie quotidienne d’une jeune Vietnamienne en République tchèque. Ça a été une espèce de phénomène soudain, avec un vrai intérêt pour ce que j’appelais les ‘enfants bananes’. Je faisais partie des premières bloggeuses en République tchèque, je pense que j’étais assez objective car je parlais des choses positives et négatives. J’avais pas mal de retours très positifs du côté tchèque. Jusqu’en 2008 en effet, il n’y avait que très peu d’actualités et d’informations sur la communauté vietnamienne… »

Et vous aviez la qualité d’un ‘insider’ si l’on peut dire…

« Exactement ! C’était tout nouveau. Tout ce qui était lié à la communauté vietnamienne dans les médias était assez rempli de clichés. Par exemple, sur le fait que les Vietnamiens ne parlent pas ou peu le tchèque, qu’ils ne sont pas bien intégrés, qu’ils sont tous des dealers de drogue etc. C’était en 2008. Du coup, pour la génération de mes parents ou pour les jeunes de mon âge, beaucoup ont été choqués que je partage des informations assez ‘secrètes’ de notre communauté. J’ai été pas mal critiquée au sein de la communauté vietnamienne. A l’époque j’avais 21 ans… »

Et j’imagine que c’était difficile…

« Oui, j’étais jeune, célibataire, sans le soutien d’un petit ami ou même de mes proches amis. Qu’il s’agisse d’amis récents ou d’amis de toujours en République tchèque, j’ai été critiquée. Il y avait une part de jalousie, mais c’était aussi très nouveau et pour certains ce n’était pas acceptable de critiquer sa communauté. Mais comme je l’ai toujours dit : je peux aimer quelque chose et le critiquer en même temps. C’est comme ça qu’on peut faire évoluer les choses et les améliorer. »

Hors micro, nous discutions de votre parcours. Après vos études en France, vous vous êtes mariée en Tchéquie et vous avez eu ‘deux enfants’ au même moment : une petite fille, qui a deux ans aujourd'hui, mais aussi un livre qui est en partie tiré des posts de votre ancien blog. Mais pas uniquement. C’est en fait une version améliorée et augmentée de ce blog, plus comme un journal intime quotidien. C’est une plongée dans votre vie de jeune femme tchéco-vietnamienne. Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire ce livre ?

« En 2015, j’ai décidé de changer de carrière. Je travaillais alors comme cheffe de projet dans une grande entreprise. C’était assez administratif. Mon mari voyait qu’écrire me convenait mieux, que c’était mon destin, il m’a incitée à quitter mon travail. »

Vous n’étiez pas très heureuse…

« Non, tous les jours, toutes les nuits, j’étais malheureuse. J’avais peur de me réveiller pour affronter un nouveau jour au bureau. J’ai donc quitté mon poste, j’ai essayé d’écrire pour différents magazines et journaux. Mon père m’a dit à un moment donné : ‘c’est bien d’être ‘artiste’, mais tu n’es pas encore une vraie artiste car tu n’as pas encore écrit de livre. Si tu écris un livre, tu seras la plus grande artiste de la famille’ ! »

Photo: Bizbooks
Ce qui est très rafraîchissant dans votre livre, c’est votre façon de vous y exprimer, pleine d’humour, de sarcasmes et d’ironie. Voire un peu trash par moments d’ailleurs ! Vous ne vous gênez pas pour dire les choses que vous pensez, comme vous les pensez. En effet, vous reconnaissez d’ailleurs vous-même que cette façon de s’exprimer est à mille lieues de ce qu’on attendrait d’une jeune femme vietnamienne, convenable et bien sous tous rapports. C’est un témoignage très sincère sur votre vie, les deux cultures tchèque et vietnamienne, leurs liens et les problèmes qui peuvent exister…

« C’était le but : être sincère, ouverte, être moi-même. La cible de cet ouvrage, ce n’étaient pas les Tchèques ou les Vietnamiens. Ce n’était pas ma famille ni mon mari. C’était moi-même, moi qui à 15 ans avais des crises d’identité, et c’était aussi à destination de ma petite fille. Je crois qu’avec ce livre-là, elle me comprendra mieux quand elle aura 15 ans. Je crois que j’avais vraiment besoin d’un livre comme celui-ci pour me trouver. C’est ce qui m’a permis d’être honnête. »

A côté de tout le côté humoristique du livre, vous êtes également très sincère sur un fort épisode dépressif. C’est au cœur du livre, on ne s’y attend d’ailleurs pas trop à la lecture… C’est un épisode que vous avez surmonté, en partie grâce à l’aide de votre mari. Pourriez-vous revenir sur ce qui s’est passé, parce que cela à voir aussi, entre autres, avec le processus d’écriture et la culture vietnamienne…

« J’ai toujours plus ou moins souffert de dépression. Je suis née au Vietnam et j’y ai d’abord grandi avec ma grand-mère maternelle. Mes grands-parents habitaient juste à côté de chez nous. Quand j’avais sept ans, mon père a décidé de retourner en Tchécoslovaquie, où il avait déjà vécu, en tant que traducteur. Pendant un an, ma mère et moi avons donc vécu sans lui. Moi qui avais toujours été la petite fille de mon père, je ne comprenais pas les raisons pour lesquelles il me quittait. Un an plus tard, il avait gagné assez d’argent pour qu’on puisse le rejoindre en Tchéquie. J’ai dû quitter ma grand-mère qui était la personne la plus importante de ma vie. C’était un deuxième choc pour une petite fille comme moi. J’ai débarqué dans une vie de style européen, totalement différente de la vie à Hanoï, une capitale de millions d’habitants. Nous vivions alors dans une petite ville de 3 000 habitants, il neigeait, c’était un vrai choc culturel, linguistique, social etc. Tous les ans en février, peut-être parce que c’est le mois où nous sommes arrivés en Tchécoslovaquie, je souffre de dépression. »

Duong Nguyen Jirásková,  photo: Archives de Duong Nguyen Jirásková
« Et puis en 2015, j’ai changé de carrière : jusqu’alors j’avais toujours été indépendante financièrement, et j’ai dû accepter que mon fiancé me soutiennent, paye tout tandis que moi, je continuais à avoir du mal à trouver du travail de manière indépendante. Et puis, il y avait la nécessité d’avoir une motivation intérieure que je n’ai finalement jamais découverte ! J’avais aussi le sentiment d’être en échec vis-à-vis de ma famille… Je me répétais que mes parents avaient tellement travaillé pour moi. »

Ils avaient investi dans votre avenir…

« Oui, ils ont payé mes études en Tchéquie, en France etc., les cours d’anglais, de français… Et voilà que je me retrouvais au chômage à l’âge de 27 ans ! »

Vous dites à un moment donné dans votre livre que c’est également lié à un certain culte de l’excellence dans la communauté vietnamienne. Les parents investissent dans leur descendance dont on espère qu’ils vont réussir mieux qu’eux-mêmes et qu’ils graviront l’échelle sociale pour le reste de la famille. Vous dites que c’est une pression psychologique très importante…

« Exactement. C’est une pression depuis la naissance. Personnellement, j’avais toujours été toujours la star de la famille, de la communauté, un bon exemple, la bonne élève qui avait étudié en France, avait un bon travail, faisait des voyages d’affaires à Paris, Londres. Et voilà que j’étais au chômage ! C’était un échec de la communauté en même temps. Personne n’a cru et n’a compris ce qui m’arrivait. Ni mes meilleurs amis, ni mon fiancé Jakub ne le comprenaient. Finalement, c’est en écrivant mon livre que j’ai réussi à comprendre beaucoup de choses… »

Pour découvrir ces choses que Duong Nguyen Jirásková a comprises au cours du processus d’écriture, pour en apprendre davantage sur les questionnements identitaires de la jeune génération de Vietnamiens en République tchèque ou savoir s’il existe un clash générationnel entre parents et enfants, rendez-vous dans la rubrique Panorama de mardi prochain.