Éco-crèche : la Tchèque Viktorie Škvarková installe le concept en Suisse romande
Très populaires en République tchèque, les écoles maternelles en plein air sont des établissements scolaires quelque peu particuliers. Originaires des pays scandinaves, leur concept est pourtant simple : accueillir des enfants en pleine nature, du lundi au vendredi et ce, toute l’année. Viktorie Škvarková, tchèque d’origine et installée en Suisse, a fondé, en 2019, son « éco-crèche » à Plan-les-Ouates, à quelques kilomètres de Genève. Elle a répondu aux questions de Radio Prague International, en commençant par expliquer le fonctionnement de son établissement.
« En début de journée, nous accueillons les enfants à deux endroits différents : la gare de Genève, d’où certains prennent le train pour rejoindre Plan-les-Ouates et d’autres sont accueillis sur place, dans la forêt. Ensuite, les enfants jouent toute la matinée et ont une collation. Il y a un repas de midi, puis une sieste. Ce ne sont que des jeux avec des objets trouvés dans la forêt, des pives, des bâtons. Ils peuvent grimper sur les arbres, observer les animaux, etc. On accueille en ce moment douze enfants, de 2 ans et demi à 4 ans puisqu’en Suisse, la scolarité commence à 4 ans. Il y a aussi six enfants, qui sont un peu plus âgés qui ne vont pas à l’école le mercredi. Et il y a également des enfants qui font l’école à la maison. Finalement, le spectre de l’âge est très large, puisqu’il va de 2 ans et demi à 12 ans. »
Donc vous n’avez aucun bâtiment, aucune structure fermée ?
« Non, mais nous aimerions avoir une roulotte dans le futur, où les enfants iraient faire la sieste, mais le repas serait toujours pris à l’extérieur, dans un endroit qu’on appelle le canapé forestier. C’est traduit de l’allemand « Waldsofa ». C’est une construction en bois, en forme de cercle. Imaginez un nid de cinq mètres de diamètre, avec un mur fait de bois, d’un mètre, avec un banc. Devant chaque enfant, il y a un petit espace où ils peuvent poser leur assiette et manger. Au milieu, il y a un foyer où on peut faire du feu. S’il pleut, nous pouvons attacher une bâche et la dérouler, comme une tente. »
Dans une interview pour un média français, vous disiez que les écoles en forêt étaient très populaires en République tchèque, votre pays d’origine. Comment cela se fait-il ?
« Je pense qu’il y a plusieurs raisons. Déjà, une raison culturelle. Les Tchèques aiment bien la nature. Je ne veux pas dire que les autres pays n’aiment pas ça mais les enfants sont très souvent, depuis petits, habitués à être dans des espaces naturels. Je pense aussi que c’est parce que les lois sont différentes. C’est plus facile d’ouvrir une crèche ou une école en forêt en République tchèque. Et il y a peut-être aussi plus de demandes puisque les parents passent leur enfance dans la nature donc ils pourraient avoir envie d’offrir la même chose à leurs enfants. »
Et les éco-crèches sont-elles populaires en Suisse ?
« Non, pas du tout. En Suisse alémanique, il y en a quelques-unes et en Suisse romande, il n’y en a que deux. Il y a de nombreux projets qui se sont développés ces dernières années, comme des activités en nature, mais ce sont des moments ponctuels. L’éco-crèche est ouverte toute la semaine, toute l’année, sauf les vacances scolaires. »
Quand vous êtes arrivée en Suisse, vous aviez déjà la volonté de créer votre éco-crèche ?
« Pour moi, c’était un besoin. Ce n’était pas dès mon arrivée en Suisse, mais les raisons ont été multiples. Moi aussi j’ai grandi dans la nature, je m’y sens bien et je voulais aussi me sentir bien sur mon lieu de travail. J’ai senti que j’étais trop souvent dans des espaces fermés. J’avais envie de passer plus de temps à l’extérieur et j’ai remarqué que les enfants qui sont à l’extérieur sont plus apaisés, plus épanouis. Ils peuvent développer leur motricité. Il y a plus d’espace, donc c’est beaucoup plus calme. Si des enfants crient à l’extérieur, ça ne perturbe pas les autres autant qu’à l’intérieur. Bien évidemment, il y a aussi le côté écologique, la déconnexion totale grâce à la nature.»
Les parents des enfants inscrits à l’éco-crèche sont-ils tournés vers l’écologie ou l’environnement ?
« Oui mais pas tous. Il y a aussi des parents qui aiment bien la nature, mais qui ne peuvent pas offrir autant de temps qu’ils le voudraient pour amener leurs enfants dans la nature. Donc ils préfèrent les inscrire à l’éco-crèche. »
Canapé forestier et toilettes sèches
Donc ils n’ont pas forcément beaucoup de connaissances sur le concept d’une éco-crèche ?
« Ils apprennent petit à petit avec nous puisqu’on organise plusieurs événements au cours de l’année, des fêtes de solstice et d’équinoxe. Il y a aussi des journées participatives où nous construisons toutes les infrastructures dont nous avons besoin pour accueillir les enfants, notamment le canapé forestier, les toilettes sèches, les cabanes pour stocker du bois et les parents participent. Et c’est aussi le concept d’une éco-crèche, de faire participer les familles, les parents mais aussi les enfants, les fratries, les grands-parents, les cousins, etc. Donc si les parents arrivent sans aucune information, ils peuvent commencer à s’y intéresser petit à petit. »
Et donc quelles sont les raisons qu’ont les parents d’inscrire leurs enfants ?
« Elles peuvent être multiples. Certains parents ont grandi dans la nature puisqu’ils ont vécu en Allemagne, en Suisse Alémanique ou dans des pays scandinaves, là où le concept d’éco-crèche a commencé. Bien évidemment, il y a aussi le retour à la nature, la transition écologique. Et souvent, il y a le fait que leur enfant a besoin de plus bouger et à l’intérieur, ce n’est pas possible de donner tout l’espace dont il a besoin. Je pense que les éducateurs et éducatrices font ce qu’ils peuvent mais parfois, les murs donnent une limite. Et ils ne peuvent pas aller plus loin. Pour certains parents, c’est aussi le fait que nous donnons un cadre sécuritaire et affectif mais en laissant les enfants en liberté. On leur donne la liberté de choisir leur activité, avec qui ils souhaitent jouer, à quel moment ils souhaitent manger. Donc nous donnons un cadre sécuritaire stricte, mais aussi une certaine liberté. Ce n’est pas toujours le cas dans les crèches classique où la vie est très chronométrée. Chez nous, les moments ne sont pas découpés. »
Ça ressemble un peu aux écoles Montessori, par exemple ?
« Il y a des similarités, en tout cas dans la philosophie mais maintenant, les écoles Montessori sont très différentes de l’une à l’autre. Mais nous ne proposons pas aux enfants des objets fabriqués par l’homme. Les enfants ont accès uniquement aux éléments de la nature, sauf quelques outils de bricolage, de jardin, etc. »
Est-ce que vous avez des nouvelles des enfants après qu’ils ont quitté votre établissement ?
« Pour l’instant, l’éco-crèche n’est ouverte que depuis deux ans, donc les enfants sont encore là. Mais c’est la deuxième éco-crèche que j’ouvre. J’ai récemment revu un enfant qui avait passé deux ans avec nous. Il est venu à une fête et en trois secondes, il était tout en haut d’un arbre. Ses parents ont dit qu’il était très habile. Après je ne saurais pas dire si c’est grâce à nous, grâce à un environnement, ou grâce à l’école où il est allé. »
Donc les enfants peuvent démarrer une éducation plus classique après l’éco-crèche ?
« Ils peuvent faire ce qu’ils veulent et nous pensons que nous les préparons pour justement choisir l’éducation qu’ils veulent. Chez nous, l’enfant a la liberté de choisir, soit de grimper sur un arbre, de courir, de se poser tranquillement ou de prendre la responsabilité de finir son travail. S’il fait des choix, il doit les assumer. Les enfants peuvent ainsi développer leur estime de soi. »
Connexion avec la nature
Est-ce que ce genre d’éducation pourrait se développer pour des élèves plus âgés, par exemple en primaire, collège, ou même lycée ?
« Bien évidemment oui, ça existe. Il y a d’ailleurs une école partiellement dans la forêt à Prague. Il y a une école pour les enfants de trois à 18 ans au Canada. Il y a des projets partout dans le monde. Je pense qu’on peut retrouver la connexion avec la nature, à n’importe quel âge. Je pense que si les enfants commencent en bas âge, on peut leur donner des outils pour toute la vie. Mais les adolescents sont aussi les bienvenus et là, on pourrait aller plus loin, les laisser deux jours, dormir dans la forêt, etc. »
De récentes études ont montré que le système d’éducation en République tchèque est l’un des points faibles du pays. J’aimerais avoir votre avis sur la question et savoir si le concept des éco écoles pourrait améliorer cela.
« La question de l’éducation est un grand sujet. Tout est lié à l’éducation car toutes les personnes qui vivent sur cette planète, sauf à certains endroits, passent par l’école. Donc c’est très important. J’aimerais parler de la Docteure Jana Nováčková qui développe l’idée, en République tchèque, que l’adulte doit s’adapter à l’enfant et suivre son rythme et ses envies. Il faut adapter l’éducation à chaque enfant car chacun est différent. C’est l’une de nos valeurs. Bien sûr, l’école en forêt pourrait aider à ça. D’ailleurs, je trouve qu’il y a une grande différence entre les éco-crèches de République tchèque et la nôtre. Il y a une absence totale d’activité proposée par l’adulte, ce qui est le cas dans les écoles en forêt de Prague ou en République tchèque. A l’école, le fait que l’adulte dise aux enfants ce qu’ils doivent apprendre et à quel rythme est encore très présent. Et puis à l’école, tout est découpé dans l’emploi du temps. Mais la nature a son propre rythme, avec les saisons, le matin, l’après-midi, la nuit, la température, la météo, etc. Dans une éco-crèche, l’apprentissage se fait par tous les sens, pas seulement par le cerveau. »