Comment les petits Tchèques font-ils l’école buissonnière ?
Voilà une émission que nous avions initialement pensé préparer pour la rentrée début septembre… Mais à peine les petits Tchèques ont-ils repris le chemin de l’école que les voilà déjà en vacances pour quelques jours. Ce sera la première moitié de la semaine prochaine à l’occasion de la fête nationale du 28 octobre, qui marque la fondation de l’Etat tchécoslovaque indépendant en 1918. L’école – « škola », nous en avons bien entendu déjà parlé dans cette rubrique. Mais nous ne nous avons pas tout dit… Et puis, comme le prétend le titre d’un grand classique du cinéma tchèque, « škola je základ života » - « l’école est la base de la vie ».
Mais avant cela, intéressons-nous tout d’abord à l’étymologie de ce mot « škola » qui, sans surprise, est latine et même grecque. Comme pour « école » en français, le substantif tchèque tire en effet son origine du latin médiéval « scola », qui, lui-même, provient du latin classique « schola », évolution du mot grec « skholê », institution où l'on s'adonnait aux études dignes d'hommes libres consacrant leur temps à la philosophie et à la vie publique. A l’origine, l’école était donc un loisir consacré à l’étude, une sorte de repos en quelque sorte. Pas grand-chose à voir avec le sens que l’on lui connaît aujourd’hui, à savoir un établissement où l’on donne un enseignement obligatoire et dans lequel des paquets d’enfants n’apprécient guère se rendre…
Parfois, plutôt que de se rendre en classe et d’y user leurs fonds de culotte, les enfants préfèrent, comme le veut une expression tchèque, « aller derrière l’école », traduction littérale de « chodit za školu ». En réalité, il ne s’agit pas de se cacher derrière le bâtiment de l’école, mais bien de faire l’école buissonnière ou, si vous préférez, de manquer l’école volontairement. Ce n’est pas bien, certes, même si cela fait également partie de l’apprentissage ou de ce que l’on appelle l’école de la vie, car après tout, apprendre à vivre s’apprend dans la vie elle-même et pas nécessairement dans les livres ou sur ordinateur. Et ce n’est pas un vieux con qui parle…Toutefois, et l’enfant doit alors l’accepter, « chodit za školu » peut lui valoir des punitions. A la maison de la part de ses parents bien sûr, mais aussi à l’école. A partir du collège puis ensuite au lycée, un mauvais comportement coûte en général quelques heures de colle, une sanction qui consiste à garder l’élève à l’école pendant son temps libre. Ces retenues sont en général une vraie galère, même pour les habitués, sauf si on reste collé avec un bon pote. Le temps passe alors quand même un peu plus vite. En tchèque, il n’existe pas vraiment d’expression pour ces heures de colle, simplement on dira que « pan učitel (ou pani učitelka) nechá žáka po škole» - « monsieur l’instituteur (ou madame l’institutrice) garder l’élève après l’école (ou après la classe) ». Mais bon, zut quand même, le résultat est le même.
On rigole, mais il existe quand même une réalité nettement moins drôle dans le monde de l’éducation tchèque. Depuis plusieurs années, la République tchèque est régulièrement accusée par les instances européennes de violer les droits des enfants roms à une éducation sans discrimination en les plaçant dans ces écoles dites « pratiques » - « praktické školy », autrefois aussi appelées spéciales – « speciální školy ». A l’origine, ces établissements étaient destinés aux enfants souffrant de défiances intellectuelles et incapables de suivre un cursus scolaire ordinaire. Dans la réalité, ces écoles pratiques accueillent dans une très grande majorité des enfants roms. Lorsque nous l’avions rencontré en novembre 2012 à Prague, le commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Niels Muižnieks revenait d’une visite dans une de ces écoles spéciales à Kladno, en Bohême centrale. Pas langue de bois, le commissaire letton nous avait alors fait part de son sentiment sur cette question délicate :
« Je crois qu’il faut supprimer ces écoles pratiques et spéciales. Il faut que les enfants roms soient scolarisés dans des établissements normaux, car il y a très peu d’enfants roms qui souffrent d’un retard intellectuel. Oui, je crois qu’ils ont besoin d’un soutien particulier, ‘spécial’ pourrait-on dire, mais cela ne signifie pas les placer dans des écoles séparées. Non seulement financièrement mais aussi socialement, cela coûte très cher d’avoir un système ségrégé d’éducation avec une qualité d’enseignement bien moindre que dans les écoles normales. »
Depuis quelque temps en République tchèque, on entend également régulièrement parler des « lesní školky », littéralement « écoles en forêt » ou « écoles forestières ». Il ne s’agit pas d’une classe verte, qui se dit « škola v přirodě », littéralement « école en nature », mais d’une école maternelle – mateřská škola ou školka (petite école) qui se passe en plein air, dans la nature… Et même si ces écoles, spéciales elles aussi dans un certain sens, ne sont destinées qu’aux plus petits en âge préscolaire, on peut penser que si les plus grands pouvaient eux aussi suivre l’enseignement dans une école en forêt, certains d’entre eux feraient peut-être moins l’école buissonière…C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » « derrière l’école ». On se retrouve dans quinze jours, les heures de colle en moins. D’ici-là, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !