Economie : le sport tchèque au bord du gouffre (1ère partie)
Malgré des résultats plus que satisfaisants obtenus aux JO de Londres, malgré les récentes victoires en Coupe Davis et en Fed Cup en tennis, malgré les médailles régulièrement ramenées par l’équipe nationale des Mondiaux de hockey sur glace, malgré le quart de finale disputé au dernier championnat d’Europe de football, ou encore malgré tous les nombreux autres succès collectifs et individuels dans d’autres disciplines, le sport tchèque traverse probablement la plus grave crise de son histoire. Une crise presque existentielle. Très peu soutenu par le gouvernement, qui a fait de la rigueur budgétaire une priorité qui tourne à l’obsession, le sport tchèque manque tout simplement de moyens financiers, notamment pour encourager et soutenir la pratique chez les jeunes. Et loin des préoccupations secondaires voire même presque futiles du sport de haut niveau, qu’il s’agisse de la santé ou de l’éducation, la situation actuelle pourrait rapidement avoir des conséquences sociales dramatiques.
« Selon la dernière étude de l’Union européenne, environ 33 % de la population tchèque pratique un sport plus ou moins régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois par semaine. Mais chez nos voisins allemands, ce chiffre s’élève à 75 %. Cela veut dire que même si nous sommes un pays traditionnellement sportif dans l’âme, le sport perd du terrain. Et c’est une situation à laquelle nous devons remédier. »
Le ČOV entend concentrer son attention en priorité sur la jeunesse. Cette volonté est la réaction, entre autres, à un constat alarmant : par rapport à 1995, cinq fois plus d’enfants souffrant de surpoids ou d’obésité vivent aujourd’hui en République tchèque. Mais pour faire évoluer la situation, des moyens plus importants sont nécessaires. Or, avec 0,18 % du budget de l’Etat qui lui est consacré, le sport tchèque n’a jamais été aussi peu et aussi mal financé, comme le regrette Jiří Kejval :« En l’espace de vingt ans, le sport a perdu une grande partie de ses moyens financiers. Aujourd’hui, nous ne percevons plus des caisses de l’Etat qu’un cinquième de ce qui nous était alloué en 1990. Concrètement, disons que lorsque une couronne pouvait être consacrée à un enfant en 1990, aujourd’hui cette même couronne doit être utilisée pour cinq enfants. C’est là le problème fondamental. Mais il faut que cela change. Car le sport n’a pas seulement des retombées positives sur la santé de la population, il a aussi des retombées sociales très importantes. Le sport joue un rôle primordial dans l’éducation des enfants. Si rien ne change, je suis très pessimiste pour l’avenir. Mais ce n’est pas une question de seulement quelques mois ou d’une subvention pour une année. C’est pour cela qu’une conception d’ensemble sur le long terme est indispensable. Il en va de l’éducation de plusieurs générations d’enfants. Nous savons que cela demandera du temps pour faire évoluer la situation dans le bon sens, mais les gens qui sont autour de moi ont la même motivation et la même vision des choses. C’est pourquoi je suis confiant. »
Parmi les gens qui partagent la même envie mais aussi les mêmes soucis que le président du ČOV figure un autre Jiří, Šlégr. Champion olympique, champion du monde et vainqueur de la Coupe Stanley, Jiří Šlégr possède non seulement un des plus beaux palmarès du hockey tchèque, mais a aussi été un des joueurs les plus appréciés du public dans les années 1990 et 2000. Avant même encore la fin de sa carrière, l’ancien défenseur au corps bodybuildé s’est lancé dans la politique, d’abord à l’échelle municipale puis nationale aux côtés de l’ancien Premier ministre social-démocrate Jiří Paroubek. Elu à la Chambre des députés lors des dernières élections en 2010, Jiří Šlégr a fait du financement du sport sa priorité :
« Aujourd’hui, il nous manque au moins un milliard de couronnes par an. Nous sommes le troisième pays membre de l’UE à consacrer le moins d’argent public pour assurer le financement de notre sport. Pourtant, je suis convaincu que la République tchèque est un pays qui aime le sport. Les amendements qui auraient dû être adoptés auraient dû l’être dans le cadre de la loi sur les jeux de loterie et de paris sportifs. En Europe, à l’exception d’un ou deux pays, tous les autres se servent des revenus générés par les sociétés de jeux d’argent et de hasard pour les reverser au sport. Ce n’est plus le cas chez nous, alors que le ministre des Finances avait promis le contraire. »Jusqu’à sa faillite en 2011, la société de loterie Sazka, la plus importante du genre dans le pays, concourrait en grande partie et de par sa vocation originelle au financement du sport tchèque. Seulement, pour l’organisation du championnat du monde de hockey sur glace en 2004, une salle ultramoderne de 17 000 places initialement baptisée Sazka Arena a été construite à Prague ; un projet au montant surévalué comme souvent en République tchèque et dont la réalisation s’est accompagnée d’une multitude d’affaires troubles. En conséquence de quoi, la société de loterie s’est retrouvée avec un important passif pour finalement être revendue au plus offrant. Depuis, plus une seule couronne n’est reversée au sport tchèque, comme cela était le cas auparavant par l’intermédiaire de l’Etat. Jiří Šlégr explique pourquoi :
« A cause du lobby des communes, l’argent qui provient des revenus générés par les sociétés de loterie est reversé pour 70 % précisément aux communes tandis que 30 % est conservé par l’Etat. Le sport, lui, ne reçoit rien. Auparavant, les sociétés de loterie reversaient environ deux milliards de couronnes par an aux associations reconnues d’utilité publique, et donc aux fédérations sportives qui pouvaient ensuite consacrer cet argent à la pratique des jeunes. Aujourd’hui, pour faire bonne figure, le ministre des Finances a accepté d’augmenter de 800 millions de couronnes le montant du budget au sport. Mais ce qu’il ne dit pas, c’est que cette augmentation n’a été accordée que pour cette année et que le montant de la somme reversée par les sociétés de loterie est de deux milliards de couronnes. Dans l’affaire, les fédérations sportives ont donc de facto perdu 1,2 milliard de couronnes et n’ont aucune garantie pour l’avenir. Et c’est ce que les gens ne voient pas et ne savent pas. »Dans l’idée du ministère des Finances, l’argent en provenance des sociétés de loterie reversé aux communes devrait être ensuite consacré au sport. Mais dans la pratique et la situation de crise économique actuelle, les choses se passent bien entendu différemment. Ancien conseiller municipal à Litvínov, ville industrielle de Bohême du Nord où le taux de chômage dépasse les 10 %, Jiří Šlégr sait de quoi il parle :
« Dans toutes les communes, il est nécessaire de réparer un trottoir, une route ou de construire une nouvelle école. Je suis bien conscient que ce sont des choses prioritaires par rapport au sport. Mais d’un autre côté, les communes reçoivent de l’argent aux dépens du sport. L’argent qu’elles reçoivent aujourd’hui était versé au sport il y a encore peu de temps de cela. Or, je ne vois aucune garantie pour l’avenir, rien qui ne permette de faire en sorte qu’au moins un certain pourcentage soit consacré au sport. Et c’est vraiment le cœur du problème actuellement en République tchèque. »Dans la prochaine rubrique sportive, nous verrons quelles sont les conséquences de cette absence actuelle de conception et de loi relatives au financement du sport tchèque. Nous verrons également quelles sont les solutions proposées par le mouvement sportif. Car si le sport, et pas seulement en République tchèque, est parfois le parent pauvre de l’éducation, les retombées positives de sa pratique, et pas seulement en termes de santé, sont pourtant indéniables. En République tchèque comme ailleurs.