Le sport tchèque au bord du gouffre (2nde partie)
Retour aujourd’hui sur le problème du financement du sport tchèque. Celui-ci traverse en effet une des plus graves crises de son histoire. Très peu soutenu par le gouvernement, qui a fait de la rigueur budgétaire une priorité qui tourne à l’obsession, le sport tchèque manque de moyens financiers, notamment pour encourager la pratique chez les jeunes. Et loin des préoccupations secondaires voire même futiles du sport de haut niveau, la situation actuelle pourrait avoir de graves conséquences sociales, éducatives et sanitaires dans un proche avenir. Pourtant, chiffres et études à l’appui, le soutien à la pratique d’un sport de masse est probablement un des meilleurs investissements que puisse faire l’Etat.
Ces belles paroles ont été prononcées par Petr Fiala, ministre de l’Education, de la Jeunesse et des Sports, à la Maison tchèque, en direct à la télévision, dans l’euphorie de Jeux olympiques de Londres particulièrement réussis pour la République tchèque en août dernier. Six mois plus tard, force est de constater que les choses ont peu ou pas évolué. Le sport tchèque manque toujours autant de moyens pour financer notamment la pratique de masse, comme le regrette l’ancien champion olympique de hockey sur glace aujourd’hui député Jiří Šlégr, qui estime que certaines sommes devraient pourtant lui revenir de droit :
« Un peu moins de trois milliards de couronnes sont provenus en 2012 des caisses de l’Etat. C’est effectivement une augmentation de 800 millions de couronnes par rapport à 2011. A cela, il faut également ajouter les subventions des régions et des communes, ce qui nous donne un total d’environ 8 milliards de couronnes. Mais cela reste très insuffisant. Il faut se rendre compte que, chaque année, environ 60 milliards de couronnes transitent par le sport à travers les activités qui s’y rapportent plus ou moins. Sur ces 60 milliards, jusqu’à 11 milliards sont des impôts et vont directement dans les caisses de l’Etat. Alors, même si celui-ci consacre 8 milliards de couronnes au sport, il n’en demeure pas moins que le sport génère jusqu’à 3 milliards de revenus pour l’Etat. C’est pourquoi il me semble quand même logique de l’aider en retour. Or, le discours qui est tenu aujourd’hui est qu’il y a d’autres priorités que le sport. C’est vrai et je suis tout à fait d’accord. Mais c’est faire abstraction d’autres priorités. Car ce qu’on oublie de dire, c’est que le sport sert de prévention contre la criminalité et a un impact positif sur la santé. Si on ne fait rien, dans une dizaine d’années, on en paiera la facture. Et je peux vous garantir que cela nous coûtera alors beaucoup plus cher que le milliard ou les deux milliards que l’on pourrait investir aujourd’hui dans le sport. » Nous l’avons déjà mentionné dans la première partie de notre sujet consacré au financement du sport tchèque, par rapport à 1995, cinq fois plus d’enfants souffrant de surpoids ou d’obésité vivent aujourd’hui en République tchèque. Une grande majorité d’entre eux n’ont cure des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, qui estime que les enfants et jeunes gens âgés de 5 à 17 ans devraient accumuler au moins une heure par jour d’activité physique d’intensité modérée à soutenue. Plus généralement, environ 55 % de la population tchèque, adultes compris donc, souffre de surcharge pondérale plus ou moins importante.Autre chiffre tout aussi inquiétant, même si les Tchèques se considèrent comme une nation sportive, il semble qu’ils le soient d’abord devant leur télé, car à peine un peu plus de 30 % de la population pratiquent une activité régulièrement, soit au moins une à deux fois par semaine sans nécessairement être licencié dans un club. Un pourcentage qui baisse régulièrement sur le long terme et qui fait de la République tchèque un des pays les moins sportifs en Europe ; très loin en tous les cas des 75 % affichés par l’Allemagne voisine il est vrai première de la classe en la matière ou des près de 50 % de la France.
Selon Jiří Šlégr, les succès relativement nombreux des sportifs tchèques dans les compétitions de type Jeux olympiques, championnats du monde ou d’Europe dans diverses disciplines, qu’elles soient collectives ou individuelles, laissent à penser, et aux responsables politiques en premier lieu, que le sport tchèque est capable de se débrouiller seul. Mais pour lui comme pour Milan Jirásek, qui a été président du Comité olympique tchèque de 1996 à 2012, il s’agit là d’un mauvais raisonnement :
« Si je commence au sommet de la pyramide, je dirais que nos sportifs disposent de bonnes conditions pour se préparer aux grandes compétitions internationales. De ce point de vue-là, il n’est pas question de sous-financement. Même si c’est bien entendu incomparable avec ce que donnent certains autres pays, je pense malgré tout que nous donnons les moyens financiers de leurs ambitions à nos meilleurs sportifs. Ceux-ci ont également la possibilité, s’ils se débrouillent bien, d’obtenir des moyens plus importants grâce au marketing ou à la publicité. Ce n’est donc pas le problème. Ce qui l’est, c’est le manque d’infrastructures et la modernisation des équipements existants. Les gens qui veulent faire du sport ou les familles qui veulent que leurs enfants fassent du sport ne disposent pas d’une offre accessible ou suffisamment intéressante. »
En République tchèque, la participation financière des sportifs à la pratique de leurs activités s’élevait à 57 % en 2008. Mais avec la nouvelle loi sur les loteries, dont l’application entraîne donc pour le sport un manque à gagner de un à deux milliards de couronnes par an, ce taux de participation financière des sportifs amateurs est passé à 64 % en 2012, un chiffre qui place la République tchèque en compagnie de certains des Etats parmi les plus riches au sein de l’Union européenne. Mais à la différence de pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède ou encore le Luxembourg, le niveau de vie est nettement moindre en République tchèque. Une réalité qui ne favorise pas la pratique des classes sociales plus faibles. Jiří Šlégr explique pourquoi :
« Ce qui est certain, c’est que les sportifs paient la plus grande partie de leurs activités à travers les cotisations dont les montants sont de plus en plus élevés. Dans la période de crise actuelle, beaucoup de familles ont du mal à joindre les deux bouts et ne peuvent pas se permettre certains sports dont la pratique est beaucoup trop chère pour elles. Du coup, et même si je ne veux pas généraliser, les enfants restent chez eux devant la télé, l’ordinateur ou traînent dans la rue. Nous sommes témoins de l’apparition d’un phénomène où seuls les enfants des familles riches peuvent faire du sport. Et c’est un triste constat ! »Elu en novembre dernier, le nouveau président du Comité olympique tchèque, Jiří Kejval, se plaint, lui, que, aux yeux des politiques, le sport est toujours la cinquième roue du carrosse. « Que ce soient les pilotes de ČSA, les médecins ou les concierges des écoles, le sport est toujours la dernière des préoccupations », se plaint Jiří Kejval, qui rappelle que selon une étude du forum économique de Davos datant de 2009, une couronne investie dans le sport permet d’en économiser quatre en soins de santé.
La semaine dernière, un petit coin de ciel bleu est néanmoins apparu. Les députés ont en effet adopté un projet d’amendement à la loi sur les loteries qui prévoit que 5 des 20 % du taux d’imposition sur les revenus des sociétés de loterie puissent être reversés sous forme de don au Comité olympique. Une adoption qui ne satisfait toutefois que partiellement Jiří Kejval :
« Bien sûr, cela ne résout pas le problème du financement du sport. Il y a encore deux ans de cela et partiellement aussi l’année dernière, le sport recevait environ deux milliards de couronnes qui provenaient des revenus générés par les sociétés de loterie. Mais étant donné la situation actuelle catastrophique, c’est pour nous la première bonne nouvelle depuis plusieurs années. C’est le signe que les choses évoluent peut-être dans le bon sens. Nous craignons que cela ne représentera même pas 400 millions de couronnes, comme l’affirme le ministre des Finances, nous estimons que ce sera plutôt 350 millions, mais ça reste quand même une somme non négligeable qui peut aider le sport tchèque. »L’ensemble du petit monde sportif tchèque est néanmoins unanime pour affirmer que, même avec cet éventuel argent supplémentaire, son financement restera encore largement insuffisant. Une argumentation que pas même les responsables politiques ne se hasardent à contredire sans pour autant agir. Peut-être réagiront-ils alors dans dix ou vingt ans quand il sera trop tard, que les trois quarts des Tchèques seront gros et souffriront de maladies cardio-vasculaires ou autres dont le traitement coûte effectivement beaucoup plus cher que la construction d’un terrain de sport ou l’emploi d’entraîneurs et d’éducateurs.